Ce n’est pas la peur, mais plutôt la recherche d’occasions que les entreprises et les chefs de file de l’industrie devraient privilégier au chapitre des changements climatiques, ont dit les experts réunis lors d’une récente conférence virtuelle de l’Association de Genève, parmi lesquels on retrouvait des chefs de la direction et des représentants du gouvernement, des Nations Unies et des secteurs des assurances, des finances et de l’ingénierie. 

« Il s’agit peut-être de la plus grande transformation économique de l’histoire, avec un potentiel de croissance énorme. » – Patricia Espinosa 

Les panélistes de la présentation, intitulée Future-Proofing Technological Innovations for a Resilient Net-Zero Economy, ont examiné ces occasions en profondeur pour le bénéfice des participants. Ils ont également discuté de ce qui est nécessaire pour favoriser l’adhésion des entreprises et des investisseurs et ont offert quelques suggestions à ceux qui s’intéressent aux défis des changements climatiques. 

« Il s’agit peut-être de la plus grande transformation économique de l’histoire, avec un potentiel de croissance énorme », déclare Patricia Espinosa, secrétaire exécutive de la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques. « Je crois sincèrement que ceux qui sont prêts à mener cette transformation sont au premier plan de l’une des révolutions économiques les plus importantes jamais vécues. Mais, contrairement aux révolutions précédentes, elle ne se produira pas uniquement avec les forces du marché. Il faudra déployer des efforts délibérés et ciblés pour laisser derrière nous les industries et les activités qui se sont révélées néfastes pour notre environnement et qui menacent nos vies mêmes. » 

Leonardo Martinez-Diaz, directeur principal du financement climatique auprès de l’envoyé spécial du président américain pour le climat, John Kerry, ajoute qu’il ne faut pas seulement être motivé « par la crainte de ce qui se passera si nous n’agissons pas », mais aussi « par l’occasion que cette transition représente ». « C’est vraiment la plus grande occasion économique depuis la révolution industrielle. » 

Réinventer le capitalisme  

Le défi est de taille, mais les experts réunis à la conférence sont d’avis qu’une refonte du système financier mondial est nécessaire. « On ne l’a pas construit avec la durabilité en tête », fait remarquer Mark Versey, chef de la direction, Aviva Investors.

John Colas, associé et vice-président du conseil, services financiers, Amériques, pour la société de conseil en gestion Oliver Wyman, indique qu’il existe sans aucun doute des sources de financement pour ceux qui veulent travailler à la décarbonisation industrielle, mais que « le système de financement, tel qu’il existe aujourd’hui, ne donnera pas les résultats escomptés ». « Pour nous, c’est vraiment une question de défaillance du marché. Le problème ne sera pas résolu uniquement par les actions individuelles de chaque partie prenante, dit-il. Nous avons profondément besoin d’un mécanisme qui mobilise l’ensemble des parties de sorte qu’elles puissent concevoir et coordonner ensemble l’action climatique. » « Pour mobiliser les billions de dollars nécessaires à la transition vers la carboneutralité, il faut cultiver un écosystème financier multipartite, ajoute-t-il. Au bout du compte, les mécanismes qui permettront d’agir collectivement sont le besoin de l’heure. » 

De manière générale, les experts affirment que les partenariats entre les secteurs public et privé seront essentiels et que toutes les parties concernées devront éviter de se décharger de leurs responsabilités sur l’autre. « [Le public et le privé] doivent tous les deux agir », insiste Anthony Hobley, directeur général de Mission Possible Partnership. « La meilleure façon pour eux d’agir est de travailler ensemble, en collaboration. » 

Les délégués à la conférence ont également demandé aux représentants gouvernementaux d’établir des priorités claires et d’avoir une vision que d’autres peuvent partager.

« L’urgence climatique, les lois de la nature, les inégalités croissantes; tout ça est maintenant sur les bureaux des PDG et des conseils d’administration. Il faut donc avoir une vision très claire à long terme », dit Peter Bakker, président du World Business Council for Sustainable Development (WBCDS). « Au WBCDS, nous en avons créé une, vision, qui dit que plus de neuf milliards de personnes vivront à l’intérieur des frontières planétaires d’ici le milieu du siècle. C’est une vision relativement simple. Si on y réfléchit un peu, cependant, elle exige qu’on transforme en profondeur tout ce qu’on connaît – l’énergie doit être décarbonisée, les matériaux doivent être recyclés selon le principe de l’économie circulaire, et les aliments doivent être produits de manière durable et équitable et fournir un régime sain à tous les habitants de la planète. C’est une vision qui, même si elle est ambitieuse, est à portée de main. »

Selon Denise Bower, directrice générale de la société d’ingénierie mondiale Mott MacDonald, il faudra aussi un changement de mentalité de la part des gouvernements et des entreprises. « Nous avons moins de 30 ans pour nous préparer et accomplir le travail. Le cycle de vie d’un projet d’infrastructures n’est pas très long. Ces conditions créent plusieurs défis stratégiques pour le secteur privé, et surtout pour le gouvernement. Dans les économies pleinement développées, le gouvernement devra faire des paris multiples et potentiellement coûteux sur différentes approches technologiques, en sachant que toutes ne réussiront pas. Le secteur privé devra adopter une façon de travailler sujette à des changements de politique, à mesure que le gouvernement s’adapte parce qu’il prendra des décisions rapidement, au risque d’échouer. »

Faire face au changement 

Les panélistes reconnaissent également que les compagnies d’assurance pourraient avoir de la difficulté à convaincre les conseils d’investissement de se rallier à la cause du développement technologique, un domaine qui n’a pas énormément d’antécédents.

« Je sais que, très souvent, quand on a affaire à de nouvelles technologies, à de nouvelles approches, les comités d’investissement qui déploient de grandes quantités de capitaux peuvent devenir très nerveux », observe M. Hobley. « S’ils n’ont pas des années de statistiques et de données sur les technologies et les autres approches, le risque perçu est important. Je pense qu’il y a là une occasion en or pour le secteur des assurances de développer des produits tournés vers l’avenir. » 

Du côté des investissements, M. Versey note qu’il existe déjà un dialogue avec les principaux émetteurs de carbone : on leur dit qu’ils risquent un désinvestissement s’ils ne font pas d’efforts pour atteindre les objectifs fondés sur la science. « La majorité de ces grands émetteurs réagissent vraiment bien », dit-il. « Si la souscription suit également cette voie, nous pourrons exercer une pression sur plusieurs fronts », ajoute-t-il.

« Nous voulons financer la transition et la soutenir. C’est ça, notre rôle. » 

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