Tous les assureurs privés devraient rembourser les médicaments pour traiter l’obésité, selon l’un des principaux experts dans le traitement de cette maladie au Québec, le Dr Yves Robitaille. Actuellement, d’après ses estimations, près de 70 % des compagnies d’assurance imitent la Régie de l’assurance maladie du Québec (RAMQ) et refusent toujours de rembourser les médicaments destinés à la perte de poids même s’ils sont autorisés par Santé Canada.
Le Dr Robitaille est directeur médical du Centre de médecine métabolique de Lanaudière. Près de 95 % de sa pratique est consacrée à des patients obèses ou en surpoids. L’obésité est en augmentation partout à travers le monde. Elle entraîne une multitude de complications médicales et de décès. En Europe, on estime que 1,2 million de personnes en meurent chaque année.
Trois médicaments sont disponibles au Canada pour la prise en charge de l’obésité. Un quatrième, le sémaglutide, s’est ajouté à la liste l’an dernier, mais il n’est pas disponible en raison d’un problème mondial d’approvisionnement.
Des médicaments exclus du régime public
Au Québec, ces médicaments ne sont pas remboursés par le régime public, une situation qui est aussi déplorée par le Dr Rémi Rabasa-Lhoret, endocrinologue et directeur du Conseil professionnel de Diabète Québec. Toutes les demandes de paiements sont refusées par la RAMQ, même pour les patients d’exception, parce qu’elle les classe toujours comme des médicaments de nature esthétique.
Le Québec n’est pas seul à adopter cette politique. Aucun régime public des dix provinces n’autorise le paiement des prescriptions de ces agents. La France, les États-Unis, la Belgique et la Nouvelle-Zélande ne le font pas non plus.
Le Royaume-Uni et l’Australie remboursent l’orlistat (120 mg). Le Royaume-Uni le fait aussi pour le liraglutide et a émis un avis favorable au sémaglutide. Ces remboursements sont permis uniquement si la personne reçoit ou s’inscrit pour recevoir des conseils professionnels en matière de diététique, de gestion du poids et d’augmentation de l’activité physique.
L’obésité, une maladie chronique
« La racine du problème pour obtenir un remboursement de la médication est la difficulté de faire reconnaître l’obésité comme une maladie chronique, comme le font l’Organisation mondiale de la santé (OMS) et l’American Medical Association. C’est malheureusement moins clair auprès des tiers payeurs. (…) C’est une mentalité qui est difficile à changer », déplore le Dr Robitaille.
Contrairement à un mythe solidement répandu, l’obésité n’est pas seulement une affaire de mauvaises habitudes de vie. Des défauts dans la régulation de la réserve énergétique de l’individu, dans la génétique et les habitudes des 1 000 premiers jours de vie sont des déterminants majeurs dans le développement de cette pathologie.
La médication ne sert pas seulement à perdre du poids, mais aussi à maintenir cette perte. Il est démontré que 90 % des gens qui ont perdu plus de 10 % de leur poids l’auront repris après un an parce que leur organisme cherche à retrouver son niveau de réserve énergétique d’antan, révèle le médecin. Or, la médication les aiderait à maintenir le poids perdu. C’est l’un de ses grands avantages. Il se pourrait que des patients doivent prendre ces médicaments à vie. C’est du cas par cas, explique le Dr Robitaille.
La modification des habitudes de vie insuffisante
Des experts québécois ont réalisé en 2022 un État des connaissances sur la pharmacothérapie de l’obésité pour l’Institut national d’excellence en santé et services sociaux (INESSS) à la demande du ministère de la Santé et des Services Sociaux. Le Dr Robitaille y a contribué avec plusieurs autres médecins spécialistes. Ce rapport décrit les avantages de la médication, mais sans émettre de recommandations.
Selon le médicament utilisé, la perte de poids moyenne observée avec la pharmacothérapie utilisée en combinaison avec un changement des habitudes de vie pourrait s’échelonner entre 3 et 17 % de plus qu’avec la seule modification des habitudes de vie. Une perte de poids minimale de 5 % en changeant seulement ses habitudes est très exigeante pour la personne obèse en raison de ses prédispositions biologiques et génétiques, indique-t-on.
Le remboursement de la médication contre l’obésité en pédiatrie (6 à 18 ans) permettrait d’offrir une option de rechange à la chirurgie bariatrique aux enfants et adolescents.
En l’absence de médication remboursée par le régime public ou les assureurs, les patients obèses doivent payer pour ces médicaments qui peuvent coûter entre 150 $ et 500 $ par mois. Le coût du liraglutide au Québec s’élèverait à 5 327 $ par année. Comme beaucoup de gens ne peuvent débourser de telles sommes, les cliniciens doivent se tourner vers d’autres options pour obtenir une perte de poids avec des résultats variables et souvent modestes.
Le rapport de l’INESSS témoigne d’une nouvelle sensibilité du ministère de la Santé et de la RAMQ dont se réjouit le Dr Robitaille, mais pour l’instant, il est resté sans effet et les paiements sont toujours refusés en mai 2023.
« Si l’on ne paie pas maintenant… »
Le médecin estime qu’environ 30 % des assureurs au Québec vont plus loin que la RAMQ et remboursent les médicaments pour l’obésité, mais à ses yeux, ce n’est pas suffisant : tous auraient à le faire pour le futur. À l’issue d’une conférence qu’il avait donnée devant des assureurs, un de ses représentants avait lancé lors de la période de questions : « Si l’on ne paie pas maintenant, on va payer plus tard. »
Selon le Dr Robitaille, il avait compris qu’il fallait mieux commencer à traiter le problème en amont afin de réaliser des économies à grande échelle dans le futur grâce à la diminution des complications parce que la prise en charge de ses effets importants sera beaucoup plus coûteuse à long terme. Rares sont les patients qui vont souffrir d’une seule complication. En traitant le surpoids, on peut faire reculer plusieurs maladies majeures en même temps dès maintenant, indique-t-il.
« Ça prend une approche multidisciplinaire »
« On en a besoin », dit ce spécialiste à propos de la médication de l’obésité, mais il insiste toutefois sur la nécessité d’une approche multidisciplinaire globale impliquant des nutritionnistes, des kinésiologues et des psychologues.
« On ne peut pas se rabattre sur l’utilisation de la seule médication pour arriver à régler le problème de l’obésité. C’est malheureusement une tendance que je vois et que je trouve plutôt nuisible », dit-il.
Avant de se lancer dans des projets pilotes, il faudra établir des conditions préalables pour s’assurer qu’il n’y aura pas une utilisation inappropriée de la médication. La RAMQ a posé des conditions pour rembourser les chirurgies bariatriques. Yves Robitaille croit que l’on pourrait faire la même chose avec la prescription.
La majorité des assureurs qui remboursent ces médicaments obligent les médecins à remplir des formulaires afin de savoir si le patient participe à un programme de prise en charge globale. Le Dr Robitaille se dit en faveur de ce type de contrôle pour éviter que des médecins se contentent de prescrire ces médicaments dispendieux sans l’encadrement et le suivi nécessaires.