On ne connaît toujours pas les intentions du gouvernement concernant l’obligation de défense imposée aux assureurs par le Code civil du Québec. Le projet de Règlement sur les catégories de contrats d’assurance et d’assurés pouvant déroger aux règles des articles 2500 et 2503 du Code civil a été soumis à la consultation publique le 8 septembre dernier.
Les groupes intéressés ont eu 45 jours, soit jusqu’au 25 octobre 2021, pour commenter le document. Depuis ce temps, l’industrie attend la publication du règlement définitif dans la Gazette officielle du Québec.
Une fois par mois, le Portail de l’assurance demande au ministère des Finances du Québec si le dossier progresse. Cela n’était pas encore le cas au début avril.
Il n’y avait toujours rien de neuf dans l’édition du 13 avril 2022 de la Gazette officielle. Cinq mois et demi après la fin de la consultation, le règlement définitif n’a toujours pas été publié. On ne sait toujours pas à quel moment il le sera.
Un flou
Selon Monique Gagnon, courtière au sein du cabinet Ostiguy Gendron, le Code civil du Québec est « très généreux » d’offrir cette garantie de couverture des frais de défense afin d’assurer que les limites de la couverture servent entièrement à dédommager les tiers lésés en responsabilité civile.
« On voit déjà que dans certains segments plus pointus, comme le secteur pharmaceutique, le même assureur est prêt à souscrire le risque aux États-Unis, mais pas au Québec. Aux États-Unis, il sait que s’il met 2 M$ sur la table comme limite de couverture, en cas de sinistre, ça s’arrêtera là. Au Québec, il ne sait pas où ça s’arrête », dit-elle.
Pour les sociétés publiques inscrites en bourse, ce changement apporté au Code civil aura certainement un grand impact, confirme Jean-Philippe Martineau, président du cabinet Ostiguy Gendron. « J’ai eu l’autre volet, celui des gestionnaires de risques. Cela représente un avantage pour eux, car ils n’ont pas besoin d’évaluer de combien ils doivent augmenter la limite de leur garantie », dit-il.
Les limites sont plus floues et c’est le genre de risque pour lequel les assureurs sont peu friands. Il n’y a pas de consensus là-dessus entre les courtiers. Le statu quo n’est pas possible, selon M. Martineau. Les assureurs ont déjà cessé d’offrir cette garantie dans certains segments, par exemple la production de cannabis. « Le courtier veut toujours le plus d’options pour son client », dit-il.
Autres courtiers
En responsabilité civile des administrateurs et dirigeants, les capacités demeurent restreintes chez les assureurs domestiques, mais aussi du côté des assureurs internationaux. « À Londres, pour les dossiers du Québec, les portes sont fermées tant que les changements apportés au Code civil par la loi 82 ne se seront pas concrétisés », indique Chanel Corbeil, courtière en assurance de dommages des entreprises chez HUB International.
« Nos plus gros clients attendent de savoir ce qu’il se passe avec cette réforme, car on s’attend à ce que les assureurs fassent des changements à cet égard », ajoute-t-elle.
Catherine Lanctôt, vice-présidente d’Aon Canada, rappelle que ce sont les entreprises établies au Québec qui menacent d’installer leur siège social ailleurs, si cette question des frais de défense devient un réel problème d’assurance. « Plus l’entreprise est grosse, plus cet impact du changement législatif est senti », dit-elle.
Les entreprises publiques et cotées sur les marchés boursiers nord-américains sont plus anxieuses à l’égard du format final du règlement. « Ça fait partie de nos préoccupations depuis 2019 en raison des changements apportés à la question de la responsabilité des administrateurs et dirigeants. On suit le dossier de très près et il faudra se montrer très agile quand le règlement définitif sera publié », dit-elle.
Selon Mme Lanctôt, l’écoute dont fait preuve le ministère des Finances dans ce dossier est une bonne nouvelle. « Ils auraient très bien pu décider que la version du projet de règlement allait être finale. Il y avait beaucoup d’enjeux dans ce texte qui aurait pu littéralement causer plus de problèmes qu’actuellement, en raison des difficultés d’application », dit-elle.
Les assureurs ne sont pas obligés de déployer de la capacité en responsabilité civile des administrateurs et dirigeants (A&D) au Québec, souligne-t-elle.
« Un assureur pourrait très bien décider de sortir du Québec, ce qui aurait un effet encore plus catastrophique. En ce moment, nous sommes encore capables de compléter les capacités pour la grande majorité des clients. Le produit coûte très cher et plus le client est gros, plus l’écart s’agrandit si on compare cela avec ce que nos clients paient hors Québec », conclut Catherine Lanctôt.
Mémoire du BAC
Le Bureau d’assurance du Canada (BAC) avait soumis un mémoire durant cet exercice de consultation. Dans ses commentaires généraux, le BAC note que « pour le projet de règlement ait l’effet escompté, il doit permettre deux choses : une meilleure prévisibilité des risques et une certitude réglementaire, procurées par un libellé sans ambiguïté quant à l’application des règles qu’il édicte. Les articles 4, 6 et 8 alinéa 1 n’offrent ni l’une ni l’autre ».
« Le maintien de ces articles aura pour effet de perpétuer l’isolement du Québec ainsi que les enjeux d’accès à l’assurance pour les entreprises québécoises », lit-on dans le mémoire.
Selon le BAC, la réforme réussira si les règles d’application proposées sont simples pour l’assureur et pour l’assuré. Les mécanismes complexes et peu adaptés aux pratiques de l’assurance favorisent plutôt « les litiges et l’incertitude, ce qui freinera l’utilisation des exemptions proposées par le règlement ».
Vérification faite à la fin de l’hiver, le BAC maintient la position présentée dans ce mémoire. « Nous croyons que les ajustements proposés permettront une application du règlement mieux adaptée à la réalité du marché », indique dans un courriel Pierre Babinsky, directeur des communications et des affaires publiques du Bureau.
L’article 8
Le BAC recommande au gouvernement d’abandonner complètement le premier alinéa de l’article 8 du projet de règlement, qui dit :
« Lorsqu’un contrat d’assurance de responsabilité civile prévoit que le montant de l’assurance n’est pas affecté exclusivement au paiement des tiers lésés, le pourcentage de ce montant qui peut être affecté à d’autres fins que ce paiement ne peut excéder 50 %, à moins que l’assuré ne soit déclaré non responsable ou que les paiements aux tiers lésés n’atteignent pas ce 50 %. »
Le BAC souligne que contrairement à l’article 71 du New York Code Title 11 Insurance dont on voulait s’inspirer, où cette règle s’applique aux petites entreprises, cette disposition s’appliquerait principalement aux lignes spécialisées et aux risques d’envergure. Pour les PME « qui ne peuvent déroger aux articles 2500 et 2503, c’est 100 % de la limite qui est réservée aux tiers lésés et 100 % des frais de défense qui sont assumés par l’assureur ».
Cette obligation d’affecter un montant exclusif aux tiers lésés est contre-indiquée, selon le BAC, car dans la majorité des cas, l’assuré n’a pas l’obligation de détenir un contrat d’assurance pour garantir un montant d’indemnisation à un tiers lésé. « L’objectif premier d’un contrat d’assurance responsabilité est de protéger le patrimoine de l’assuré de poursuites d’un tiers. »
Le BAC insiste : « Il n’y a pas de problématique liée à l’indemnisation des tiers dans les juridictions où cette règle du 50 % n’existe pas. Les entreprises gèrent leurs risques adéquatement et dans les cas exceptionnels où prévalent des enjeux de solvabilité, les mécanismes judiciaires existants permettent de protéger les victimes. »