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Construction, assurance et COVID-19 : repartir sur des bases solides sera primordial

par Hubert Roy | 23 avril 2020 10h45

Beaucoup d’incertitude attend les entrepreneurs en construction alors que plusieurs d’entre eux ont repris le travail en ces temps de pandémie de COVID-19.

Ceux-ci demandent ainsi aux assureurs et aux gouvernements de les soutenir dans cette reprise. Un faux départ pourrait couter leur entreprise à de nombreux entrepreneurs en construction, préviennent des experts du secteur.

Le cabinet de courtage MP2B, établi à Laval, a développé une expertise en construction et en cautionnement au fil des ans. Sa vice-présidente et actionnaire Geneviève Morin a d’ailleurs contribué à la mise en place du Regroupement québécois du cautionnement. Le Portail de l’assurance s’est entretenu avec elle et son collègue Mathieu Brunet, aussi vice-président et actionnaire au sein du même cabinet.

Geneviève Morin

Les deux dirigeants de MP2B ne cachent pas qu’ils doivent y aller au cas par cas avec leurs clients entrepreneurs, car les assureurs ont chacun leurs règles précises. « Nous devons jouer à la fois un rôle de prévention auprès d’eux, tout en les avertissant des risques qui les guettent », souligne Mme Morin.

Elle donne en exemple les chantiers où des cas de COVID-19 pourraient éclater. Qui en sera responsable advenant une telle éventualité ? Qui paiera les frais de décontamination ? Ou encore ceux des couts additionnels liés aux retards d’un chantier ? « Ce sont des questions pour lesquelles nous ne pouvons fournir de réponses », dit Mme Morin.

Pour ces raisons, elle souligne que certains de ses clients entrepreneurs ne veulent pas retourner sur un chantier tant que ces questions ne seront pas réglées. Mme Morin rappelle aussi que les entrepreneurs sont payés pour un prix forfaitaire. « S’ils sont pour perdre 30 % du profit prévu, ils n’y retourneront pas », dit-elle.

La vice-présidente de MP2B avance même que des entrepreneurs en construction préféreront soumissionner sur de nouveaux projets plutôt que compléter les projets pour lesquels ils se sont précédemment engagés. Pourquoi ? Parce qu’il sera moins risqué pour eux financièrement de le faire, dit-elle.

« C’est certain que des pertes seront subies. Quelqu’un devra payer pour celles-ci. » - Geneviève Morin

Mme Morin dit ainsi espérer que le gouvernement acceptera de verser des extras pour régler la situation. « C’est certain que des pertes seront subies. Quelqu’un devra payer pour celles-ci. Nous avons des clients qui ont dû poursuivre leurs activités, car ils travaillaient pour des secteurs jugés essentiels, comme pour des hôpitaux ou des prisons. Leur difficulté a été de maintenir ces chantiers alors que tout était fermé pour les approvisionner », souligne-t-elle.

Les règles de distanciation amenaient aussi des difficultés supplémentaires pour ces entrepreneurs, dit-elle. « Certains projets nécessitent habituellement quatre chargés de projet. Avec les règles de distanciation, il n’y en avait qu’un seul. Le tout avait un impact sur la vitesse à laquelle ces chantiers ont avancé. La rentabilité n’est donc pas la même. Et ce, sans savoir ce que les assureurs les indemniseront ou si les gouvernements verseront des compensations », dit la vice-présidente de MP2B.

Faire les choses correctement

C’est pourquoi les deux dirigeants du cabinet MP2B demandent aux assureurs et aux gouvernements de faire les choses correctement et de faire en sorte à ce que la relance se fasse dans les meilleures conditions possibles pour les entrepreneurs en construction. « Nous n’avons qu’une chance de faire les choses correctement, dit Mme Morin. Les entrepreneurs en construction veulent revenir sur les chantiers, mais ils sont aussi craintifs. Ils ne veulent pas revenir à tout cout et à tout prix sans savoir ce qui les attend. »

Le retour en construction résidentielle sert ainsi d’exemple dans le moment. Mme Morin y voit un jeu d’essais et d’erreurs. Elle dit avoir hâte de voir quelles seront les statistiques qui en sortiront à la fin de la semaine, notamment en matière de respect des règles de la CNESST, dont les amendes peuvent être salées en lien avec le respect des règles de distanciation.

Mathieu Brunet

Côté assurance, Mathieu Brunet souligne que les assureurs ont été proactifs vu la situation causée par la pandémie, notamment pour les chantiers inoccupés pendant 30 jours ou plus. Les assureurs couvrant des chantiers plus risqués, comme ceux utilisant du bois dans des secteurs non protégés ou encore ceux assurés par des syndicats du Lloyd’s ont été plus longs à se positionner, dit M. Brunet, qui souligne toutefois que la distance a joué pour ces assureurs souvent établis à l’étranger.

L’aide du gouvernement sera toutefois primordiale, souligne-t-il aussi, car des milliers de dollars sont en jeu pour ces entrepreneurs. « Plusieurs entreprises seront en difficulté financière sans cette aide. »

Nouvelles clauses

Geneviève Morin ajoute une autre couche aux problèmes qui guettent les entrepreneurs en construction. Certains donneurs d’ouvrages écrivent des clauses qui excluent les pertes découlant de la pandémie. Elle en a partagé deux exemples au Portail de l’assurance.

Le premier provient d’un appel d’offres de la Ville de Candiac et se lit ainsi :

Dans le cas d’un arrêt de travaux dû à une décision du gouvernement, les couts suivants : sécurisation et vérification du chantier, gestion et maintien de la circulation, frais fixes associés à l’organisation de chantier, frais d’entretien des équipements de pompage (si requis) ainsi que tous les frais reliés à l’arrêt des travaux ou au retard dû à ces dispositions du gouvernement seront aux frais de l’adjudicataire.

Le second provient d’une soumission publique de la Ville de Laval et exclut explicitement la COVID-19 :

« Malgré toute autre disposition dans le contrat ou le devis, et compte tenu de la situation particulière à laquelle Ville de Laval est soumise en raison de la pandémie de Covid-19, les soumissionnaires en déposant une soumission, suite à un appel d’offres pour des soumissions publiques, ou sur invitation ou pour la conclusion d’un contrat en gré à gré, quel que soit le montant de leur offre, acceptent de ne réclamer aucune réparation ou dédommagement, ou compensation financière ou de toute autre nature que ce soit, pour tous préjudices nés des retards éventuels. Cette renonciation est notamment valable pour toute décision de la Ville de reporter l’entrée en vigueur des contrats adjugés ou octroyés, la réunion de démarrage, l’ordre de débuter les travaux ou les livraisons. Advenant le cas où ce report a un effet sur le prix soumissionné, la Ville s’engage à prendre les dispositions requises pour réviser le prix en cause, en prenant en considérant tant l’évolution de l’indice du prix à la consommation que toute modification des taux fixés par décret. »

Geneviève Morin se questionne sur ces clauses. « Quelles valeurs peut y mettre un entrepreneur en construction ? », demande-t-elle.

Les associations en construction s’activent

Du côté des associations en construction, on se met aussi en mode relance. Plusieurs mesures ont ainsi été annoncées pour assurer la sécurité sanitaire des employés œuvrant dans les chantiers de construction, notamment par la Commission de la construction du Québec (CCQ) et l’Association des professionnels de la construction et de l’habitation du Québec (APCHQ).

La Corporation des entrepreneurs généraux du Québec (CEGQ) a notamment lancé l’initiative Entrepreneurs engagés. Par celle-ci, la Corporation veut donner l’occasion à tous les entrepreneurs qui s’engageront à respecter le plan de réponse à la COVID-19 et les recommandations de la santé publique, peut-on lire sur son site Web.

La Corporation a aussi mis en place trois comités pour favoriser la relance. Le comité sur les travaux prioritaires regroupe des entrepreneurs qui exécutent de telles tâches durant l’interruption. Un autre porte sur les questions de santé et sécurité au travail.

Un comité prend en compte les arguments économiques liés à la relance. Ainsi, le comité relance et redémarrage des travaux mis en place par la CEGQ souhaite mobiliser les entrepreneurs en préparation du redémarrage des travaux. Son objectif est de s’assurer que tout soit en place lorsque les conditions sociosanitaires le permettront, ce qui comprend les appels d’offres, les mesures de prévention, les conditions contractuelles et les compensations, notamment.

Une entrepreneure en restauration après-sinistre témoigne

La restauration après-sinistre est un domaine qui navigue entre les industries de l’assurance de dommages et celle de la construction. Nancy Raymond, PDG et actionnaire de Steamatic Canada, a témoigné de la réalité qu’elle vit au Portail de l’assurance. Elle l’a fait par le biais d’une lettre dans laquelle elle aborde cette nécessité de tenir compte des enjeux qui accompagneront la reprise économique.

Nancy Raymond

« Depuis le 24 mars, nous avons dû cesser les travaux et fait preuve d’une grande compréhension et collaboration dans cette lutte contre le virus. Nous avons dû notamment – et avec grand regret – mettre à pied plusieurs employés dévoués, retirer des contrats à nos loyaux sous-traitants et fournisseurs de confiance, etc. »

Mme Raymond a aussi chiffré le cout de cette situation. « L’effet sur nos PME se résume en une perte de plus de 50 % du chiffre d’affaires mensuel. Oui, nous avons été reconnus comme entreprises à services essentiels et sommes plus qu’heureux de continuer à desservir la population sinistrée. Toutefois, ce statut vient avec un cout d’opération non prévu », dit-elle.

Elle ajoute que beaucoup d’employés ont tout simplement refusé les horaires de travail, et ce pour plusieurs raisons. « La principale était le risque qu’ils courraient pour eux et leur famille et nous avons respecté leurs positions. Pour les autres, ceux que nous appelons affectueusement nos soldats, nous avons dû leur offrir des primes, des garanties d’heures hebdomadaires – alors que le taux de sinistralité est à la baisse – et d’autres initiatives en vue de les inciter à continuer à offrir le service à nos clients. »

Des équipements de protection qui se font rares

Autre problématique : trouver des équipements de protection individuelle en vue de sécuriser, mais aussi protéger, les employés et les résidants. Dans certains cas, ceux-ci se font de plus en plus rares, dit Mme Raymond.

« Nous devons, de façon journalière, rencontrer les équipes d’intervention afin de les rassurer et planifier les stratégies de travail tout en respectant les mesures de distanciation. Les employés écoutent les nouvelles, voient le nombre de cas augmenter depuis le début de la crise et sont préoccupés. »

« Notre rôle en tant que chef d’entreprise est de leur offrir un environnement sécuritaire. Vient ensuite le temps nécessaire pour enfiler les uniformes de protection, les explications de mesures d’intervention aux sinistrés, désinfecter les véhicules de services et les outils/équipements utilisés en vue d’éviter une potentielle propagation du virus. »

Mettre en œuvre un plan de relance

Avec la reprise partielle des activités en construction, Steamatic se penche sur l’analyse de son plan d’action. « La logistique doit complètement être revue, c’est-à-dire que nous devons maintenir la distance de deux mètres entre les ouvriers, éviter que plusieurs quarts de métier se retrouvent au même chantier en même temps, donner accès à des salles de bain et lavabos pour les mesures d’hygiène. Le temps de productivité sera assurément impacté par ces mesures », dit-elle.

Mme Raymond dit reconnaitre que le gouvernement fait de son mieux pour gérer cette crise. « Toutefois, nous aurions apprécié plus de clarté dans l’annonce de cette réouverture partielle des chantiers. Le manque d’information a engendré plusieurs ambiguïtés, des zones grises, des interprétations. Nous avons dû nous tourner vers les diverses associations de construction pour obtenir des réponses et ce n’est qu’après quelques jours que nous avons pu avoir les détails », dit-elle.

« Il y aura des impacts financiers »

La PDG de Steamatic ajoute que plusieurs initiatives d’institutions bancaires et du gouvernement ont été mises en place afin d’aider les PME. Toutefois, il y aura certainement un impact financier, anticipe-t-elle.

« Quand on regarde les marges bénéficiaires d’un entrepreneur en après-sinistre, certains pourraient avoir des craintes et avec raison. » - Nancy Raymond

« Que ce soient des moratoires sur des dettes actuelles, des reports de paiements ou des injections de fonds de roulement, ce sont tout de même des augmentations de dettes à moyen et long terme. Quand on regarde les marges bénéficiaires d’un entrepreneur en après-sinistre, certains pourraient avoir des craintes et avec raison », dit-elle.

Ce n’est pas nécessairement aujourd’hui que Steamatic Canada et ses franchisés vivront une pression financière, dit Mme Raymond, mais bien dans les mois à venir, alors que les restaurateurs auront à rembourser ces prêts, ce qui pourrait engendrer une possible crise de liquidité, craint-elle. « Les entrepreneurs devront être très vigilants et prévoir un flux de trésorerie rigoureux », conseille-t-elle.

Steamatic a ainsi recommandé à ses franchisés de garder les dépenses au strict minimum et de revoir leur structure d’entreprise. « Une analyse s’impose en vue de la reprise des opérations. Que peut-on en tirer de bon ? Comment pouvons-nous limiter les endettements ? Peut-on faire plus avec moins ? »

Les dangers

Mme Raymond ajoute qu’actuellement, la reprise est lente pour les franchisés de Steamatic. « Certains assurés préfèrent attendre encore avant que nous recommencions les travaux. Ils sont inquiets », explique Mme Raymond.

Elle ajoute que chez Steamatic, on se dit préoccupé que plusieurs assurés puissent opter pour les règlements comptants. « Nous pouvons le comprendre. Si cette pratique devient populaire, nos entreprises seront certainement en danger. Nous devons assurer au personnel leur emploi, à nos sous-traitants et fournisseurs le maintien de nos relations d’affaires en leur octroyant des mandats », dit la PDG de Steamatic.

Or, les carnets de commandes de ses franchisés ne se remplissent pas aussi rapidement que souhaité, dit Mme Raymond. « Les prochaines semaines seront déterminantes, dit-elle. Notre plus grand souhait est la pérennité de nos entreprises, ce qui passe incontestablement par une relance économique dynamique pour notre industrie et ainsi assurer la survie de nos PME. »

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