Le ministre de la Santé, Christian Dubé, a annoncé il y a quelques semaines une série de réformes pour améliorer la qualité et l’accès aux soins, mais son gouvernement a volontairement ignoré une mesure qui aurait pu avoir des impacts très positifs sur une partie de la population : l’élargissement de l’assurance maladie privée duplicative, qui est actuellement restreinte à trois chirurgies au Québec. Un choix que déplore l’Institut économique de Montréal (IEDM) qui souligne dans une étude récente qu’en ce domaine, la province aurait tout intérêt à s’inspirer de l’exemple de l’Australie. 

L’assurance maladie duplicative permet aux gens qui le souhaitent de se procurer une couverture de remplacement au privé pour des soins déjà̀ couverts par le régime public. Elle a été autorisée au Canada à la suite d’un jugement historique de la Cour suprême dans l’affaire Chaoulli il y a 18 ans. Le plus haut tribunal au pays avait alors statué que l’interdiction par le Québec de souscrire une assurance maladie duplicative était inconstitutionnelle.

« Sur la base des preuves fournies, écrit l’IEDM, la Cour a conclu qu’il n’y avait “aucun lien véritable entre l’interdiction de souscrire une assurance maladie et l’objectif de maintien d’un système de santé publique de qualité”. Les individus sont libres de souscrire ou non une telle assurance, selon leurs besoins, ou ce produit peut être offert par des employeurs. » 

En dépit de l’avis de la Cour suprême, au Québec, l’assurance privée duplicative demeure toujours limitée à trois procédures : arthroplastie-prothèse totale de la hanche ou du genou et extraction de la cataracte avec implantation d’une lentille intraoculaire. Ces dernières années, jamais un gouvernement en place à Québec n’a manifesté le désir de l’étendre à d’autres opérations et le ministre Dubé ne l’a pas évoqué dans la série de gestes qu’il veut poser pour améliorer l’accès aux chirurgies. Or, l’IEDM croit que les assureurs seraient sans doute intéressés à offrir cette couverture si les barrières étaient levées.

« Bien qu’il ne soit pas possible de prévoir la réponse des compagnies d’assurance à une éventuelle levée de l’interdiction, écrit l’auteure de l’étude, Maria Lily Shaw, il est raisonnable de penser qu’elles pourraient lancer ce nouveau produit par l’entremise des assurances collectives offertes par les employeurs. Les entreprises pourraient de leur côté décider d’offrir un tel bénéfice à leurs employés ».

Au Canada, quatre provinces autorisent plus largement l’assurance privée duplicative. Ce sont la Saskatchewan, Terre-Neuve-et-Labrador, le Nouveau-Brunswick, la Nouvelle-Écosse, mais d’autres obstacles règlementaires la limitent grandement et dans les faits, elle est peu répandue. Le Canada n’est toujours pas ouvert à ce type de couverture privée à grande échelle alors que plusieurs pays de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) le font : c’est le cas de la Suède, l’Allemagne, le Royaume-Uni, les Pays-Bas, le Danemark et l’Australie. 

Obtenir une chirurgie plus rapidement 

En janvier 2023, selon les chiffres de l’IEDM, près de 160 000 Québécois étaient en attente d’une chirurgie ; de ce nombre, 34 % attendaient depuis plus de six mois. Ces délais engendrent des coûts importants pour les patients qui sont forcés d’arrêter de travailler et dont les douleurs sont prolongées. Dans un tel contexte, écrit l’organisme, ils verraient l’avantage à se faire soigner plus rapidement par un médecin du privé. 

Prendre exemple sur l’Australie 

L’Institut souhaiterait que la province prenne exemple sur l’Australie qui autorise l’assurance privée duplicative depuis les années 70 et en a même fait la promotion avec une série de mesures incitatives après avoir observé une baisse de sa popularité. Résultat, en septembre dernier, 45 % des Australiens en possédaient une. 

Les trois mesures de relance prises par le gouvernement australien ont été les suivantes :

  • Un rabais pouvant atteindre jusqu’à 32,8 % du coût de la prime. Le citoyen qui se procure une assurance privée duplicative se fait rembourser une partie du coût, soit par l’intermédiaire de l’assureur, qui applique le rabais directement, ou par l’entremise d’un crédit d’impôt remboursable. Le montant du rabais dépend de l’âge de l’assuré, de son statut conjugal et de son revenu.
  • La deuxième vise à encourager les plus jeunes à souscrire et à conserver leur assurance. Ceux qui le font au début de leur vie d’adulte éviteront de payer une surcharge annuelle de 2 % pendant 10 ans à partir de 31 ans.
  • La troisième est une surtaxe variant entre 1 % et 5 % du revenu imposable qui est prélevée chez les individus ayant un revenu imposable supérieur à 90 000 $ pour une personne seule ou à 180 000 $ pour les familles qui n’ont pas de police d’assurance maladie duplicative. Cet argent sert à financer les soins de santé fournis par le gouvernement. 

Selon l’IEDM, les assurances privées duplicatives offertes à la population australienne contribuent au financement de leur système de santé. Au cours des dix dernières années, la contribution des assureurs représentait en moyenne 8,3 % des dépenses totales de santé en Australie, soit 18 milliards de dollars en 2020-2021. « Le marché des assurances duplicatives est donc un moyen d’augmenter les ressources financières globales consacrées au système de santé sans recourir aux deniers publics », souligne l’Institut. 

Dans l’éventualité d’une levée de l’interdiction au Québec, ajoute l’organisme, pour rendre l’assurance maladie duplicative plus accessible et inciter les citoyens à s’en procurer une, il sera incontournable d’en rendre l’achat déductible d’impôt, comme l’a fait l’Australie, ou de rendre déductibles d’impôt les dépenses d’entreprises consacrées à l’achat de telles polices pour leurs employés. Sans quoi elles demeureront seulement accessibles à une petite tranche de la population, ce qui découragera le développement d’un marché concurrentiel.