Au-delà des enjeux éthiques qu’elle soulève, l’intelligence artificielle (IA) a changé la perception des risques en assurance vie. Dans les dernières années, cette technologie a permis de repousser les limites de la souscription des risques.
Les modèles prédictifs fondés sur l’IA permettent désormais d’émettre rapidement une police d’assurance vie, sans que l’assuré ait à fournir des échantillons de fluides corporels ni à se soumettre à des examens médicaux. Le tout pour des montants d’assurance de plus en plus élevés, en quelques clics de votre portable dans le confort du foyer de vos clients.
Des assureurs prévoient que ces technologies permettront aussi d’assurer demain des gens qui ne peuvent l’être aujourd’hui. « En émission simplifiée, nous avons commencé à innover avec l’assurance temporaire en 2016, de 18 à 40 ans. Nous avons ensuite augmenté l’âge maximal, et sommes passés de l’assurance temporaire à l’assurance permanente », relate en entrevue avec le Portail de l’assurance, le chef des produits et de la tarification d’assurance individuelle de Manuvie, Mathieu Charest.
Pas plus à risque
À Canada Vie, la vice-présidente principale, solutions d’assurance vie avec participation, Andrea Frossard, dit avoir assisté à une expansion des programmes de souscription accélérée dans l’industrie, « surtout depuis la pandémie en 2020 ». « L’industrie a augmenté les âges et les limites où les compagnies commandent automatiquement des analyses de fluides (sang et urine) dans le cadre du processus de souscription », dit-elle. Selon Mme Frossard, les modèles prédictifs qu’ont introduits la plupart des assureurs ont permis de gérer les risques de mortalité inhérents à l’émission simplifiée.
À Manuvie, Mathieu Charest affirme que les risques du produit à émission simplifiée ne sont pas nécessairement plus grands. « Nous sommes confortables avec ce que l’on a en termes de risques, pour les cas simples, et avons des outils robustes pour identifier les cas plus à risque », ajoute-t-il.
De son côté, Andrea Frossard estime qu’en permettant de déterminer dans quel cas la prise de fluides est nécessaire, les modèles prédictifs ont permis d’accélérer le processus. « Les assureurs continueront de demander des fluides pour certains âges et montants, mais de manière sélective plutôt que de façon générale. L’utilisation de ces modèles réduit le nombre de clients devant fournir des preuves médicales », dit-elle.
Drapeau rouge
Le modèle prédictif ne décide pas de tout, souligne Mme Frossard. Il revient au tarificateur de décider quand les preuves médicales seront requises. « L’objectif est de commander des preuves médicales dans les cas où nous nous attendons raisonnablement à ce qu’elles influencent la décision de souscription, en se basant sur une combinaison de méthodes d’échantillonnage et du jugement du tarificateur. Des statistiques passées, portant par exemple sur l’usage de tabac, le sexe ou l’âge, pourraient soulever des drapeaux rouges », explique-t-elle.
Assurer de nouveaux groupes
Mathieu Charest souligne l’importance de faire plus de recherches pour pouvoir offrir de l’assurance à des groupes dont les conditions de santé ne sont pas assurables aujourd’hui : « Il s’agit de voir comment la médecine a évolué, de développer des processus de tarification qui suivent les avancées médicales. Personne n’aurait pensé assurer des gens VIH+ il y a 30 ans. Maintenant, nous le faisons. »
Selon M. Charest, cette avancée s’est produite parce que la personne suivie par un médecin et qui prend régulièrement ses médicaments a une espérance de vie semblable à celle d’une population moyenne. « C’est aussi le cas des personnes suivies pour le diabète. Il y a aussi des progrès rapides en médecine qui pourraient changer la donne dans le traitement de plusieurs formes de cancers », observe-t-il.
Mathieu Charest rappelle que certains cancers, comme celui de la thyroïde, du sein ou de la prostate, n’étaient pas considérés individuellement il y a plusieurs années. « Maintenant, nous les isolons par catégorie pour éviter de regarder tous les risques comme étant un. Les résultats de recherche portent sur chaque catégorie. Si on voit par exemple des changements dans l’espérance de vie après le traitement, nous changerons notre approche, par exemple en offrant d’assurer la personne atteinte, moyennant une surprime qui n’est pas prohibitive, en raison de l’espérance améliorée par le traitement », précise M. Charest.
Cet article est un Complément au magazine de l'édition de décembre 2023 du Journal de l'assurance.