Les impacts des changements climatiques se font de plus en plus sentir. Et cette réalité ne se passe pas uniquement à l’autre bout du monde. Des signes sont de plus en plus évidents au Québec.

Malgré ce triste état de fait, la science peut aider les assureurs et leurs clients dans leur prise de décision à l’égard des besoins d’adaptation aux changements climatiques, dit Alain Bourque, directeur général du Consortium Ouranos. Lors de la Journée d’assurance de dommages 2017, il a rappelé que ses collègues sont particulièrement soucieux de trouver des moyens d’adaptation pour mitiger les impacts des changements climatiques sur les communautés les plus vulnérables.

Le réchauffement s’accentue depuis 45 ans, poursuit-il. Les données compilées par le Groupe international sur l’environnement et le climat (GIEC) montrent qu’en 2013, la température moyenne sur Terre avait grimpé de 0,85 °C depuis 1880. À chaque décennie depuis les années 1970, les écarts climatiques sont en hausse constante.



Dans les années 1970, on voyait autant de régions de la planète où la température moyenne était plus froide que d’endroits où elle était plus chaude. « Nous en sommes à une 39e année consécutive où les températures sont au-dessus de la normale. Le terme “normale” ne veut plus rien dire après une si longue période. Parlons plutôt de la moyenne des 150 dernières années », dit-il. La tendance à l’accélération du réchauffement et des écarts climatiques est de plus en plus marquée dans la décennie actuelle. Un degré d’écart sur un siècle peut sembler peu, mais à l’échelle du globe, cela représente une quantité d’énergie très appréciable, insiste-t-il.

7 degrés plus chauds à Montréal en 2100 ?

Alain Bourque énumère les tendances observables au Canada associées aux changements climatiques. Les précipitations annuelles moyennes sont en hausse, tandis que les précipitations sous forme de neige sont en baisse. On note aussi la hausse du niveau moyen de la mer, associé à l’expansion thermique des océans, de même que la réduction du couvert glacé dans la mer Arctique.

Si l’on arrive à respecter les engagements pris en 2015, lors du sommet de Paris sur le climat, et que le réchauffement est inférieur à 2 degrés d’ici 2100, cela représentera tout de même « 3 ou 4 degrés pour la région montréalaise », précise-t-il. Si les efforts visant à réduire les émissions de gaz à effet de serre (GES) ne sont pas atteints, ce réchauffement pourrait atteindre de 4 à 7 degrés à Montréal.

Les changements climatiques influencent la fréquence et l’intensité des épisodes climatiques extrêmes. Même si on ne peut associer tous ces évènements survenus récemment aux changements climatiques, on peut convenir que leur fréquence est influencée, et la probabilité que de tels sinistres surviennent est en augmentation, explique M. Bourque.

Le cumul des impacts à long terme est encore plus significatif pour les écosystèmes, les bassins versants et les ressources en eau. Il cite la fonte du pergélisol en milieu nordique, les nouveaux insectes causant des épidémies en milieu forestier, les espèces envahissantes dans les cultures, etc. Le nombre de cas en hausse de personnes atteintes de la maladie de Lyme est directement relié à la progression vers le nord de l’insecte qui la propage, indique-t-il.

Impacts sur l’assurance

Les risques couverts par les assureurs sont aussi en train de changer. On observe de plus en plus de réclamations associées aux dommages causés par le vent, la pluie ou la grêle. Leur progression est étroitement corrélée avec l’évolution de la température moyenne, estime M. Bourque.

De petits changements associés aux épisodes climatiques extrêmes peuvent provoquer une explosion des couts de sinistre. Une étude australienne rapportée par M. Bourque montre que si le pic atteint lors des tempêtes de vent monte de 25 %, les impacts aux immeubles pourraient grimper de 650 %, en incluant les infrastructures. Celles-ci « ont été conçues en fonction de seuils basés sur l’historique, ou sur la récurrence des épisodes » du climat passé. Ces seuils ne sont plus pertinents aujourd’hui, rappelle-t-il.

Ouranos a ainsi collaboré avec la Ville de Montréal dans un projet touchant la conception des infrastructures. Par exemple, pour des précipitations de 70 mm en 24 heures dont on prévoit la récurrence à un épisode aux 20 ans, de tels épisodes pourraient survenir plutôt aux 13 ans, selon les projections. Avant de grossir les conduites du réseau souterrain, on peut trouver des méthodes de mitigation pour éviter cet apport d’eau et le risque de refoulement.

Les travaux d’Ouranos ont aussi permis à Ingénieurs Canada de modifier le protocole de l’estimation de la vulnérabilité des infrastructures (PIEVC). L’un des plus grands risques ciblés est la durée des interruptions de service en électricité.

En mars 2017, Hydro-Québec a confirmé que le nombre de pannes causées par les aléas climatiques était en hausse ces dernières années. Un bel exemple de dommage indirect est l’impact du verglas de 1998 sur la disponibilité de l’eau potable, rappelle M. Bourque. Les usines de traitement de l’eau à Montréal avaient alors cessé de fonctionner, faute d’alimentation électrique.

La société d’État a d’ailleurs été l’instigatrice de la création du Consortium, en confiant à ses chercheurs des mandats touchant l’évaluation des risques climatiques sur ses installations de transport et de distribution de l’électricité. Plus récemment, les impacts des feux de forêt, tant pour l’intensité que la fréquence et leur étendue, ont aussi été analysés à la demande d’Hydro-Québec.

Analyser les enjeux d’adaptation

Plusieurs municipalités ont commencé à analyser les enjeux d’adaptation reliés aux changements climatiques. À Trois-Rivières, la municipalité s’est dotée d’un plan à cet égard dès le printemps 2013, lequel inclut une cartographie des zones les plus vulnérables. À Montréal, une cartographie similaire a été faite à la fin de 2015 pour cibler les ilots de chaleur et les précautions à prendre pour appuyer les personnes vulnérables.

Le monde municipal pourrait en faire plus, estime M. Bourque. « Je connais le maire d’une municipalité côtière qui avoue ne pas comprendre pourquoi l’évaluation foncière de toutes les propriétés situées en bordure des côtes augmente à des niveaux impressionnants, alors qu’en même temps, dans la même localité, on perd des terrains et des voisins à cause de l’érosion des berges », relate-t-il.

Cette « déconnexion » entre la connaissance des risques et la perception de ceux-ci dans le marché est notable chez la population en général, mais aussi chez les professionnels qui les accompagnent, déplore M. Bourque.

Après une forte tempête qui a balayé les côtes gaspésiennes en 2013, Ouranos a collaboré avec les municipalités de Percé et de Gaspé pour planifier des solutions d’adaptation et de gestion des risques côtiers. Ceux-ci ne sont pas couverts par les assureurs canadiens. Il y a des pays où c’est le cas, précise M. Bourque.

Les berges du Québec sont menacées par le rehaussement du niveau marin, la réduction de la banquise de même que l’augmentation de la fréquence et de la violence des tempêtes. Or, ces berges représentent une grande valeur économique pour la région gaspésienne en lien avec l’achalandage de touristes.

Malheureusement, quelques mois après avoir soumis ses recommandations pour adapter les infrastructures locales, les chercheurs d’Ouranos n’ont pu que constater les dégâts causés à Percé par une autre tempête survenue lors des marées les plus hautes à l’automne 2016. « Ça montre l’urgence d’agir dans certains dossiers », dit-il.

À court terme en assurance, les changements climatiques affecteront les pratiques de souscription en exigeant des approches incluant une vision prospective du risque, laquelle n’est plus basée exclusivement sur l’historique, suggère M. Bourque. À plus long terme, l’adaptation insuffisante dans les zones les plus vulnérables pourrait même menacer la notion d’assurabilité, en limitant la disponibilité et l’accessibilité de la couverture d’assurance privée. « L’industrie peut faire partie de la solution en collaborant avec les gouvernements pour instaurer des mesures d’adaptation », dit-il.

Même l’intelligence artificielle aura ses limites

Même en utilisant l’intelligence artificielle, les systèmes de simulation ont des limites, ajoute-t-il. « Le problème avec les changements climatiques, c’est que nous aurons désormais des “exemples” que nous n’avons jamais vécu avant. »

Le Consortium a fait mener un sondage, adressé particulièrement aux gens qui résident dans des plaines inondables. Plus de 25 % des répondants ne savaient même pas qu’ils vivaient dans un secteur vulnérable aux inondations.

Le gouvernement fédéral vient d’annoncer dans son dernier budget qu’il allait revoir certaines normes dans le Code du bâtiment afin de tenir compte des changements climatiques. Alain Bourque cite l’exemple des Bermudes, où une série de plusieurs ouragans très violents ont causé de grands dommages dans les années 1950. Les normes de construction ont été revues.

« Aujourd’hui, quand un ouragan de catégorie 3 passe sur les Bermudes, c’est à peine s’ils ont des dommages. C’est un exemple de ce qui peut être fait tout de suite, même si on n’a pas la capacité prédictive parfaite » afin de réduire la vulnérabilité à l’égard des épisodes extrêmes, dit-il.