Les membres de l’Association des psychologues du Québec (APQ) ont une longue liste d’irritants envers les programmes d’aide aux employés (PAE) qu’on retrouve au Québec. Les firmes qui les distribuent peinent toutefois à comprendre un tel mécontentement.

L’APQ a publié en novembre un palmarès d’insatisfaction des PAE au Québec. Bas honoraires, ingérence et tracasseries administratives sont quelques-uns des irritants soulevés par les psychologues membres de l’APQ.

La firme qui suscite la plus grande insatisfaction chez les psychologues est aussi la plus grande, soit Morneau Shepell, avec un taux d’insatisfaction de 47,7 %. Elle est suivie d’Optima Santé Globale, qui récolte un taux d’insatisfaction de 32,8 %. L’APQ promet de refaire un palmarès des PAE cette année.

En entrevue au Journal de l’assurance, le président de l’APQ, Charles Roy, a souligné que les irritants soulevés par ses membres s’inscrivent dans une tendance lourde. Son association compte 1 600 membres, sur un potentiel de 9 000 psychologues au Québec. Parmi ses membres, environ 1 000 travaillent avec des PAE, dont 541 ont répondu au sondage.

Les honoraires trônent au sommet des irritants que ressentent ses membres face aux PAE, révèle M. Roy. Il affirme que les fournisseurs de ces programmes embauchent des professionnels selon la logique du plus bas soumissionnaire.

« Alors que nos honoraires en PAE tournaient autour de 85 % de nos tarifs moyens il y a 15 ans, ils tournent aujourd’hui autour de 58 %. Avec Morneau Shepell, ils tournent plus autour de 50 % à 55 % », dit avoir observé le président de l’APQ. Il estime que les psychologues facturent en moyenne un taux horaire de 100 $ à 110 $, sans compter la charge administrative liée aux PAE, que le psychologue n’a pas à remplir dans sa pratique privée.

Les assureurs en ligne de mire

M. Roy dit avoir commencé à faire campagne auprès des employeurs pour les sensibiliser. Il songe à le faire auprès des assureurs.

« Tous les intervenants ont intérêt à améliorer les choses. Le retour ne se fera pas si vite si on coupe trop dans les dépenses. L’équation prix-qualité a ses limites. Comme employeur, vous pouvez payer une firme pour un PAE et dormir sur vos deux oreilles, mais payez-vous pour quelque chose ou juste du vent ? Est-ce bon de privilégier le plus bas soumissionnaire ? Il est peut-être mieux de payer un peu plus cher et obtenir des résultats concrets ainsi qu’un retour sur l’investissement. »

En termes de qualité, M. Roy s’inquiète notamment de la durée parfois trop courte du traitement. « Lorsque le clinicien dit qu’il serait peut-être préférable de prolonger le traitement, des PAE moins rigides acceptent de le faire. C’est de plus en plus restreint. Ensuite, il ne peut poursuivre qu’en facturant le client, ou en travaillant bénévolement. »

M. Roy dit comprendre qu’un PAE n’est pas un service à long terme. « Mais entre trois ou quatre rencontres et dix rencontres, cela peut faire toute une différence. Le psychologue rappelle à son patient qu’il faut aller en profondeur pour traiter adéquatement certains problèmes, voire les détecter. »

Il ajoute que les PAE devraient lever l’interdiction de poursuivre le traitement : « Ce serait tellement simple de dire aux gens : vous pouvez poursuivre avec votre psychologue. Des gens seraient prêts à payer pour cela, plutôt que de devoir raconter leur histoire à quelqu’un d’autre une deuxième fois. »

En cinq rencontres le psychologue pourra déceler tout de suite un problème, et dire à son patient sur quoi travailler, croit-il. « Peut-être 15 à 25 % des gens aurons toutefois besoin d’aller plus en profondeur », estime-t-il.

Surprise et déception dans l’industrie

Directeur de marché de Croix Bleue Medavie, Pierre Marion affirme que les programmes d’aide aux employés ont un taux de satisfaction élevé chez les utilisateurs, tant les employés que les employeurs ou gestionnaires. « Nos fournisseurs ont des notes au-dessus de 95 % », dit-il, une note aussi confirmée par d’autres firmes pour leur propre programme.

Il ne cache pas avoir été surpris par les résultats du sondage. « Nous ne pouvons pas jouer à l’autruche. Il faut éviter que la situation ne se détériore. Nous demandons à nos fournisseurs comment ils réagissent et quelles sont leurs intentions, pour éviter que l’insatisfaction déborde chez les utilisateurs. Si les PAE sont affectés, nous le serons aussi. »

Morneau Shepell et Optima Santé Globale ont demandé de rencontré l’APQ, a appris le Journal de l’assurance.

Les PAE réagissent

Sylvain Authier, vice-président, régions du Québec et de l’Atlantique, programmes d’aide aux employés de Morneau Shepell, dit prendre acte des résultats. Il se dit déçu de ceux-ci.

« Nous voulons être proactifs. Je tiens à expliquer à l’APQ que nous n’offrons pas de services à long terme. Les mandats sont émis d’avance par les organisations qui veulent un support rapide, dans un nombre d’heures fixé à l’avance. »

Optima Santé Globale note aussi les résultats. « Je n’ai pas de problème avec le palmarès, mais il y a des réalités du marché avec lesquelles nous devons composer », dit Jean-Claude Vaillancourt, associé et vice-président au développement des affaires et relations clients d’Optima Santé globale.

Il invite l’APQ à travailler sur des solutions d’intérêts communs. « Il faut trouver des façons d’inciter les employés à recourir davantage aux PAE. Plus les employés utiliseront les services des PAE, plus les arrêts de travail pourront être évités, pense M. Vaillancourt. Une consultation accrue des PAE permet de mieux démontrer le retour sur l’investissement de ces services et l’utilité du programme. Ce n’est pas une question de marge bénéficiaire. »

La rémunération en cause

Contrairement aux dires de l’APQ, M. Vaillancourt croit que les psychologues sont « un peu mieux rémunérés » que par le passé. Il reconnait toutefois que la consolidation des dernières années dans les PAE a créé une pression sur les prix, qu’il qualifie d’importante. « Il y a une guerre de marché. Le marché change. Les PAE octroient moins d’heures au patient. Nous voulons trouver des solutions pour désamorcer les situations irritantes. Il faut innover et faire intervenir davantage la technologie dans les services de PAE. »

En ce qui touche les honoraires, Sylvain Authier convient que ceux-ci seront moins élevés en PAE qu’en pratique privée. « Les tarifs n’ont pas baissé en 20 ans, mais ils n’ont pas augmenté de façon significative. Nous ne sommes pas les moins chers dans le marché. Ce n’est pas toujours le plus bas soumissionnaire qui l’emporte. Il y a des réalités régionales dont il faut tenir compte, qui entrainent un jeu de l’offre et de la demande à certains endroits, comme à Montréal où l’offre est plus grande. »

Pierre Marion dit que les honoraires sont soumis à un impératif d’équité et d’équilibre entre ce que l’employeur est disposé à offrir comme bénéfices à ses employés, par rapport à sa capacité de payer. Il croit aussi que les psychologues doivent tenir compte du fait que leur collaboration avec un PAE leur amène une clientèle sans avoir à faire de démarches, ce qui leur permet de réduire leurs dépenses.