Une étude du Centre Intact d’adaptation au climat (CIAC) de l’Université de Waterloo souligne l’impact des inondations catastrophiques sur le prix de vente des maisons. Les maisons restent plus longtemps sur le marché et se vendent moins cher dans les communautés touchées par ce type de sinistre naturel.
L’étude a été rendue publique le mardi 15 février. Au cours des huit dernières années, les collectivités étudiées ont vu le prix de vente baisser en moyenne de 8,2 %, le marché de la revente a chuté de 44,3 % et les maisons passent 19,8 % plus de temps sur le marché.
Pour une maison dont le prix moyen au Canada était de 713 500 $ en décembre 2021, si l’on applique cette baisse moyenne de 8,2 % du prix de vente associée aux inondations, la maison se serait vendue 654 993 $, soit une perte de valeur de 58 507 $.
L’étude du CIAC couvre cinq villes canadiennes qui ont subi des inondations catastrophiques entre 2009 et 2020 : Grand Forks (Colombie-Britannique) en 2018, Burlington (Ontario, 2014), Toronto (2019) et Ottawa (2017 et 2019) et Gatineau, au Québec (2017).
Les villes retenues pour l’étude devaient avoir au moins deux des trois caractéristiques suivantes : a) les demandes d’indemnisation ont dépassé les 25 millions de dollars (M$) dans tous les cas ; b) l’inondation était majeure (récurrence supérieure à 50 ans) ; c) la collectivité retenue n’avait pas été souvent frappée par des inondations catastrophiques dans le passé, auquel cas les risques d’inondation pourraient être déjà intégrés dans le prix courant de l’immobilier.
Les répercussions des inondations ont été mesurées sur des périodes de six mois précédant et suivant les inondations. Pour confirmer l’impact du sinistre naturel, on a comparé la situation des collectivités touchées avec celles des collectivités voisines qui n’ont pas été touchées par ces inondations et qui servent de témoin, durant les mêmes périodes.
Dans toutes les collectivités étudiées, tant dans les secteurs inondés et témoins, 93 % des maisons avaient un sous-sol fini, et les proportions de maisons isolées, jumelées et en rangée étaient pratiquement identiques. Le nombre total de maisons vendues dans les collectivités étudiées allait de 30 à 700.
C’est à Gatineau où l’écart observé a été le plus important à la suite de l’inondation de 2017, soit 17,1 %. Le prix de vente final moyen a baissé de 24,1 % dans la zone inondée, alors que la baisse a été limitée à 7,0 % dans la zone témoin.
Des données
Quelque 3,3 millions de Canadiens (9 %) vivent dans une plaine inondable associée à une période de récurrence de 100 ans. Pour un autre bloc de 3,9 M de Canadiens (11 %), cette récurrence des inondations est de 200 ans.
L’étude ne permet toutefois pas de noter l’impact des inondations sur les retards ou le report des paiements hypothécaires dans deux de ces villes. Aucun changement notable dans la capacité des propriétaires à rembourser leur prêt hypothécaire n’a été observé. Cependant, la baisse de la valeur marchande peut limiter la capacité d’emprunt. L’institution financière qui a fourni les données a demandé aux auteurs de ne pas nommer les deux municipalités.
Le cas de Fredericton
Une étude de cas a aussi été menée à Fredericton, capitale du Nouveau-Brunswick, où des inondations ont été fréquentes durant une décennie. Des inondations ont frappé la ville de 2008 à 2018, sauf en 2016. Les demandes d’indemnisation pour pertes ont varié entre 1,4 M$ et 25 M$, pour une moyenne de 13,4 M$. Le total des indemnités n’a toutefois pas été établi en 2011, 2015 et 2017.
Une autre inondation importante a eu lieu en 2019. Dans cette collectivité, les chercheurs n’ont observé aucune variation significative dans le prix de vente des maisons ou le nombre de jours sur le marché dans la zone inondée comparativement à la zone témoin. « Les effets des inondations peuvent s’intégrer de manière permanente aux prix du marché immobilier », disent les auteurs de l’étude.
On énumère quelques facteurs qui expliquent la réduction de 44,3 % des ventes après une inondation, à partir des résultats observés à Fredericton en 2019 : 1) peur d’avoir à demander un prix plus bas après l’événement ; 2) désir de laisser du temps à la perception négative engendrée par l’inondation de s’effacer ; 3) temps nécessaire pour remettre la maison en état avant de l’annoncer, en cas de dommages.
Des recommandations
Le rapport du CIAC suggère quelques actions à prendre pour aider les Canadiens à atténuer leur exposition aux risques d’inondation :
- Protection des maisons : les municipalités, les institutions financières, les assureurs et les associations immobilières devraient communiquer des conseils aux propriétaires pour réduire le risque d’inondation des sous-sols. Le CIAC a d’ailleurs lancé en 2021 un guide sur la protection des habitations contre les inondations ;
- cartographie : le gouvernement fédéral doit actualiser les cartes des risques d’inondation et s’assurer de les diffuser largement ;
- cotation des risques : comme cela se fait déjà aux États-Unis, le gouvernement fédéral devrait créer un système de cotation des risques d’inondation basé sur le code postal ;
- milieux naturels : tous les paliers de gouvernement doivent s’engager à favoriser la restauration et la conservation des habitats naturels qui permettent de limiter les risques d’inondation (forêts, prairies, milieux humides) ;
- mitigation : les collectivités doivent dès maintenant délimiter et protéger les zones à haut risque d’inondation. La norme CSA-Z800-18, intitulée Lignes directrices sur la protection des sous-sols contre les inondations et la réduction des risques, contient une liste complète des mesures de protection contre les tempêtes et les refoulements d’égout.
Conséquences
Comme le constatait le Groupe intergouvernemental sur l’environnement et le climat (GIEC) dans son rapport 2021, les risques d’inondation attribuables aux changements climatiques et aux phénomènes météorologiques extrêmes, dont certains sont associés à un aménagement déficient du territoire, seront de plus en plus difficiles à maîtriser dans de nombreuses régions du Canada. Cette mauvaise nouvelle peut être compensée par les efforts de prévention menés par divers organismes publics et privés.
La dépréciation d’une propriété résidentielle en raison des inondations concerne à la fois le prêteur hypothécaire et son assureur. Si la valeur d’une propriété hypothéquée est compromise par un risque d’inondation imprévu, le prêteur et l’assureur peuvent approuver par erreur ou mal calculer les taux d’intérêt et l’assurance hypothécaires.
Pour réduire ce risque, les prêteurs et les assureurs pourraient exiger une évaluation des risques d’inondation comme condition obligatoire à la couverture. Si ces risques continuent d’augmenter, on peut s’attendre à ce que le Bureau du surintendant des institutions financières (BSIF) force les prêteurs à ajuster leurs réserves de capital.
« Aucune priorité commune ne réunira davantage les Canadiens d’un océan à l’autre que la protection de leur habitation contre les inondations, qu’ils la louent ou en soient propriétaires », concluent les auteurs.
Des réactions
Selon l’un des auteurs du rapport, Blair Feltmate, « le Canada doit apprendre à gérer le risque d’inondation, plutôt que de l’ignorer. Comme les inondations résidentielles constituent la conséquence la plus coûteuse et la plus fréquente des phénomènes météorologiques extrêmes, les urbanistes devraient redoubler d’efforts pour tenir compte de l’adaptation dans l’aménagement des collectivités », dit-il.
De son côté, Gary Will, président de Will Davidson LLP, société-conseil en matière de risque d’inondation, indique ne pas être surpris des conclusions de ce rapport, lesquelles « soulignent l’importance de s’attaquer activement à la réduction des risques d’inondation par la mise à jour des modèles et des cartes des plaines inondables ».
Steve Mennhill, chef du changement climatique à la Société canadienne d’hypothèques et de logement (SCHL), rappelle que la résidence est le principal investissement de la plupart des propriétaires et qu’un grand nombre de consommateurs « tireraient profit d’un effort collectif visant à protéger cet investissement de la menace croissante des inondations ».