Lorsqu’elle a présenté Éric Salobir, l’animatrice Isabelle Maréchal a relaté le parcours du prêtre dominicain et président du comité exécutif de Human Technology Foundation. Happé par la théologie et la philosophie après ses débuts comme banquier d’affaires, M. Salobir est devenu un proche du pape. « Il est expert en intelligence artificielle auprès du Vatican », a ajouté l'animatrice lors de l’activité de formation ProLab 2023, organisée à Montréal par la Chambre de la sécurité financière le 8 juin 2023.
D’entrée de jeu, Éric Salobir a fait part à quelque 450 conseillers de ses vues sur l’avenir de leur profession, face aux enjeux de la technologie. Il évoque la liste d’enjeux que lui a transmise la Chambre avant son entrée en scène. « Ce qui m’a marqué, c’est que des sept enjeux de votre profession, trois sont directement liés à la technologie. Les quatre autres impliquent tous des solutions technologiques. La technologie est un peu partout dans votre profession », lance-t-il.
Les trois enjeux directs sont le virtuel et les échanges numériques, le volume croissant d'informations accessibles et l’enjeu de la protection des renseignements personnels et de la cybersécurité. Un dossier du Journal de l’assurance de juin 2023 souligne que la cybersécurité devient de plus en plus préoccupante.
Le danger du totem
La technologie transforme la société et l’industrie depuis des années. « Ce que l’on n’avait pas du tout prévu, c’est la rapidité de la transformation. Cette rapidité s’est accrue dans les derniers mois avec l’arrivée de ChatGPT (d’OpenAI), dont tout le monde s’est emparé. Grâce à l’intelligence artificielle générative, nous avons pour la première fois une machine qui nous parle », rappelle Éric Salobir.
Ces bouleversements changent beaucoup de choses pour l’humain d’un point de vue anthropologique, selon Éric Salobir. « Avant, on avait toujours relié la fonction du langage à la fonction de l’intelligence. Quand une machine nous parle, on tend à la considérer comme un humain. On y met de la confiance parfois indue », dit-il.
« Qui a une enceinte connectée ? », demande M. Salobir en faisant allusion à Alexa, l’assistant virtuel à commande vocal d’Amazon. « Si vous avez essayé de discuter avec Alexa, elle n’a quand même pas beaucoup de conversation. Et pourtant, elle s’est fait sa place dans les foyers. Les gens lui parlent et l’utilisent pour plein de choses. »
Éric Salobir compare la vénération de ces outils virtuels à celle des dieux Lares de la Rome antique. « Dans les villas romaines, on faisait des trous dans les murs pour que la statuette puisse voir les entrées et les protéger. C’était le premier système de vidéosurveillance », blague-t-il.
Les technologies d’aujourd’hui voient et entendent. Elles deviennent un peu les nouveaux totems de la société, pense Éric Salobir. « Un totem est quelque chose dans lequel on met beaucoup de ressources et dont on attend de la sécurité, en retour d’une vénération. Le danger est que le totem repose sur le principe de la soumission. La vraie question : nous servons-nous de notre technologie ou laissons-nous la technologie se servir de nous ? »
Au service du conseiller
Cette question est selon lui cruciale au moment où l’intelligence artificielle se démocratise en mettant à la disposition du public des technologies à base d’intelligence artificielle. « Jusque-là, nous étions plutôt utilisés par l’intelligence artificielle. Pour la première fois, on aura des algorithmes qui seront vraiment au service des gens », lance M. Salobir.
Et au service ces conseillers. « On pourra bientôt demander un compte-rendu et le résumé d’une réunion Teams avec un client », prévoit-il. Les usages possibles de l’intelligence artificielle dans le secteur du conseil financier peuvent selon lui être extrêmement vastes. Éric Salobir croit que ces usages peuvent aller du tri de courriels à un robot conversationnel (chatbot) qui répond aux questions des clients en l’absence du conseiller.
Être ou ne pas être obsolète
« Si vous êtes en compétition avec l’intelligence artificielle, vous serez obsolètes dans quelques années. Si vous l’utilisez, vous devenez des conseillers financiers augmentés. » - Éric Salobir
Ces technologies ne sont plus seulement puissantes pour le Mouvement Desjardins ou Canada Vie; elles le sont maintenant pour les petites structures et les conseillers indépendants, ajoute M. Salobir.
L’intelligence artificielle pourrait-elle remplacer le conseiller. « Si vous ne l’utilisez pas, alors oui, répond-il. Si vous êtes en compétition avec l’intelligence artificielle, vous serez obsolètes dans quelques années. Si vous l’utilisez, vous devenez des conseillers financiers augmentés. Vous avez la capacité de faire des choses que votre structure et votre équipe réduites n’auraient jamais pu accomplir avant », estime M. Salobir.
Plus encore, cette technologie remet selon lui les conseillers dans la course. « Cela vous donne la capacité de compétitionner avec les plus grands », dit-il.
Le salut dans les données
L’arrivée possible d’Apple en assurance dès 2024 n’inquiète pas non plus Éric Salobir quant à l’avenir des conseillers. « Ils ne feront pas de réassurance ni des choses très compliquées. Ils feront plutôt de la désintermédiation en se glissant entre l’assureur et le client. Ils sont déjà dans votre poche, à votre poignet », dit-il. M. Salobir ajoute que les données ainsi accumulées sur ses clients permettront à Apple de leur offrir des produits d’assurance selon leur profil de risque.
Il faudra selon lui repenser le métier d’assureur pour éviter que ces entreprises prennent tout le beau risque, grâce aux informations sur la santé qu’elles détiennent. Le coût d’acquisition de ces clients sera très bas puisque ces assurtechs n’auront pas à s’embarrasser de paperasse. « Cela vient faire une espèce de distorsion de concurrence. Il faudra vous battre contre ça, mais je pense que vous avez les outils pour ça », croit-il.
À son retour à Paris, il conseillera une compagnie d’assurance française inquiète de cette concurrence, qui réinvente son métier non seulement comme assureur, mais aussi avec le soutien de toutes ses données. « Des données qu’elle a comme compagnie de prévention qui va aider les clients à anticiper leurs risques, et à leur fournir des moyens comme du nudge (messages incitatifs envoyés à un assuré selon son profil) », explique M. Salobir.
Il s’agit d’utiliser ces données. Pas seulement pour faire des profits, mais pour avoir un impact plus positif sur le Québec, suggère Éric Salobir à son auditoire. « Vous devrez prendre cela en compte, et créer toutes ces offres. C’est un paysage nouveau que l’on devrait cartographier. L’impact sera pour vous, pour vos clients et l’ensemble de la société », souligne-t-il.
Une tempête se lève
Il ajoute que la technologie peut aussi faire partie de la solution face aux changements climatiques et aux enjeux d’équité et d’inclusion sociale. « La technologie a un énorme pouvoir de transformation de la société. Nous sommes au début de la diversité-équité-inclusion (DEI) et des facteurs environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG). Avec la Chambre de la sécurité financière, nous essayons de cartographier le risque social », révèle Éric Salobir qui a ses antennes en permanence dans la métropole québécoise.
Des choses se passent à Montréal, ajoute-t-il. « Finance Montréal veut que Montréal devienne la place numéro un de l’ESG en Amérique du Nord et l'International Sustainability Standards Board (ISSB) s’y est installé. Essayez de saisir ce moment pour créer de la valeur pour vos clients », conseille-t-il.
Il s’agit selon lui de quelques grains de sable pour faire bouger les choses. « Je me suis déjà trouvé dans le désert au moment d’une tempête de sable : elle est extrêmement puissante! Quand plein de grains de sable qui sont tous les clients que vous accompagnez vont ensemble dans la même direction, ça crée une bourrasque. La tempête de la technologie pour l’humain est en train de se lever », conclut l’expert du Saint-Siège.