De nombreuses communautés au Canada ont besoin de logements abordables, mais les règles actuelles font en sorte qu’une bonne partie de ces habitations sont situées dans des zones à risque élevé de sinistres associés à des événements météorologiques extrêmes.
Publié le 6 février dernier, le problème évoqué dans le rapport de l’Institut climatique du Canada (ICC), Des risques à nos portes : construire de nouveaux logements à l’abri des impacts climatiques, se résume grâce au titre de l’introduction, « La maison la plus abordable est celle qui n’a pas à être reconstruite. »
Selon la Société canadienne d’hypothèques et de logement (SCHL), si le Canada veut atteindre les cibles gouvernementales en matière de logement abordable, il faudrait construire quelque 5,8 millions d’habitations d’ici 2030. Cela représente une hausse de 35 % du parc d’unités résidentielles, qui en compte 16 millions au pays.
L’analyse faite par l’Institut montre que des centaines de milliers de ces habitations pourraient être construites dans des zones hautement vulnérables aux inondations ou aux feux de forêt. En conséquence, les auteurs du rapport estiment qu’« il faut écarter la construction résidentielle de ces zones » à risque élevé et « canaliser les investissements pour le logement vers des zones sécuritaires, tout en encourageant l’accélération de la construction ».
Si les politiques d’aménagement demeurent les mêmes dans les provinces et territoires, beaucoup de ces nouveaux logements seront bâtis dans des régions sujettes aux inondations ou aux feux de forêt. « Une grande partie de ce nouveau risque provient d’un nombre relativement faible de constructions dans les zones les plus dangereuses », indique l’Institut.
La modélisation des risques de feux de forêt utilisée dans le rapport a été élaborée par la coopérative de services financiers Co-operators. La société Fathom Global a conçu le modèle des risques d’inondations. Les risques futurs en matière de logement ont été analysés par Sustainability Solutions Group.
Cinq conclusions
Le rapport très étoffé de plus de 140 pages permet à l’Institut de tirer cinq conclusions. Premièrement, d’ici 2030, il pourrait se construire plus de 540 000 logements dans des zones inondables et plus de 220 000 dans les municipalités exposées à des risques élevés de feux de forêt. Selon le scénario pessimiste, les pertes annuelles pourraient dépasser les 3 milliards de dollars (G$) par année.
Deuxièmement, il y a un lien entre la rigueur des politiques d’aménagement du territoire et le niveau de risque encouru par les habitants de ces nouveaux logements. Certaines municipalités qui subissent des pressions pour faire passer le besoin immédiat de logements avant la sécurité peuvent approuver des projets dans des zones à risque. Les provinces les plus strictes en matière d’aménagement, comme l’Ontario et la Saskatchewan, présentent des risques relativement bas pour leur parc de logements et sont ainsi des exemples à suivre, selon l’Institut.
Troisièmement, en redirigeant seulement 3 % des logements à construire d’ici 2030, soit 150 000 unités, vers des terrains plus sécuritaires, l’Institut estime qu’on pourrait réduire de près de 80 % le risque d’inondation.
Quatrièmement, les programmes fédéraux et provinciaux encouragent la construction sans considérer le risque climatique, notamment en raison des règles de financement des infrastructures. De plus, « les programmes d’aide aux sinistrés contribuent au problème par la création d’un aléa moral où les municipalités et les propriétaires misent sur le rétablissement après sinistre plutôt que sur l’évitement proactif des risques ».
Cinquièmement, la prise de décisions en matière de logement est faite en l’absence d’information sur les risques climatiques. Les cartes des zones inondables sont désuètes et la modélisation des risques liés aux feux est incomplète. Les transactions immobilières ont lieu dans l’ignorance de cette information par les acquéreurs. En conséquence, beaucoup de gens continuent de construire, d’acheter ou de louer dans des zones à risque élevé.
Des recommandations
Les recommandations faites par l’Institut visent donc à pallier les lacunes observées. Les règles de financement des programmes gouvernementaux doivent être élargies pour mieux évaluer le risque climatique.
L’encadrement de la construction doit inclure des normes nationales qui augmentent la résilience des immeubles contre les aléas climatiques, en plus de limiter les nouvelles habitations dans les zones vulnérables. Certaines protections structurales pourraient ne pas suffire avec l’intensification des risques causée par les changements climatiques.
Pour les régions habitées voisines des territoires forestiers plus propices aux feux, l’Institut suggère que des mesures d’atténuation comme les pratiques Intelli-feu (FireSmart) soient exigées par les gouvernements et les initiatives locales doivent prévoir des mesures complémentaires.
Les programmes d’aide aux sinistres doivent viser à décourager la construction dans les zones à risque, en rendant les bâtiments sinistrés inadmissibles à l’indemnisation par l’État. « On enverrait ainsi un signal clair aux propriétaires et aux promoteurs que ces zones sont inadaptées et dangereuses. » Le futur programme national d’assurance inondation devrait limiter sa couverture aux logements construits avant sa mise en œuvre.
Le libre accès à des cartes exactes et à jour concernant les risques d’inondation ou de feux de forêt doit être privilégié par les gouvernements, suggère l’Institut. L’encadrement des autorités réglementaires des professions dans le secteur de l’immobilier devrait inclure le signalement obligatoire des risques d’aléas climatiques. Cela inclut le cadre réglementaire imposé aux assureurs et qui devrait favoriser plus de transparence en la matière, ajoute l’Institut.
Enfin, le gouvernement fédéral doit mener un programme ciblant les communautés autochtones, qui en comprend plusieurs où les besoins de logement sont pressants, mais où les terrains sécuritaires sont rares. L’Institut prône aussi l’intégration du savoir traditionnel sur les dangers climatiques. La firme Shared Value Solutions a produit un rapport qui met en lumière les défis distincts des Premières Nations en matière de logement.
L’impact des feux
Les dommages aux nouvelles habitations causées par les feux de forêt catastrophiques pourraient surpasser de loin les pertes annuelles moyennes, selon l’analyse de l’Institut basé sur la modélisation fournie par Co-operators.
Les hausses projetées des pertes causées par les feux pourraient faire grimper les dommages de 155 %, soit l’équivalent de 1,1 milliard de dollars (G$) en pertes annuelles moyennes supplémentaires.