Sans avoir consulté Ottawa, le 31 juillet dernier, l’administration Trump a annoncé qu’elle mettrait en place un système qui permettra aux Américains d’importer légalement des médicaments d’ordonnance du Canada en raison de leurs prix très élevés aux États-Unis.
Donald Trump a fait de la réduction du cout des médicaments l’une de ses priorités pour sa réélection et il a soutenu une loi de la Floride qui permettrait à ses résidents d’acheter des médicaments d’ordonnance du Canada. Pas moins de 15 États au total en ont fait autant ou entrevoient de le faire. Le Colorado veut aller de l’avant et ce n’est pas du bluff, a insisté la démocrate Sonya Jaquez Lewis, une pharmacienne qui siège à la Chambre des représentants du Colorado.
Aux États-Unis, le même médicament peut couter jusqu’à dix fois plus cher qu’ici. Une fiole d’insuline se vend environ 300 $ chez nos voisins du sud et au Canada, 30 $. Ce n’est pas étonnant que l’aspirant candidat démocrate à la présidence, Bernie Sanders, l’ait choisie comme exemple et ait traversé la frontière cet été pour s’en procurer en Ontario, où il a dénoncé les prix gonflés dans son pays et la cupidité des pharmaceutiques.
Une pénurie possible au Canada ?
Des groupes de consommateurs américains voient dans cette concurrence une façon de réduire les prix chez eux. Quarante-cinq millions d’Américains n’auraient pas les moyens de se procurer des médicaments d’ordonnance. C’est plus que toute la population du Canada. L’éventualité que des Américains achètent des médicaments d’ordonnance au Canada a été soulevée le 12 septembre lors du débat qui opposait des candidats démocrates à la présidence des États-Unis. Elle fait craindre à certains une pénurie au Canada si les Américains peuvent acheter leurs médicaments ici en très grande quantité.
En 2005, le ministre de la Santé dans le gouvernement libéral de Paul Martin, Ujjal Dosanjh, avait présenté un projet de loi pour interdire l’exportation massive de médicaments canadiens sous ordonnance vers les États-Unis. Il est mort au feuilleton lorsque Paul Martin a été battu et aucun gouvernement ne l’a ressuscité depuis. Aujourd’hui, ce même Ujial Dosanjh accuse le gouvernement fédéral de dormir au gaz et lui demande de se réveiller.
Pour l’instant, Justin Trudeau a réagi de façon plutôt tiède aux intentions des Américains et dit surveiller la situation. En date du 16 septembre, ce risque n’avait été soulevé par aucun parti dans le cadre de la campagne électorale.
Le Dr Marvin Shepherd, un chercheur américain du Texas, anticipe lui-même les impacts extrêmement négatifs que ce geste pourrait avoir pour les patients et assureurs canadiens. Dans une entrevue qu’il a accordée à Radio-Canada, il a affirmé qu’il suffirait de 118 jours pour que les réserves canadiennes de médicaments sur ordonnance soient épuisées si les Américains pouvaient s’alimenter ici et que pour certains médicaments cardiovasculaires et l’insuline, par exemple, une pénurie pourrait même survenir au Canada en moins de 30 jours.
L’Association des pharmaciens du Canada, qui se préoccupe déjà des actuelles pénuries de certaines médications, l’Association médicale canadienne et l’Institut canadien pour la sécurité des patients ont exhorté Ottawa à prendre des mesures pour éviter que les Américains « assèchent l’approvisionnement en médicaments du Canada ».
« Du théâtre », dit le président de l’Ordre
L’Association canadienne des compagnies d’assurance de personnes (ACCAP) a refusé de commenter les plans de Donald Trump en l’absence de détails. Le président de l’Ordre des pharmaciens du Québec (OPQ), Bertrand Bolduc, est beaucoup moins inquiet qu’on semble l’être dans les autres provinces. Malgré l’avis pessimiste des experts américains et canadiens, il n’est pas alarmé. « C’est du théâtre », a-t-il réagi au sujet des intentions du président Donald Trump.
En entrevue au Journal de l’assurance, il a indiqué que ce n’est pas parce que Donald Trump voudrait permettre à ses compatriotes d’importer des médicaments du Canada que le Canada peut en exporter.
« Des pharmaceutiques comme Pfizer, Merck, Novartis et autres ont des filières canadiennes pour vendre au Canada, pas pour expédier leur stock aux États-Unis, explique-t-il. Quand ces compagnies vendent leurs produits à des grossistes canadiens, elles ont des ententes qui les empêchent de les réexporter. S’ils le font, elles ne leur en vendent plus et ils sont mis hors circuit. »
En outre, les pharmaciens canadiens et québécois qui achètent des grossistes canadiens n’ont pas le droit de vendre en gros. « On doit juste honorer les ordonnances d’un prescripteur canadien, ajoute le président de l’Ordre. On ne vend pas en gros, ce n’est pas possible. Si des pharmaciens le font, on va les pincer et les amener en discipline. Donc, ce n’est pas que parce que [Donald Trump] veut laisser faire [ses compatriotes] que nous, on laisse faire la chose au Canada. »
Bertrand Bolduc ajoute que le Canada négocie le prix de ses médicaments et que c’est au président américain d’en faire autant chez lui. « C’est lui qui a écrit le livre Art of the Deal (L’art de la négociation), ironise-t-il. Nous, au Canada, nous avons des mécanismes pour négocier les prix, mais ils sont plus uniformes pour toute la population alors qu’aux États-Unis, c’est la jungle. Si tu n’es pas assuré ou que tu n’es pas membre de ceci ou cela, tu paies le gros prix. »
Pas possible à court, moyen et long terme
À sa connaissance, dit Bertrand Bolduc, la vente de médicaments canadiens par des pharmaciens canadiens ou québécois à des Américains ne se fait pas au Québec, ni même en Ontario. Plusieurs barrières les en empêcheraient.
« Je ne vois pas comment ça pourrait être possible à court, moyen et long terme, croit-il. Le pharmacien qui ferait cela se retrouverait très rapidement dans l’impossibilité de s’approvisionner auprès de ses fournisseurs et il se ferait tordre le bras [par l’Ordre]. Je ne suis pas très inquiet. Au Québec, où il n’y pas de grandes villes américaines qui sont limitrophes, c’est encore moins un souci. La pharmacienne de Lacolle ne se fera pas dévaliser demain matin. »
Autre aspect, il n’est pas possible pour un pharmacien de vendre ses médicaments à une clientèle extérieure, ajoute le président de l’Ordre. Si un touriste de passage au Canada perd ses médicaments pour un mois, précise-t-il, « on ne le laissera pas dans la misère. On va le dépanner, mais le pharmacien ne peut pas acheter des médicaments d’un grossiste et les expédier ailleurs, outre-frontière ».
Obtenir des médicaments sous ordonnance dans une pharmacie québécoise n’est pas chose facile, rappelle en outre Bertrand Bolduc : il faut voir un médecin local, avoir une évaluation, obtenir un diagnostic afin de se faire remettre une ordonnance québécoise en bonne et due forme. Les prescriptions provenant de médecins américains ne sont pas acceptées. Bref, les embuches sont nombreuses avant que les Américains puissent commencer à commander des médicaments du Canada par internet ou en personne.
L’importation n'est pas une solution
« La solution aux prix élevés des médicaments aux États-Unis ne consiste pas à importer des produits pharmaceutiques d’un autre pays et à menacer leurs stocks de médicaments », écrivait Marv Shepherd dans l’étude U.S. Drug Importation : Impact on Canada’s Prescription Drug Supply, parue l’an dernier. « L’approvisionnement en médicaments du Canada n’est pas une solution à long terme au problème de la tarification des médicaments d’origine américaine. »
Les solutions, disait-il, consistent à résoudre les problèmes chez eux aux États-Unis. Il en a énuméré plusieurs : ouvrir la concurrence, supprimer les règlementations gouvernementales excessives, raccourcir le processus d’approbation des médicaments, en particulier les génériques, améliorer la transparence des fournisseurs d’assurance et poursuivre les personnes impliquées dans des exploitations de prix de médicaments.