L’Institut national de recherche scientifique (INRS) vient de dévoiler les résultats d’une recherche estimant les coûts engendrés par les épisodes de chaleur extrême sur le système de santé québécois. L’article publié dans la revue Science of the Total Environment résume le travail d’enquête réalisé en partenariat avec l’Institut national de la santé publique du Québec (INSPQ) et Santé Canada.

« Quand on pense aux changements climatiques, on a le réflexe de penser aux inondations, aux feux de forêt et aux dommages qu’ils entraînent, mais ils ont aussi des effets sur la santé humaine et cela a été malheureusement très peu mesuré », relève en entrevue avec le Portail de l’assurance Fateh Cheban, co-auteur de l’étude et professeur titulaire en sciences des données appliquées à l’environnement et la santé environnementale de l’INRS. 

Aussi coûteux que les pertes matérielles 

Le fruit des recherches de M. Cheban et de ses collègues Jérémie Boudreault, Éric Lavigne et Céline Campagna révèle que pour les années 1990 à 2019, la chaleur incommodante a généré une facture annuelle moyenne de 14,8 millions de dollars (M$) au système de santé québécois.

Des coûts qui sont probablement sous-estimés, précisent les chercheurs, parce que certaines données, dont la consultation des médecins généralistes, les visites d’infirmières communautaires et les appels au 911, n’ont pas été comptabilisées. Il était aussi très difficile de lier les admissions à l’hôpital à la chaleur, une relation documentée que dans 0,1 % des cas au Québec. 

La chaleur coûte également 5,3 M$ annuellement aux employeurs et assureurs en raison de l’absentéisme au travail.

Enfin, les pertes de vie humaine et de bien-être attribuables au ralentissement des activités durant les épisodes de canicule intense coûtent à la société 3,6 milliards de dollars (G$) de façon intangible. 

Les chercheurs indiquent également que les coûts sanitaires des épisodes de chaleur extrême sont aussi importants que les coûts matériels des phénomènes météorologiques causés par les changements climatiques. 

« Par exemple, les inondations de 2024 causées par l’ouragan Debby ont coûté 2,5 G$ en pertes assurables au Québec, alors que les coûts intangibles de la chaleur sont de l’ordre de 3,6 G$ chaque été au Québec. Et ceux-ci pourraient même atteindre 17 G$ en 2050 si aucune mesure d’adaptation supplémentaire n’est prise », préviennent les chercheurs de l’INRS. 

Le pire est à venir 

Comme les changements climatiques sont là pour rester, ces coûts « sont appelés à augmenter considérablement dans les 50 prochaines années ». 

À partir des données du passé, l’étude effectue des projections pour les années 2040 à 2069, où on prévoit des températures plus chaudes et une population plus nombreuse. 

Sans tenir compte des changements démographiques à venir, les chercheurs évaluent que les taux de mortalité et d’hospitalisations croîtront respectivement de 118 % et de 230 % en raison de la chaleur. C’est sans compter les autres problématiques de santé nécessitant des visites aux urgences, des transports en ambulance et l’accaparement de ressources qui augmenteront, elles aussi, par rapport à la période historique de comparaison. 

La facture liée à cette demande accrue de services promet d’être extrêmement salée. Les « coûts totaux pourraient être multipliés par trois selon un scénario climatique et démographique médian, et par cinq selon un scénario plus pessimiste », révèle l’étude. 

« Actuellement, on parle de millions en coûts dans le système de santé, indique Fateh Cheban. Si rien n’est fait, ces coûts vont exploser, et en 2050, on parlera de milliards. Les vagues de chaleur vont se multiplier, et entraîner un grand nombre d’absences au travail, des décès, des hospitalisations, des visites à l’urgence… » 

Les chercheurs reconnaissent toutefois certaines limites à leurs projections, qui les rendent plus pessimistes.

« Toutes les projections ont été réalisées sans tenir compte des changements socio-économiques autres que la croissance démographique, en excluant par exemple l’adaptation future potentielle à la chaleur, l’augmentation des coûts des soins de santé et le vieillissement de la population », notent-ils, indiquant qu’ils ont aussi homogénéifié les résultats sans s’attarder aux facteurs sociodémographiques qui pourraient rendre certains groupes de personnes plus vulnérables que d’autres à la chaleur extrême.

Par ailleurs, les chercheurs ont circonscrit leur étude à la seule province de Québec parce que les données dont ils avaient besoin n’étaient pas entièrement disponibles à l’échelle du pays. 

L’urgence d’agir et de mieux planifier 

Fateh Cheban est d’avis que de chiffrer les effets de la chaleur extrême a pour conséquence de les rendre beaucoup plus concrets pour les gouvernements. 

« Au Québec, nous avons un gouvernement très porté sur l’économie. Alors, d’exprimer les impacts de la chaleur en dollars, ça va peut-être mieux lui parler », avance-t-il. 

Il trace le parallèle avec la pandémie de COVID-19. « Les gouvernements ont pris des mesures financières pour tenter d’en atténuer les impacts, indique M. Cheban. Les vagues de chaleur, ça ressemble à ça, mais contrairement à la pandémie, ce ne sera pas un événement isolé ; elles vont revenir et en connaissant la facture qui les accompagne, les décideurs pourront mieux gérer leur budget et limiter l’improvisation. » 

Son équipe et lui-même espèrent que leur étude incitera les décideurs à parer cette hausse de coûts par la mise en place de mesures préventives. Ils entendent par-là la « nécessité d’améliorer les mesures d’adaptation à la chaleur, telles que le renforcement de l’écologisation, la réduction des îlots urbains de chaleur ou de nouveaux systèmes d’alerte, entre autres. » 

Grâce aux résultats de leur étude, d’autres scientifiques pourront proposer des mesures de mitigation. Il serait alors possible de mesurer concrètement en quoi ces solutions permettent de diminuer la facture des changements climatiques. 

Déjà, des pistes de solution émergent. « À la Ville de Montréal, on envisage de considérer des vagues de chaleur comme un état d’urgence, souligne Fateh Cheban. Ça permettrait à l’administration dans ce cas-là de rendre le métro gratuit ou de mettre en place certaines mesures d’adaptation pour protéger la population vulnérable. » 

Diminuer la circulation sur les routes permettrait non seulement de réduire la quantité de gaz à effet de serre émise ce jour-là, mais de faciliter le transport ambulancier des personnes fortement incommodées par la chaleur.

« Si nos recherches permettent de ne sauver qu’une seule vie humaine, alors ça aura valu la peine », souligne Fateh Cheban. 

Maintenant qu’ils ont étudié la chaleur, le groupe de scientifiques entend s’attaquer de la même manière à la facture sanitaire des grands froids. 

Traumatismes mesurables… et coûteux  

Il n’y a toutefois pas que la chaleur qui coûte cher au système de santé. 

Que ce soient la quantité de gaz à effet de serre émise dans l’atmosphère, la chaleur extrême, l’humidité et la moisissure entraînée par des inondations ou bien les pluies diluviennes, tous les phénomènes météorologiques peuvent entraîner des effets néfastes sur notre santé globale, et ce, aussi bien à court, à moyen et à long terme, rappelle Santé Canada. 

Les changements climatiques influencent également la qualité de l’eau potable et de l’air ; ils peuvent aussi affecter la sécurité alimentaire des Canadiens. 

Surtout, leurs impacts psychosociaux ne sont pas à négliger. 

À la suite des inondations record de 2019 au Québec, l’Institut national de santé publique du Québec avait documenté les conséquences du drame sur 3437 ménages répartis dans six régions dans la province. Au terme des évaluations, les chercheurs ont constaté que les personnes inondées ou affectées par une inondation présentaient une santé mentale plus fragile que celles qui avaient été épargnées, et ce, un an après la crue des eaux. 

Parmi les conséquences psychologiques observées chez des victimes de sinistres, notons l’aggravation de troubles existants, mais aussi l’apparition de symptômes de dépression, d’anxiété, d’insomnie, un trouble de stress post-traumatique, un trouble de l’humeur ou des idées suicidaires. 

Ces symptômes peuvent également mener à des comportements téméraires, à une consommation accrue d’alcool et/ou de drogues, ainsi qu’à des tentatives de suicide dans les cas les plus graves. 

Plus cher pour les assureurs 

Des enjeux qui se répercutent dans le système de santé, augmentant la facture de soins pour traiter ces individus. Ces dépenses percolent dans les réclamations auprès des assureurs, notamment en médicaments antidépresseurs, anxiolytiques, séances de psychothérapie et autres.

Contrairement à une inondation ou un incendie de forêt, dont les dommages matériels sont visibles rapidement et incontestables, les impacts des changements climatiques sur la santé humaine ne peuvent pas être prouvés dans une relation de cause à effet aussi directe, rappelle M. Cheban. 

Et cela complique le travail des assureurs. 

Bien que conscients des impacts que les changements climatiques peuvent avoir sur la santé physique et mentale des individus, les fournisseurs d’assurance de personnes ne disposent pas de données suffisamment probantes pour que le phénomène influence les primes et les régimes, soutient au Portail de l’assurance Lyne Duhaime, présidente Québec de l’Association canadienne des compagnies d’assurances de personnes

« Pour l’instant, au Canada, on ne peut pas lier directement les changements climatiques à une augmentation des invalidités, de troubles de santé mentale ou à la prise de médicaments, souligne-t-elle. Ça ne veut pas dire qu’on ne verra jamais cette corrélation-là, mais actuellement, et de façon actuarielle, on ne peut pas l’établir. »