Le gouvernement du Québec s’apprête à réviser la législation entourant la copropriété immobilière. Les courtiers doivent profiter de l’occasion pour revoir leurs méthodes, tant en matière d’assurance habitation que de responsabilité civile des administrateurs de syndicats de copropriétaires, souligne un expert en copropriété au Québec, Yves Joli-Coeur, associé principal du cabinet De Grandpré Joli-Coeur.
À l’automne 2011, le ministre de la Justice du Québec avait rendu public le rapport du groupe de travail sur la copropriété de la Chambre des notaires du Québec. Au début de 2012, le gouvernement a créé le comité consultatif sur la copropriété, dont le rapport a été déposé et publié en décembre. L’actuel ministre de la Justice, Bertrand Saint-Arnaud, a promis d’y donner suite en soumettant un projet de loi dès ce printemps.
Me Joli-Coeur était membre de ce comité consultatif en tant que représentant du Regroupement des gestionnaires et copropriétaires du Québec. Il est l’auteur du chapitre du rapport qui traite spécifiquement de l’assurance. Il a écrit des livres sur la copropriété et offre des formations, tant aux notaires qu’aux courtiers. À la Journée de l’assurance de dommages 2013, il a fait la revue des maux qui accablent le marché de l’assurance condos.
Depuis la réforme du Code civil du Québec, en 1994, l’article 1073 oblige les copropriétaires à assurer tant les parties communes que les parties privatives de l’immeuble. Malheureusement, ce principe fondamental est méconnu. Il faut donc assurer la valeur à neuf de la totalité de l’immeuble, et cette responsabilité relève des syndicats. Même pour les déclarations de copropriété antérieures à 1994, l’article 1073 du Code civil s’applique, insiste Me Joli-Coeur. Le syndicat a aussi l’obligation de souscrire une assurance en responsabilité civile pour tous ses faits et gestes.
Les copropriétaires doivent aussi assurer les améliorations apportées aux parties privatives, tout comme leur propre responsabilité civile. « Si le chauffe-eau rend l’âme durant la nuit et qu’il inonde trois étages, une partie de ces dommages ne sera pas prise en charge par l’assurance du syndicat, mais bien par celle du copropriétaire et utilisateur de l’appareil en question. »
Bien des projets immobiliers se développent en plusieurs phases et chaque bâtiment dispose de sa propre déclaration de copropriété, comme dans le cas du Faubourg Boisbriand. Il y a là 1 600 copropriétés avec 23 déclarations distinctes, et un immense syndicat qui doit couvrir les parties communes.
Le courtier qui veut offrir de l’assurance habitation à l’un des copropriétaires d’un de ces projets de condos a intérêt à bien s’informer, selon Me Joli-Coeur. « On demande aux promoteurs de densifier le territoire. Ça rend les déclarations de copropriétés beaucoup plus complexes. On veut que tous les intervenants, incluant les consommateurs, comprennent les exigences nouvelles associées à ce type de propriété et à sa complexité. La déclaration de copropriété de 150 pages, ce n’est pas une lecture de chevet. Le client se fie au professionnalisme de son intermédiaire », dit-il.
Or, Me Joli-Coeur constate dans sa pratique que trois fois sur quatre, les bâtiments sont insuffisamment assurés. Le courtier doit s’assurer que les biens à couvrir sont correctement évalués.
« Les administrateurs sont personnellement responsables de cette insuffisance en cas de sinistre. Et les polices en responsabilité civile excluent l’erreur ou l’omission. L’administrateur prend un risque en ne déclarant pas la bonne valeur à assurer. Si tous le savaient, personne ne voudrait siéger à un conseil d’administration. »
Assurance mésadaptée
Malgré tous les efforts du Bureau d’assurance du Canada, ce ne sont pas tous les assureurs qui respectent le modèle de contrat type touchant la copropriété. « Certains assureurs utilisent encore la recette magique en pensant qu’ils assurent le condo comme le commerce de biscuits, en couvrant les arrêts de production, mais c’est de l’assurance commerciale mésadaptée. »
Le rapport recommande aussi au gouvernement de limiter les montants des franchises à des niveaux raisonnables. Pour certains immeubles à Montréal, la franchise pour le dégât des eaux est de 250 000 $. Si le courtier immobilier ne mentionne pas ce fait au client, c’est sa propre responsabilité professionnelle qui est en cause, indique Me Joli-Coeur. Le comité consultatif a aussi recommandé que le Code civil soit amendé de manière à obliger les copropriétaires à contracter une assurance responsabilité individuelle.
Le 18 mars dernier entrait en vigueur le nouveau chapitre « Bâtiments » du Code de sécurité de la Régie du bâtiment du Québec. Selon Me Joli-Coeur, il s’agit d’un changement très important pour l’industrie de l’assurance, car de nombreux immeubles souffrent d’un sérieux déficit d’entretien. Le projet de loi 122 adopté par le gouvernement Charest visait à régler le problème de l’entretien des façades et des dalles de stationnement souterrain.
Pour les façades et des dalles de stationnement de tous les immeubles de cinq étages ou plus, le propriétaire doit désormais tenir un registre des travaux d’entretien et évaluer périodiquement leur état. Tous les cinq ans, un rapport signé par un architecte ou un ingénieur doit constater le bon état de la façade du bâtiment et statuer qu’elle ne présente aucune condition dangereuse.
Le syndicat de copropriétaires qui ne tiendra pas ce carnet d’entretien risque de gros ennuis, dit-il. « Dans le marché des condominiums, il ne faut pas se fier à l’opinion du beau-frère qui vous dit que ce n’est pas grave si le mur est un peu bombé. »
Le courtier devra questionner son client sur l’état du bâtiment avant d’offrir une couverture d’assurance. Dans le cas des stationnements, la disposition s’applique à tous les immeubles. Si la dalle repose sur le sol, l’état de la rampe d’accès qui mène au stationnement doit aussi être vérifié périodiquement. Le Code de sécurité impose aussi de nouvelles obligations touchant les avertisseurs de fumée, les avertisseurs de monoxyde de carbone, les séparateurs coupe-feu, les éclairages de sécurité, ainsi que les systèmes de détection et d’alarme d’incendie.
Aggravation à venir ?
Cette nouvelle règlementation sera-t-elle la source d’aggravation des risques assurables ? « On ne le sait pas encore, indique Me Joli-Coeur. Il faudra certainement mieux s’informer de l’état du bâtiment. S’il y a détérioration du bâtiment, celle-ci doit être notée dans le registre, et l’assureur doit en être informé. Les assureurs sont de plus en plus frileux dans le marché de la copropriété, car ils sont moins nombreux à occuper le marché, et les réclamations sont de plus en plus élevées, surtout pour les dégâts d’eau. »
L’expert ajoute que de nombreux syndicats de copropriétés maintiennent la qualité de leur actif grâce à leur programme d’entretien et au caractère impeccable de leurs systèmes de sécurité. « J’espère qu’en évaluant le risque, les assureurs feront la distinction entre les immeubles bien entretenus et ceux qui le sont moins. Il y a eu une période où les assureurs se limitaient à acquérir des parts de marché, sans se préoccuper de l’état du bâtiment. Ça nous aidera peut-être à mieux cibler les risques en matière de copropriétés. »
Dans plusieurs immeubles où les condominiums sont offerts à la location, le syndicat de copropriétaires a souvent des problèmes à obtenir une couverture d’assurance en responsabilité civile, note-t-il. Or, celle-ci doit s’imbriquer adéquatement avec la couverture individuelle de chaque copropriétaire.
Autre problème soulevé lors des échanges avec l’assistance : dans bien des cas, la municipalité ne s’occupe pas de l’entretien des réseaux d’aqueduc et d’égout sous les chemins d’accès qui relient les bâtiments d’un complexe immobilier. Les copropriétaires découvrent, souvent bien après leur arrivée dans l’immeuble, qu’ils sont responsables de ces parties communes. On ne peut forcer le syndicat à souscrire une assurance qui n’existe pas, note Me Joli-Coeur. « La conduite d’égout ne s’en ira pas et ne brulera pas, mais si elle est mal posée et contamine les terrains voisins, on a là un vrai litige en responsabilité civile », illustre-t-il.
Le comité consultatif recommande aussi que soit mieux défini ce qu’est une amélioration. Me Joli-Coeur note que le Québec pourrait s’inspirer de la règlementation en vigueur en Ontario. Les experts en sinistre sont régulièrement confrontés à ce problème dans les appartements fraichement rénovés, où les nouveaux matériaux n’ont pas été correctement évalués lors de la souscription. « Chaque déclaration a ses particularités, alors on ne peut pas agir comme intermédiaire en assurance ou expert en sinistre sans avoir lu ce document », conclut-il.