Poursuivie solidairement avec une ancienne propriétaire de garderie en milieu familial qui a secoué un bébé de cinq mois et lui a infligé des blessures permanentes, Desjardins Assurances générales a échoué dans sa tentative d’être soustraite à cette action. À ce stade, la société reste donc visée avec son assurée par une poursuite pour une somme de plus de neuf millions de dollars de la part des parents de la jeune victime.

Au moment des événements survenus en 2019, la gardienne, Aurélie Bérubé, possédait une couverture d’assurance responsabilité via une assurance habitation de type propriétaire, ainsi qu’une assurance habitation avec volet entreprise pour le service de garde qu’elle exploitait dans sa résidence en Abitibi-Témiscamingue.

Desjardins a déposé un moyen d’irrecevabilité de la poursuite en raison des exclusions de couverture d’assurance de la police et parce que, selon la société, le préjudice à l’enfant résulte d’une faute intentionnelle de son assurée et d’un acte criminel. D’ailleurs, la jeune femme a plaidé coupable pour ses gestes l’an dernier et a été condamnée à une peine de 40 mois de prison.

Dans un jugement rendu le 16 octobre 2025, la juge Isabelle Breton de la Cour supérieure du Québec, district d’Abitibi, a rejeté la demande de Desjardins Assurances.

Le bébé est secoué à deux reprises

En janvier 2019, la gardienne a secoué l’enfant à deux reprises. La deuxième fois, il a été sévèrement blessé et transporté à l’Hôpital Sainte-Justine, à Montréal.

Il en est résulté des séquelles majeures, notamment des atteintes neurologiques irréversibles avec quadriparésie spastique qui ont des conséquences permanentes sur son existence et celle de ses parents. Ces derniers ont intenté une poursuite de 9,3 millions à l’endroit de l’ancienne gardienne et de son assureur.

L’état d’esprit de la gardienne

Dans cette affaire, « il faut considérer l’état d’esprit de l’auteur des actes », mentionne la Cour. Aurélie Bérubé souffrait de dépression chronique et consommait quotidiennement des amphétamines. En décembre 2018, le deuil d’un ami très proche l’a amenée à cesser sa consommation lors d’un sevrage sans supervision médicale. C’est dans ce contexte qu’elle a commis ses gestes envers le bébé alors âgé de cinq mois.

« Cela pourrait avoir un impact sur le critère subjectif de l’évaluation du caractère intentionnel de la faute », commente la juge Breton à propos de son état mental.

Desjardins ne peut se soustraire

Desjardins Assurances a tenté de se soustraire à cette action en déposant un moyen d’irrecevabilité, un argument juridique qui vise à faire rejeter une demande sans que le tribunal ait à examiner le fond de l’affaire.

En matière de police d'assurance habitation et de police de responsabilité civile des entreprises, l’assureur a invoqué l’exclusion de couverture pour les dommages intentionnels et « pour les conséquences de châtiments corporels ou de mauvais traitements dont l’assuré est l’auteur ou l’instigateur ».

Réaction du tribunal

Les deux polices excluent les dommages corporels et matériels imputables à la faute intentionnelle de l’assuré. Il s’agit également d’une exclusion de couverture, en application de l’article 2464 du Code civil du Québec.

Desjardins a plaidé l’application de cette exclusion, « puisqu’on ne peut secouer un bébé sans ignorer le risque de lui causer des dommages ». S’appuyant sur la déclaration de culpabilité de la gardienne, l’assureur a également allégué que le jugement en matière criminelle constitue un fait juridique important donnant ouverture à l’exclusion de la couverture d’assurance.

Dans son jugement, la magistrate rappelle toutefois que les décisions soumises par Desjardins dans lesquelles les tribunaux ont conclu à l’exclusion de couverture en raison d’une faute intentionnelle de l’assuré, ont toutes été prononcées au terme de l’instruction au fond et non pas au stade préliminaire de l’instance, comme c’est le cas dans cette affaire.

Pour pouvoir conclure à l’application d’une telle exclusion, deux conditions sont requises, précise la juge Breton : « l’acte causant le dommage doit avoir été voulu par l’assuré », et « l’assuré doit avoir voulu causer un dommage, bien que son étendue ne soit pas celle qui avait été voulue ».

De plus, il faut éviter de confondre faute intentionnelle et faute lourde, souligne la magistrate. Il faut également distinguer la faute volontaire de la faute intentionnelle. « La simple prévisibilité est insuffisante pour justifier l’existence d’une faute intentionnelle. »

Il faut aussi considérer l’état d’esprit de l’auteur des actes. Une évaluation de la preuve devra être faite, notamment celle de l’état d’esprit de Mme Bérubé pour déterminer si la faute qui lui est reprochée est intentionnelle ou non.

« Nous n’en sommes qu’au stade préliminaire de l’instance et la demande introductive n’allègue aucune faute intentionnelle de Bérubé », peut-on lire dans le jugement.

« Il faut éviter de mettre fin prématurément à l’instance, écrit encore la juge. Il y a lieu de laisser aux demandeurs, la chance d’être entendus sur le fond, quant à leur recours dirigé contre Desjardins. »

Le moyen d’irrecevabilité déposé par l’assureur a donc été rejeté à cette étape.