Garantie prolongée ou contrat d’assurance ? Le plan de protection AppleCare+ peut maintenant continuer à faire l’objet d’une enquête de l’Autorité des marchés financiers (AMF).
Le 3 avril dernier, la Cour d’appel a en effet refusé de renverser un jugement de la Cour supérieure qui a établi en novembre 2021 que l’Autorité est bien habilitée à enquêter sur le plan AppleCare+ que propose le géant de l’électronique Apple aux acquéreurs québécois de ses produits.
Arguant que le AppleCare+ est une garantie prolongée et non un contrat d’assurance, Apple Canada contestait depuis deux ans la décision d’enquêter qu’avait prise l’Autorité en mars 2021. Apple prétendait notamment que cette démarche ne se situait pas dans les champs de compétence de l’organisme chargé de la protection du public en matière d’assurance et de produits financiers.
Décision d’enquêter... contestée
Le déclenchement d’une enquête de la part de l’Autorité à l’endroit d’Apple Canada, le 3 mars 2021, a été suivi par l’envoi de deux subpoenas, en mars et mai 2021, qui demandaient à la multinationale de fournir à l’organisme « certaines informations et documents relativement au plan AppleCare+ » offert au Québec lors de l’achat de divers produits Apple.
L’Autorité mentionne dans ces subpoenas vouloir vérifier et déterminer si le plan se conforme à la Loi sur les assureurs et à la Loi sur la distribution de produits et services financiers, deux lois dont elle est chargée de veiller à l’application et au respect.
Rappelons qu’une décision d’enquêter signifie que l’Autorité recueille et analyse des informations, une démarche qui peut ou non mener à des constats d’infraction. On ne peut conclure à cette étape que l’entreprise faisant l’objet d’une investigation a contrevenu à une loi.
Refusant de se conformer aux subpoenas, Apple a rappliqué, le 11 juin 2021, en déposant en Cour supérieure une demande de contrôle judiciaire à l’égard de l’Autorité. Apple demande alors que la décision d’enquêter soit annulée par la Cour, que les subpoenas soient suspendus, et que le Tribunal déclare que le plan AppleCare+ n’est pas un contrat d’assurance, mais bien une garantie prolongée, ce qui exclurait du coup tout motif raisonnable pour l’Autorité de mener une enquête.
La suspension des subpoenas a été rejetée, Apple s’y est donc conformé à l’été 2021 et a fourni à l’Autorité les documents demandés. Mais la Cour supérieure a entendu les parties le 10 novembre 2021 sur le pourvoi en contrôle judiciaire déposé par Apple et sa demande en jugement déclaratoire.
Dans son jugement rendu le 23 novembre 2021, la juge Marie-Anne Paquette rejette d’abord l’argument de l’Autorité qui prétend qu’une décision d’enquêter n’étant que de nature administrative, l’organisme ne peut faire l’objet d’un contrôle judiciaire.
La juge Paquette rappelle que l’Autorité, en tant qu’organisme public, « est soumise au pouvoir général de contrôle judiciaire de la Cour supérieure, et ce à l’égard de toutes les décisions qu’elle prend ». Ce pouvoir de contrôle judiciaire ne pourra toutefois s’exercer que si l’Autorité outrepasse ses compétences, fait valoir la juge Paquette.
« L’Autorité ne pourrait, par exemple, décider de lancer une enquête sur la couleur des bas des acteurs de l’industrie et demeurer exempte de tout contrôle de la légalité d’une telle décision, au motif qu’il s’agit d’une décision administrative et non d’une décision judiciaire ou quasi judiciaire », indique la juge Paquette.
Raisonnable ou déraisonnable ?
En matière de contrôle judiciaire, rappelle la magistrate, la question fondamentale à se poser est de savoir si la décision contestée, dans ce cas-ci la décision d’enquêter prise par l’Autorité, est raisonnable.
Oui, tranche le Tribunal. La juge cite la Loi sur l’encadrement des services financiers comme quoi l’Autorité peut enquêter sur toute entreprise ou toute personne si elle a des motifs raisonnables de croire qu’un manquement à la Loi sur les assurances ou à la Loi sur la distribution de produits et services financiers a été commis.
En outre, le Tribunal se réfère à un jugement de la Cour suprême qui établit que « lorsqu’une cour de justice contrôle la légalité d’une décision administrative, la norme de la décision raisonnable est présumée être celle qui s’applique ». Contrairement à ce que prétend Apple, il n’y a pas lieu d’appliquer la norme de la décision correcte, laquelle obligerait le Tribunal à se prononcer sur le statut juridique (assurance ou garantie prolongée) du plan AppleCare+ avant que l’Autorité puisse déclencher une enquête.
« Nous en sommes au stade embryonnaire où l’Autorité recueille et analyse l’information pour étude ultérieure, résume la juge Paquette. Cette enquête pourra ou non mener à des constats d’infraction, qu’Apple aura tout le loisir de contester, le cas échéant. [...] Pour déterminer si Apple distribue des produits d’assurance, encore faut-il que l’Autorité puisse faire son enquête et dispose des éléments pertinents pour étudier la question. C’est à cette fin qu’elle utilise ici ses pouvoirs d’enquête. »
La prétention d’Apple voulant qu’une telle enquête menée par un organisme de protection du public lui cause un préjudice est aussi rejetée par le Tribunal. « Le risque de fuite est toujours possible, mais ce seul risque ne saurait justifier l’absence d’une enquête dont le but est de protéger le public, souligne la magistrate. Ainsi, le Tribunal n’intervient dans le processus d’enquête du syndic que s’il appert que le syndic agit illégalement, s’il existe de sérieuses interrogations quant à la légalité des nominations ou du processus d’enquête en cours. »
La Cour écarte également la demande de jugement déclaratoire formulée par Apple, jugeant « qu’elle ne saurait être utilisée ici pour contourner la grille analytique restrictive qu’impose le contrôle de la légalité des décisions en cause par voie du pourvoi en contrôle judiciaire ».
Apple n’a donc pas réussi à convaincre la Cour supérieure de se prononcer sur la teneur juridique de son plan AppleCare+.
Apple débouté en appel
Ce jugement a été porté en appel par Apple Canada. L’audience a eu lieu le 17 janvier dernier, en présence de la juge en chef Manon Savard et des juges Geneviève Marcotte et Patrick Healy.
La Cour d’appel estime que la juge de première instance a eu raison d’établir comme raisonnables la décision d’enquêter prise par l’Autorité ainsi que les subpoenas qui en ont découlé.
« La décision d’enquêter de l’AMF issue de l’exercice de son pouvoir discrétionnaire s’avère conforme aux fins pour lesquelles il a été accordé », confirme la Cour d’appel.
Elle donne aussi tort à Apple quant à sa prétention voulant que l’Autorité ait exigé des documents qui ne sont pas essentiels à l’établissement de la vérité. Apple n’a pas fait la démonstration que les deux subpoenas délivrés constituent, pour reprendre les termes de la multinationale qui ont été traduits par la Cour, « une perquisition et une saisie déraisonnables en violation de l’article 8 de la Charte canadienne des droits et libertés ».
Quant à l’aspect sensible et exclusif de l’information et de la documentation fournie par Apple à l’Autorité, la Cour d’appel n’y voit là aucun préjudice dans un contexte d’enquête menée à huis clos, validant la position de la juge de première instance.
« L’appréhension d’Apple à l’égard d’un préjudice potentiel lié à une décision administrative éventuelle tient de la pure hypothèse à ce stade », évalue la Cour d’appel.
Réaction de l’AMF
L’Autorité bouclera-t-elle bientôt son enquête ? « Nous ne commentons jamais ni les modalités ni les étapes entourant une enquête en cours », a répondu Sylvain Théberge, directeur des relations médias pour l’Autorité, au Portail de l’assurance. Il n’a voulu émettre aucun autre commentaire.
Apple Canada était représentée par Éric Vallières, Joséane Chrétien et Emmanuelle Solenn Nohad Khoury, avocats du cabinet McMillan.
Ce qu’est le plan AppleCare+
Le plan AppleCare+ permet de prolonger la garantie limitée d’un an offerte par Apple ainsi que le service d’assistance offert par le fabricant pour un certain temps suivant l’achat d’un produit. Le consommateur peut s’en prévaloir durant le nombre de mois ou d’années qu’il désire, à des coûts mensuels ou annuels qui varient en fonction de l’appareil acquis.
Le plan AppleCare+ permet aussi à l’adhérent de bénéficier d’un nombre illimité de réparations en cas de bris accidentels, service qui est toutefois soumis à l’application de frais que certains qualifient de franchise ou de déductible. Par exemple, des dommages accidentels causés à l’écran d’un iPhone, découlant d’une maladresse durant sa manipulation, seront réparés par Apple moyennant des frais de 39 $ réclamés à l’adhérent. Pour un iPad des frais de service de 49 $ s’appliquent à toute réparation découlant de dommages accidentels.