Plusieurs travaux de recherches démontrent qu’il faudra faire preuve de flexibilité pour maintenir l’engagement des travailleurs et les retenir, dans une ère où il n’a jamais été aussi facile de trouver mieux ailleurs.
Une enquête exclusive des Éditions du Journal de l’assurance réalisée en collaboration avec la firme Rioux Consultants RH révèle que le télétravail est devenu une habitude pour 92 % des employés du secteur de l’assurance de dommages, tant dans les cabinets que chez les assureurs et les experts en sinistres.
Présentée à Montréal lors de la Journée de l’assurance de dommages le 13 avril 2023, l’Enquête sur l’organisation du travail postpandémie au sein de l’industrie de l’assurance de dommages a aussi révélé que près des deux tiers des organisations sondées obligent une journée ou moins de présence dans les bureaux physiques par semaine (38 % moins d’une journée et 23 % une journée par semaine). Seules 16 % des organisations exigent trois jours ou plus de présence aux bureaux physiques.
Appelée à commenter les résultats de l’enquête qui a sondé 200 entreprises, la présidente de Rioux Consultants RH, Catherine Rioux, a déclaré que tout retour en arrière est désormais impossible. Selon elle, les entreprises doivent maintenant se refaire une beauté pour devenir autant sinon plus attrayantes que le bureau à domicile. D’autres résultats de l’enquête sont présentés dans cet article.
Attentes insatisfaites
Au-delà du secteur de l’assurance, c’est tout le monde du travail qui a été ébranlé par la pandémie de Covid-19. Cette période a forcé l’introspection de chacun, révélant des failles à l’endroit de la santé mentale et du bien-être au travail. Des baromètres révèlent que nombre de travailleurs au Canada estiment que leurs attentes ne sont pas comblées.
Parmi eux, l’édition de juin 2023 de l’Indice de bonheur au travail d’ADP Canada révèle que le score national des travailleurs a baissé de 0,1 point en juin par rapport à mai. Il s’est établi à 6,6 sur 10. Le sondage de l’indice d’ADP Canada est réalisé mensuellement par Maru Public Opinion auprès de 1 200 adultes canadiens employés ou travailleurs indépendants choisis au hasard.
Selon l’indice, les seuls travailleurs dont le score de bonheur au travail a augmenté sont les baby-boomers de 56 à 75 ans (7,3) et les travailleurs québécois (7,1). Le score de la génération Z (18 à 24 ans) est celui qui a diminué le plus, passant de 6,9 en mai à 6,5 en juin, soit 0,4 en moins.
ADP Canada souligne que l’indicateur primaire et tous les scores secondaires de son indice sont en baisse en juin, par rapport à mai. Les indicateurs secondaires sont ceux de rémunération et avantages sociaux (score de 6,1, en baisse de 0,2), d’options d’avancement de carrière (score de 5,9, en baisse de 0,2), d’équilibre travail-vie personnelle (score de 6,8, en baisse de 0,1), et de reconnaissance et soutien (score de 6,6, en baisse de 0,1).
Mieux se connecter
Autre baromètre de l’humeur des employés, l’Indice de santé mentale de TELUS Santé (anciennement LifeWorks) de mai 2023 montre que le milieu de travail demeure fragile. Le rapport de cet indice qui sonde mensuellement 3 000 travailleurs révèle que 20 % ne se sentent pas aussi soutenus par leur employeur qu’au début de la pandémie, à l’égard de leur santé mentale.
Des problèmes se vivent en première ligne. Au cours de la dernière année, 26 % des gestionnaires disent avoir vécu des conflits dans leur équipe, et 12 % affirment qu’il y a eu du harcèlement ou de l’intimidation au sein de leur équipe.
Un enjeu de taille alors que la collaboration semble essentielle à la santé mentale, selon l’indice. Ainsi, 38 % des travailleurs disent collaborer avec leurs collègues tout le temps, selon l’indice de TELUS Santé. Ce groupe obtient les meilleurs scores de santé mentale. Affichant un score de 64,6, la santé mentale des travailleurs au Canada est demeurée stable par rapport au mois d’avril 2023. Le tiers des travailleurs canadiens (33 %) présentent un risque élevé de problème de santé mentale, 43 % présentent un risque modéré et 24 % ont un faible risque de souffrir d’un problème de santé mentale. Un score de 0 à 49 est signe d'une mauvaise santé mentale alors qu'un score de 50 à 79 reflète une santé mentale précaire. Un score de 80 à 100 indique une santé mentale optimale.
« Une étude mondiale de Microsoft citée dans la publication Web Fast Company récemment a révélé que 84 % des employés seraient plus motivés à venir au bureau pour travailler, si cela signifiait qu’ils pouvaient mieux se connecter avec leurs collègues », a quant à elle fait valoir Catherine Rioux, présidente de Rioux Consultants RH. Mme Rioux a par ailleurs présenté les résultats de l’enquête sur l’organisation du travail postpandémie sur les mesures prises pour prévenir les problèmes de santé mentale.
Président-directeur général d’Assomption Vie, Sébastien Dupuis croit de son côté que les assureurs sont bien placés pour offrir des avantages en santé mentale et mieux-être aux employés. « Nous l’offrons à nos clients en assurance collective. Nous avons accès plus facilement à des ressources. Les entreprises devraient penser à avoir de l’assurance collective, car nous pouvons vraiment aider les employeurs sur ces aspects », a-t-il dit en entrevue avec le Portail de l’assurance.
Donner un sens
Les employés d’aujourd’hui peuvent de plus en plus magasiner et avoir plus de demandes – Sébastien Dupuis
M. Dupuis note par ailleurs que les entreprises doivent désormais mieux répondre aux attentes des employés. À la faveur de la pandémie, les employés ont aujourd’hui plus de pouvoir face aux employeurs, constate-t-il. « Les employés d’aujourd’hui peuvent de plus en plus magasiner et avoir plus de demandes. Cela nous a permis de regarder l’expérience que nous voulons offrir à nos employés », dit M. Dupuis.
Le PDG d’Assomption Vie s’est interrogé sur celle qu’il offre au sein de la mutuelle d’assurance de Moncton au Nouveau-Brunswick : « Est-elle au niveau ultime ? La réponse est non », lance-t-il. Pour se différencier, Assomption Vie veut définir encore mieux l’expérience employé. Son PDG prend l’exemple d’une démarche d’embauche au poste de préposé à l’émission des polices d’assurance de personnes. « Aujourd’hui, nous expliquerons davantage comment ce travail fait une différence pour nous et dans la vie des clients, des courtiers et de l’ensemble du marché dans lequel nous opérons. Il s’agit de donner un sens, un but au travail », explique M. Dupuis.
Constructif plutôt qu’agressif
Assomption Vie veut aussi mieux exprimer qui elle recherche pour combler un poste. « Nous recherchons des gens qui ont la même culture que l’entreprise, une culture qui est plus constructive, moins passive et sans agressivité », dit Sébastien Dupuis. Il tire ces trois traits d’une évaluation indépendante de Human Synergistics, à laquelle 86 % de ses employés ont participé. « Il nous revient de continuer notre progression pour être à l’écoute de ce qu’ils recherchent », ajoute-t-il.
Sébastien Dupuis s’est ouvert sur la difficulté de pourvoir certains postes en technologie. « Tellement de choses sont possibles. N’importe quel poste que tu occupes en technologie, tu peux travailler de partout dans le monde. Il y a probablement pas mal plus de consultants aujourd’hui qu’il n’y en a jamais eu. Quelqu’un peut quitter son employeur, devenir consultant et y trouver des bénéfices qu’il n’avait pas avant », dit M. Dupuis.
« Nous avons plusieurs postes ouverts et nous en avons aussi comblé plusieurs dernièrement, en raison de ce que nous avions à leur offrir. Ce n’est pas une offre unique, mais nous avons su bien la vendre. Nous avons 60 postes en technologie, incluant notre filiale de technologie Lavvi, et 5 à 6 sont disponibles. Nous mettons l’accent sur nos plateformes technologiques », explique M. Dupuis.
Flexibilité et engagement
Le sentiment de loyauté qui existait depuis plusieurs années n’est plus suffisant. Les gens ont goûté à la flexibilité et elle fait maintenant partie de notre réalité – Catherine Rioux
Dans sa conférence à la Journée de l’assurance de dommages 2023, Catherine Rioux a démontré que l’industrie devra miser sur la flexibilité pour maintenir l’engagement de ses employés. « Plus on fait preuve de rigidité, plus on exige un nombre de jours de présence au bureau, plus on voit une tendance entre la difficulté à être attractif comme employeur et la difficulté à retenir nos gens », a insisté Mme Rioux (lire aussi l’article Pas de retour au travail à 100 % en assurance de dommages, pp. 12-14 du Journal de l’assurance, édition de juin 2023).
La tendance se dessine de façon encore plus importante aujourd’hui, selon Mme Rioux. Elle a cité un sondage de la firme Gallup dont les résultats révèlent que 60 % des employés entièrement en télétravail quitteraient leur emploi si on leur demandait de revenir au bureau. « Plus le temps avance, plus le besoin de flexibilité est important. Le sentiment de loyauté qui existait depuis plusieurs années n’est plus suffisant. Les gens ont goûté à la flexibilité et elle fait maintenant partie de notre réalité », commente la spécialiste des ressources humaines.
Combien de jours au bureau physique ? « Il n’y a pas de chiffre magique dans le nombre de jours au bureau », remarque Catherine Rioux. Elle cite un autre sondage Gallup selon lequel le plus haut taux d’engagement des employés est atteint chez ceux qui se rendent au bureau trois fois par semaine. Au-delà de ce seuil, le taux d’engagement décroît rapidement.
Un sens au bureau
Citant en outre l’enquête sur l’organisation du travail postpandémie au sein de l’industrie de l’assurance de dommages, Mme Rioux remarque que les entreprises demandent une présence au bureau, mais que 67 % d’entre elles n’offrent pas d’incitatif à s’y rendre. « Je ne parle pas d’un panier de pommes ou d’une massothérapeute. Il faut que j’aie un sens, une plus value. Le bureau est maintenant en compétition avec le domicile. Si je suis souscripteur de risques et que je travaille dans un cubicule toute la journée, au téléphone, pourquoi j’irais faire une heure de trafic pour le même travail qu’à la maison ? »
L’employeur doit rendre le mode de travail intéressant et agréable, pour que les gens aient le goût de revenir, renchérit la présidente de Rioux Consultants RH. Elle donne l’exemple d’un employeur qui affiche : Chez nous, vous pouvez choisir votre horaire. « L’employeur a l’occasion de se démarquer et d’être innovant. Des clients ont décidé d’agrandir leurs bureaux pour rendre l’environnement de travail agréable et concurrentiel par rapport au domicile », confie Mme Rioux.
Heures flexibles
« Nous avons écouté nos employés sur les heures de travail », souligne Sébastien Dupuis. Le PDG d’Assomption Vie ajoute avoir adopté l’horaire à heures flexibles, la semaine de quatre jours et un programme qui permet au besoin d’acheter des journées additionnelles. « Nous avons des prêts sans intérêt pour des voyages. Nous avons été à l’écoute de nos employés pour que la santé mentale aille mieux. Nous avons clarifié que les journées de responsabilité familiale et les rendez-vous médicaux sont importants », souligne M. Dupuis.
Sébastien Dupuis vante aussi les mérites du bureau physique. « Après des mois de rencontre virtuelle, les gestionnaires s’efforcent d’avoir un minimum de rencontres en présence, se rencontrer au bureau, dîner ensemble et échanger. Mon équipe m’a dit que la profondeur et l’étendue des discussions sont de loin supérieures à celles des rencontres qui avaient lieu en mode virtuel. On voit les bénéfices de l’interaction humaine. Pas seulement les paroles, mais aussi le body language. Tu peux savoir dans le ton qu’une personne n’est pas à l’aise, mais en personne tu le vois. », affirme Sébastien Dupuis.
Cet article est un Complément au magazine de l'édition de juin 2023 du Journal de l'assurance.