Pour un patient, trouver un ostéopathe est chose facile : ils sont un peu plus de 3 000 à pratiquer à travers la province. Ce qui est difficile en revanche, c’est d’avoir la certitude qu’il est bien formé et compétent pour exercer cette profession. Au Québec, en l’absence d’ordre professionnel, le titre n’est pas protégé et un individu sans expérience qui a suivi une formation de moins d’un an peut s’affirmer ostéopathe, ouvrir un bureau et facturer au même titre qu’un ostéopathe qui compte 4 200 heures de formation. 

« C’est l’anarchie », déplore Bertrand Courtecuisse, président d’Ostéopathie Québec, la plus grande association d’ostéopathes au Québec et au Canada avec près de 1 750 membres.

Ce vide juridique l’inquiète, autant pour la clientèle que pour ceux qui paient les traitements, souvent les assureurs. Les ostéopathes font beaucoup de manipulations vertébrales et articulaires chez des gens en douleur et/ou blessés, ainsi que des techniques viscérales et crâniennes. Le risque de dommages si ce n’est pas bien exécuté est bien réel, allant d’inconforts mineurs à certains événements majeurs, soulève l’Office des professions du Québec (OPQ). « C’est la raison pour laquelle on tire la sonnette d’alarme depuis des années afin de réguler le titre », dit-il. 

Formation offerte au privé seulement 

L’ostéopathie est une approche en santé qui gagne en popularité. Selon un sondage Léger réalisé en 2020, un Québécois sur cinq âgé de plus de 18 ans aurait recours à un traitement ostéopathique. Plus de deux millions de séances d’ostéopathie seraient données chaque année dans la province. 

« À l’heure où l’accès aux soins demeure un enjeu pour la population, l’encadrement professionnel des ostéopathes et leur contribution à l’offre de services de santé semblent plus pertinents que jamais, reconnaît l’OPQ. D’autant plus que les actes posés par les ostéopathes présentent de hauts risques de préjudice pour le public puisqu’il s’agit d’interventions qui visent le traitement, notamment, de certaines dysfonctions du système neuromusculosquelettique, et ce, sans diagnostic préalable d’un médecin. » 

Contrairement à la physiothérapie et la chiropratique, qui sont toutes deux enseignées à l’université, aucune institution publique ne donne de formation en ostéopathie dans la province. Elle est offerte par une multitude d’écoles privées dont le contenu des cours n’est pas évalué, rappelle d’ailleurs l’Association des ostéopathes RITMA, qui regroupe de son côté 900 ostéopathes.

Au moins 7 associations différentes 

Par ailleurs, les ostéopathes québécois sont éparpillés dans une foule de regroupements. En plus d’Ostéopathie Québec et de RITMA, la liste comprend l’Association québécoise des ostéopathes, la Société des ostéopathes du Québec (SOQ), la Corporation des professionnels ostéopathes du Québec (CPOQ), l’Association canadienne des ostéopathes de niveau maîtrise, la Société canadienne pour la tradition de l’ostéopathie, ce à quoi il faut ajouter la Fédération canadienne des ostéopathes. Certaines ne compteraient que quelques dizaines de membres, selon l’Office des professions.

Plusieurs de ces associations offrent de la formation et disposent d’un code de déontologie et d’un conseil de discipline, mais d’après Bertrand Courtecuisse, si un ostéopathe fait l’objet d’une plainte, il peut tout simplement changer d’association et poursuivre sa pratique ailleurs sans conséquence. 

La solution, un ordre professionnel 

La solution à cet éparpillement serait la création d’un ordre professionnel. Les ostéopathes souhaitent d’ailleurs la création d’un tel ordre et militent activement en sa faveur. 

Leurs premières démarches pour y parvenir remontent à plus de 30 ans. Le dossier s’est activé en 2008 avec les travaux d’un Comité d’experts, mais il aura fallu près de 15 ans à l’Office des professions avant d’émettre un avis favorable en juin 2022.

Il y recommandait à cette occasion la création d’un programme de formation universitaire d’un minimum de 3100 heures, ce qui est moins que les 3 800 à 4 200 heures que suggère RITMA pour le cursus entier et les 4 440 que propose l’école ENOSI de Montréal pour sa formation avancée. 

Un décret qui ne vient pas 

Il ne manque qu’un décret à être adopté par l’Assemblée nationale pour que cet ordre des ostéopathes voit le jour, ce qui serait facile et rapide puisque même les partis d’opposition sont d’accord. « C’est un projet clef en main », résume Bertrand Courtecuisse. 

Dix-sept mois se sont écoulés depuis la recommandation de l’OPQ et le dossier est toujours au point mort, au grand dam des associations qui réclament la création de cet ordre professionnel comment en possèdent les physiothérapeutes, les dentistes, les pharmaciens et les médecins. 

« On est déçu, réagit le président d’Ostéopathie Québec à propos de ce xième délai. On demande une régulation professionnelle par rapport aux enjeux de protection du public qu’on soulève depuis des années et que l’Office des professions reconnaît dans son Avis. Notre inquiétude est surtout liée à cette protection du public. » 

L’explication de ce retard 

La ministre responsable de l’Office des professions est la présidente du Conseil du Trésor, Sonia Lebel. C’est elle qui pourrait faire débloquer le dossier avec un décret. Or, elle ne l’a toujours pas fait. Interrogée par le Portail de l’assurance sur les motifs de cette nouvelle remise, son attachée de presse, Marylène Lehouillier, a répondu par ce court message : 

« Pour le moment, le dossier est toujours en analyse. Plusieurs démarches sont encore requises. La question de la formation universitaire des praticiens demeure notamment à éclaircir. » 

Il y a quelques années, l’Université de Sherbrooke se disait prête à offrir une maîtrise en ostéopathie, a confirmé au Portail de l’assurance une porte-parole de l’institution. En juin 2022, le nouveau recteur l’Université du Québec à Montréal (UQUAM), Stéphane Pallage, disait vouloir créer une faculté des sciences de la santé qui comprendrait une école de médecine, de pharmacie et d’ostéopathie. 

Quand une formation universitaire sera offerte, elle deviendra obligatoire pour devenir ostéopathe comme c’est déjà le cas en chiropratique. Mais pour l’instant, c’est l’œuf et la poule : pas d’ordre professionnel, pas de formation universitaire ; pas de formation universitaire, pas d’ordre professionnel. 

L’ostéopathie et les assureurs 

Le président d’Ostéopathie Québec estime que la profession d’ostéopathe nécessite un baccalauréat-maîtrise, soit 5 à 6 ans de formation pour les gens n’ayant aucun passé dans les soins de santé.

L’ostéopathie attire toutefois des physiothérapeutes, des techniciens en réadaptation physique, d’anciennes infirmières et d’autres professionnels du milieu de la santé qui possèdent déjà un grand bagage et qui choisissent de s’orienter dans cette discipline qu’ils jugent souvent plus complète que la leur pour traiter des patients. Ils nécessitent une formation, mais pas de 4 000 heures comme les candidats qui partent de zéro : selon leurs antécédents, environ 1 000 à 1 200 heures seraient suffisantes. 

Mais faute d’encadrement vis-à-vis de l’accès à la profession, des personnes sans expérience peuvent suivre une formation d’un an et même de six mois en ligne dans certaines écoles, se donner le titre d’ostéopathes et faire des traitements avec leur mince bagage. Leur expertise est très questionnable, mais aucune réglementation ne les empêche. C’est un risque toutefois pour les patients et les assureurs devraient vérifier avant de rembourser quiconque se prétend ostéopathe. 

« Quel est le degré de formation et de compétences des ostéopathes dont je paye les traitements ? » C’est la question que sont en droit de se poser les assureurs en raison du fouillis qui règne dans ce milieu. 

« Il y a des ostéopathes bien formés en dehors de notre association, dit Bertrand Courtecuissse. Mais actuellement, si les assureurs ne font pas de vérifications sur la formation et la compétence des ostéopathes, ils ne savent pas si les traitements qu’ils remboursent sont de qualité. » 

Cet aspect est régulièrement soulevé par plusieurs associations, dont Ostéopathie Québec et la Fédération canadienne des ostéopathes. « Qui remboursez-vous ? C’est une question que les assureurs doivent se poser, précise-t-il. Nous, on est très transparent avec les compagnies d’assurance et on leur fournit toute la documentation qui montre la compétence de nos membres. » 

La réaction des assureurs 

Le Portail de l’assurance a demandé à plusieurs assureurs s’ils procédaient à des vérifications à propos des ostéopathes lorsqu’ils payaient ou remboursaient des traitements. Plusieurs ne nous ont pas répondu, un autre nous a référé à l’Association canadienne des compagnies d'assurances de personnes (ACCAP). 

De son côté, nous a indiqué Claudia Genel de Beneva, « afin d’être admissibles, les traitements d’ostéopathie doivent être effectués par un professionnel membre d’une association reconnue par Beneva », sans toutefois préciser quelles associations le sont. 

La réponse la plus fournie vient de Desjardins, son porte-parole, Jean-Benoit Turcotti, révèle que « chez Desjardins Assurances, en ce qui concerne les professions réglementées, que ce soit au Québec ou à l’extérieur de la province, nous nous assurons que les professionnels concernés sont membres en règle de leur association et/ou ordre professionnel et qu’ils exercent leur spécialité conformément aux lois en vigueur. Nous suivons également les travaux de l’Office des professions du Québec pour rester à jour sur les évolutions dans ce domaine. » 

 « Pour les professions non réglementées, comme les ostéopathes au Québec, nous effectuons des vérifications auprès des professionnels pour nous assurer qu’ils sont membres de leur association. Si la pratique d’un professionnel en particulier semble poser problème, nous effectuons des validations supplémentaires auprès de ce professionnel pour nous assurer de sa conformité », dit-il.