Le marché canadien de l’assurance de dommages a été marqué par de nombreuses améliorations en 2011. 2012 devrait être dans la même veine.Divers analystes de l’industrie joints par le Journal de l’assurance disent toutefois qu’il n’est pas certain que les changements effectués au cours des derniers mois apporteront la rentabilité espérée à long terme. Les couts des catastrophes, la compétition féroce entre assureurs, les nouvelles exigences de capitaux et autres changements règlementaires sont des défis que l’industrie devra surmonter si elle veut poursuivre dans l’ère de stabilité actuelle.
Les analystes s’entendent pour dire que 2011 a marqué un tournant dans l’industrie de l’assurance de dommages. Les réformes amorcées dans le marché de l’assurance auto en Ontario et les efforts combinés des assureurs et des régulateurs pour combattre les réclamations frauduleuses ont contribué à protéger les bénéfices et la rentabilité de l’industrie. Sans les désastres tels que celui de Slave Lake, en Alberta, l’année des assureurs de dommages aurait été encore meilleure.
Pour 2012, les analystes se sont dit encouragés par le temps doux du premier trimestre. Les évènements récents survenus à Montréal, Mirabel et Thunder Bay risquent toutefois d’entamer quelque peu leur enthousiasme.
Malgré les améliorations apportées, il reste quelques facteurs qui continuent à faire pression sur la tarification. Les taux d’intérêt pèsent toujours sur la rentabilité, alors que plusieurs compagnies demeurent dépendantes, à divers degrés, de leurs profits d’investissement pour suppléer à leurs profits de souscription.
Les réserves que les compagnies ajoutent à leur résultat final vont toujours en s’amenuisant, d’année en année. Qui plus est, les nouvelles règles sur les réserves à maintenir en fonction du Test de capital minimum (TCM) ne sont pas encore connues. Tout cela sans compter les 35 000 réclamations déposées devant la Commission des services financiers de l’Ontario (FCSO) pour diverses disputes liées à l’assurance automobile.
Revenus d’investissement moins fiables
Pour réaliser un profit annuel, les compagnies se sont longtemps fiées à leurs revenus d’investissement, afin d’atténuer leur habituelles pertes de souscription. Au cours des trois dernières années, les taux d’intérêt ont stagné à des planchers historiques. Joel Baker, président de MSA Research, note que les portfolios d’investissement des assureurs n’ont pas changé beaucoup pour remédier à ce creux.
Il fait remarquer que des grands assureurs comme Aviva Canada, Allstate, Desjardins Groupe d’assurances générales, Intact Assurance, Insurance Corporation of British Columbia (ICBC) et Wawanesa détiennent entre 20 % et 30 % de leur actif en actions. Toutefois, plus de 50 % de l’industrie mise encore sur des obligations d’un an à cinq ans.
« Plus de 85 % des investissements de l’industrie ont été entrainés dans une spirale descendante. On ne voit pas non plus de revirement de situation, alors que les obligations deviennent des instruments à faible rendement, avait d’ailleurs écrit M. Baker dans l’édition d’avril 2012 de sa publication MSA Quarterly Outlook Report. Les marchés boursiers continuent à être volatils. De plus, les nouvelles règles de capital risquent de rendre leur utilisation encore moins attrayante ».
Sur ce point, pas d’amélioration en vue. Les analystes disent que les assureurs tentent d’améliorer leurs pratiques de souscription, avec divers degrés de succès.
« Ils tentent d’être moins dépendants de leurs investissements, étant donné que les rendements sont en baisse, dit Paul Holden, analyste des marchés boursiers chez CIBC World Market. Ils sont obligés de tirer quelque chose de leur souscription, alors qu’auparavant, ils se fiaient à leurs retours d’investissement. S’ils veulent un retour équivalent aujourd’hui, ils doivent retirer quelque chose de leur souscription ».
On voit néanmoins certaines compagnies qui présentent une rentabilité attribuable à leurs efforts de souscription. Intact Assurance est l’une d’elles.
Shubka Khan, vice-président et analyste de recherche des marchés boursiers à la Financière Banque Nationale, mentionne que tous les joueurs ne présentent pas la performance d’Intact.
Néanmoins, il dit que la faiblesse des taux d’intérêt n’affecte pas autant l’industrie de l’assurance de dommages que d’autres segments.
« En assurance de personnes, c’est quelque chose de dévastateur. Pour l’assurance de dommages, le résultat est tout simplement négatif. Les revenus d’investissement sont affectés, mais presque sans conséquence, comparativement à d’autres industries », dit-il.
Ratio combiné acceptable à 92 %-95 %
Malgré tout, M. Baker croit que mettre l’accent sur la souscription sera de plus en plus important dans le futur.» On entend de plus en plus que la norme à atteindre pour présenter un ratio combiné acceptable est entre 92 % et 95 %, et non 100 %, comme dans le passé. Pour réaliser des rendements décents, les compagnies doivent faire de l’argent en souscription », dit-il.
Jackie Catrino Lentz, analyste financière principale chez A.M. Best, abonde dans le même sens. « Les assureurs doivent demeurer disciplinés pour définir leurs normes de souscription. S’ils n’obtiennent pas les résultats auxquels ils s’attendent, ils doivent réévaluer leur stratégie », dit-elle.
Tom MacKinnon, directeur de gestion chez BMO Capital, dit observer que les taux en assurance habitation augmentent plus vite qu’en assurance automobile ou en assurance des entreprises. Il ajoute que ce dernier segment semble trop compétitif. M. Baker affirme que les fortes réserves des assureurs de dommages contribuent aux faibles prix en assurance des entreprises.
L’assurance des particuliers autant que l’assurance des entreprises ont subi des pertes catastrophiques en 2011, surtout en Alberta. Bien que la Colombie-Britannique ait enregistré des chutes de neige records en janvier 2011, l’Ontario a été aux prises avec des tornades par la suite. L’ouragan Irene a aussi causé des dommages sur la côte est du Canada. Ce n’est toutefois rien en comparaison de ce qu’ont subi les provinces de l’Ouest.
Les feux de forêt de Slave Lake viennent tout de suite à l’esprit. Ils ont couté 700 millions de dollars (M$) à l’industrie, sans compter les dépenses des experts en sinistre. Comme la reconstruction se poursuit, le calcul n’est pas encore final.
Des tempêtes de vent et de grêle ont aussi causé des dommages à plus d’une reprise en Alberta. Même l’assurance des entreprises n’a pas échappé à une perte majeure. En janvier, un incendie a ravagé une usine de traitement de sables bitumineux appartenant à la compagnie Canadian Natural Ressources, pour son projet Horizon. Les pertes assurables ont atteint 726 M$.
« La fréquence et la sévérité des pertes en Alberta posent un sérieux défi aux assureurs de biens, dit M. Baker. Il n’est pas envisageable qu’ils continuent à essuyer ce type de pertes. Pour maintenir leur ratio de pertes à 60 % ou à 70 %, les assureurs devront procéder à des hausses de tarification supplémentaires. Ces hausses pourraient atteindre de 30 % à 40 %, ce qui serait difficile à implanter, tant d’un point de vue politique que compétitif ».
Intact et le Québec louangés
Intact, de son côté, apparait comme l’enfant chéri de l’industrie en ce qui a trait à sa rentabilité et à son efficacité de souscription. « Les chiffres de la compagnie s’améliorent assurément, particulièrement en assurance automobile, en Ontario », dit Mario Mendonca, directeur de gestion chez Canaccord Genuity.
Il attribue le tout à la taille et à l’expérience de l’entreprise. « Pour le problème de la fraude, ils ont assigné de 40 à 50 personnes, juste pour prendre conscience de la chose », dit-il.
Les analystes soulignent d’ailleurs que la bonne performance d’Intact peut aussi être attribuable à son positionnement géographique. Intact est fortement présente au Québec, une région qui « continue de présenter de solides résultats de souscription à travers tous les segments d’affaires », note MSA Research.
M. Khan, de la Financière Banque Nationale, ajoute que d’autres raisons expliquent le succès d’Intact. Selon lui, la barrière de la langue tend à réduire la compétition dans la Belle Province. Les consommateurs y sont aussi particulièrement fidèles, fait-il remarquer.
« Comme sa gestion est largement établie au Québec, Intact bénéficie d’une certaine fidélité de la part des consommateurs québécois envers son image de marque. Quand ils ont acquis AXA, qui était l’un des assureurs les plus performants, ils ont aussi acquis la loyauté que possédait cet assureur. Vous combinez les deux et vous êtes en présence d’une superpuissance québécoise », dit-il. Les analystes disent ne pas s’attendre à ce que la moitié des assureurs de dommages disparaissent au cours des douze prochains mois. Ils précisent toutefois que la tendance à la consolidation est bien là et qu’elle va aller en s’accentuant. L’acquisition de Jevco par Intact le démontre bien, disent-ils.
Consolidation
M. Khan estime à 17 % la part de marché d’Intact au Canada. Il ne voit pas l’assureur quitter le sentier des acquisitions avant d’avoir franchi la barre des 20 %. Il ajoute qu’Aviva Canada suit loin derrière, avec une part de marché de 8 %. MM. Khan et MacKinnon disent que l’industrie de l’assurance de dommages demeure hautement fragmentée et qu’elle continuera probablement à se consolider.
Les analystes disent aussi croire que les pressions règlementaires en Europe pourraient inciter certains assureurs à se départir de leurs opérations canadiennes.
La démutualisation du Groupe Economical pourrait également engendrer une nouvelle ronde de consolidation, si le processus reçoit l’aval du ministère des Finances du Canada. À ce propos, M. MacKinnon rappelle que quelques joueurs faisant partie du top 20 sont des mutuelles, « un point que la direction d’Intact s’amuse à minimiser », dit-il.
M. Holden croit quant à lui que l’équipe de direction d’Economical tend plus vers un appel public à l’épargne plutôt qu’à une démutualisation parrainée. « Ça ne veut pas dire qu’ils ne pourront pas être acquis à un moment ou un autre. Toutefois, quand le gouvernement fédéral a donné son accord à la démutualisation des sociétés d’assurance vie, il a approuvé le tout à la condition que ces sociétés ne se mettent pas en vente pour une période de trois ans. Je m’attends à quelque chose de similaire », dit-il.