Le 17 février dernier, le juge Alexandre St-Onge a imposé des amendes totalisant 185 000 $ à Patrick Alain

La décision a été rendue le 17 février dernier. L’Autorité des marchés financiers en a fait l’annonce par voie de communiqué le 19 avril 2023. 

L’intimé avait été reconnu coupable de six chefs d’accusation le 23 septembre 2021, pour des manquements à la Loi sur les assurances (maintenant la Loi sur les assureurs).

À titre de dirigeant, M. Alain avait consenti ou participé à ce que Temple, Société générale d’assurances (9281-4649 Québec inc.) et Lloyd’s entreprises de souscripteurs (8151601 Canada inc.) agissent comme assureurs sans détenir de permis délivré en vertu de la Loi sur les assurances

La plainte soumise par l’Autorité remontait au 31 mai 2018 et touchait aussi un autre dirigeant. L’enquête de l’Autorité avait permis d’établir que ces deux personnes avaient agi comme signataires ou mandataires de faux documents de cautionnement dans le cadre de contrats de construction d’organismes publics au nom des entrepreneurs généraux contrôlés indirectement par Patrick Alain. 

Le 17 novembre 2020, la poursuite pénale intentée à l’encontre de Frank Katata avait fini par un acquittement par la Cour du Québec. Il faisait face à un chef d’accusation pour avoir aidé à l’exercice illégal de l’activité d’assureur. 

Une partie des organismes publics exigeaient, avant d’octroyer des contrats aux entrepreneurs généraux Construction Al Basma et Travaux Routiers Majeurs (TRM), une garantie de soumission sous la forme d’un cautionnement. D’autres organismes publics avaient inclus cette exigence dans leur appel d’offres.

Chacun des donneurs d’ouvrage a obtenu des cautionnements de soumission et d’exécution fournis par Temple et Lloyd's, lesquelles n’étaient pas détentrices d’un permis et ne pouvaient légalement fournir ces cautionnements de soumission ou d’exécution. 

Refonte législative 

La plainte soumise par l’Autorité a été déposée juste avant l’entrée en vigueur de la nouvelle Loi sur les assureurs en juillet 2018. Le juge St-Onge a dû déterminer s’il s’agissait alors d’une réforme ou d’une refonte législative.

L’article 201 de la précédente Loi sur les assurances n’est pas similaire à l’article 21 de la Loi sur les assureurs. Même s’ils ne sont pas formulés de la même manière, la nature de l’infraction demeure la même : il est interdit d’exercer l’activité d’assureur dans le contexte de l’exploitation d’une entreprise sans avoir obtenu l’autorisation de l’Autorité. 

Le juge conclut que si l’infraction a une valeur de refonte dans le contexte de la nouvelle loi, les nouvelles peines applicables qui remplaçaient les autres ont plutôt valeur de réforme. 

Voile corporatif 

Le tribunal rappelle que l’article 317 du Code civil du Québec établit « qu’une personne ne peut se réfugier derrière la personnalité juridique distincte d’une société afin de poser des gestes malveillants, comme la fraude, l’abus de droit ou la contravention à une règle d’ordre public », ce qui est de la loi concernée dans cette poursuite. 

En l’espèce, outre les sociétés Lloyd’s, Patrick Alain contrôlait aussi deux autres sociétés étroitement reliées à l’affaire. Le tribunal peut lever le voile corporatif si les sociétés « ne servent que d’instruments à des fins délictuelles ». 

Lloyd’s (la caution), Basma (l’entrepreneur général) et Feal (gestionnaire) étaient entièrement contrôlées par M. Alain. 

La preuve révèle que le défendeur a mis en place une structure corporative qui visait à fragmenter l’implication de chacune de ses sociétés dans le but de se soustraire lui-même et ses sociétés à l’application de la Loi sur les assurances, qui est d’ordre public. 

Pour les quatre projets impliquant Basma (chefs 6, 8, 10 et 12), le tribunal conclut que le voile corporatif doit être levé, car Lloyd’s agissait à titre de caution sans détenir le permis et sans percevoir aucune somme pour le faire. En plus, Gestion Feal, par l’entremise de Basma, percevait l’entièreté des sommes reçues et payait les montants dus. 

Ensuite, Basma, Lloyd's et le défendeur désertaient les chantiers entrepris et laissaient les donneurs d’ouvrage se débrouiller pour trouver un tiers afin de finir les travaux ou en reprenant l’appel d’offres.

Peines recommandées 

Au départ, la plaignante réclamait l’imposition de peines totalisant 1 731 459,46 $ en vertu des amendes prévues à la Loi sur les assurances. Puis, en vertu des nouvelles amendes prévues dans la Loi sur les assureurs, la poursuivante suggère une amende de 50 000 $ pour chaque chef, en plus du remboursement de l’avantage pécuniaire tiré par le défendeur. 

De son côté, le défendeur proposait l’imposition de la peine minimale de 3 000 $ pour chacun des six chefs sur lesquels il a été déclaré coupable. Il a fait la même recommandation lors de la discussion qui suivait sur l’impact du changement législatif. 

Amendes variées 

Les amendes imposées sont les suivantes, par ordre d’importance : 75 000 $ (chef 12), 30 000 $ (chefs 6, 8 et 10) et 10 000 $ (chefs 1 et 4). 

Pour la peine la plus lourde reliée au chef 12, le juge St-Onge note que la poursuite réclamait l’imposition d’une amende supplémentaire de plus de 241 000 $ qui correspondait à l’avantage pécuniaire dont a tiré profit le défendeur. 

La preuve retenue dans le jugement rendu en septembre 2021 par la juge Linda Despots montrait que le défendeur avait encaissé un chèque du même ordre de la part du donneur d’ouvrage afin que la caution remplisse ses obligations et voit à l’achèvement des travaux. Après avoir encaissé le chèque, le défendeur a informé le client que la caution n’allait pas finir les travaux. 

L’article 525 de la Loi sur les assureurs invoqué par la poursuite pour demander cette amende supplémentaire prévoit expressément qu’un avis doit être joint au constat d’infraction, ce qui n’a pas été fait. Au final, le juge St-Onge tient compte des facteurs aggravants et de l’avantage pécuniaire obtenu par le défendeur pour lui imposer une peine de 75 000 $. 

Concernant les chefs 1 et 4, les contrats ont été octroyés par divers organismes publics en 2013 : la commission scolaire English Montreal (CESM) et le ministère des Transports du Québec (MTQ). Dans les deux cas, ce sont les plaintes des sous-traitants de l’entrepreneur général, insatisfaits de ne pas être payés, qui ont dénoncé la situation auprès du donneur d’ouvrage, qui se rend alors compte que le cautionnement n’est pas valide. 

Pour les chefs 6, 8, 10 et 12, les donneurs d’ouvrage respectifs sont le Centre d’éducation aux adultes de Brossard piloté par la Commission scolaire Marie-Victorin (CSMV), l’Office municipal d’habitation de Montréal (OMHM), le Centre socioculturel de Brossard et le Collège du Bois-de-Boulogne (CBDB). 

Dans le cas de l’OMHM, sa représentante reconnaît ne pas s’être méfiée du nom derrière le fournisseur de la caution, croyant qu’il s’agissait de la compagnie internationale bien connue. 

Dans les quatre chantiers, le défendeur a refusé d’honorer ses engagements et la caution s’est avérée invalide. 

Le tribunal entendra à nouveau les parties pour discuter des frais et du délai pour payer l’amende.