Les compressions exigées par le ministère de l’Enseignement supérieur (MES) dans les cégeps feront mal, estiment certains professionnels du milieu. Les programmes de formation en assurance ne sont pas épargnés, ce qui entraînera des conséquences à moyen et long terme pour l’industrie. 

Nathalie Larose

« La fin de l’année [scolaire] a été difficile, reconnaît Nathalie Larose, directrice générale du Cégep de Sainte-Foy, dans la région de Québec.

Cette dernière qualifie de « très pointues » les mesures imposées par Québec. Gel sur le recrutement, plafond sur les heures rémunérées ainsi que sur les investissements : tout autant de mesures ciblées qui doivent mener à des économies de 151 millions de dollars dans le réseau. 

« Quand on choisit des moyens aussi fins et précis [pour couper], ça nous enlève de la marge de manœuvre, déplore la directrice générale. Avec le plafond sur les heures rémunérées, je ne peux plus étendre les plages horaires des cours en soirée pour accommoder une certaine clientèle, par exemple. Je ne peux plus embaucher de personnel qui n’œuvre pas dans le service direct aux étudiants, comme un technicien informatique qui pourrait aider à offrir des cours en format hybride. » 

Seuls les programmes étant identifiés par le gouvernement comme étant des « priorités nationales » sont épargnés, disposant d’enveloppes budgétaires dédiées ne pouvant pas être réaffectées ailleurs. 

Les programmes de formation en assurances n’en font malheureusement pas partie, déplore Nathalie Larose. Les cégeps doivent donc financer ces formations à l’aide des enveloppes régionales, que doivent se partager les différents établissements en fonction des besoins propres à leur coin de pays. 

Le Cégep de Sainte-Foy est celui qui propose l’attestation d’études collégiales (AEC) en assurances dans la région de Québec. Le programme long touche à la fois l’assurance de dommages du particulier et le volet assurances des entreprises. L’AEC a également été scindé en deux volets pour permettre à ceux qui le désirent d’intégrer plus rapidement le marché du travail et poursuivre leur formation en parallèle. 

Hormis les compressions qui touchent directement les programmes de formation en assurance, Nathalie Larose rappelle que les assureurs embauchent également des professionnels d’autres domaines, tel que des techniciens en informatique ou des spécialistes des ressources humaines, pour ne nommer que ceux-là. 

Moins d’étudiants, moins d’enseignants 

Parce qu’ils offrent un service direct aux étudiants, les enseignants au collégial sont parmi les moins affectés par les compressions, indique Nathalie Larose. 

« Ce qui peut jouer, c’est le nombre de cohortes, particulièrement dans la formation continue, nuance-t-elle. En les diminuant, est-ce que j’ai suffisamment d’heures d’enseignement à leur offrir? » 

Michel Boucher

Michel Boucher, enseignant au collégial en assurances, constate lui aussi que le nombre de cohortes a diminué dans les établissements où il travaille. « J’enseigne dans différents établissements, notamment au Collège Vanier et au Cégep Montmorency, et présentement, dans les programmes réguliers, plutôt que d’avoir deux cohortes, il y en aura qu’une seule », illustre-t-il.

Certains programmes de formation particuliers ont aussi été annulés, note-t-il. 

Avec moins d’heures d’enseignement prévues, des chargés de cours pourraient choisir de retourner pratiquer à temps plein et délaisser l’enseignement. 

« Ça entraîne une perte d’expertise, relève Michel Boucher, qui enseigne dans les deux langues. Outre les formations qui sont structurées par des organismes et les outils fournis par l’AMF [l’Autorité des marchés financiers], tout le matériel doit être fourni par les enseignants. C’est une forme de valeur ajoutée qui va se perdre. » 

Les enseignants subiront aussi les effets des compressions en ce sens où ils pourraient avoir moins de soutien pour la poursuite de leurs activités, notamment la préparation de laboratoires pratiques ou dans l’organisation d’activités périphériques à l’enseignement. 

Des impacts pour l'industrie 

 On va voir de moins en moins de gens formés avant d’être embauchés, et ces personnes n’auront pas une compréhension globale du marché.
– Michel Boucher, formateur en assurance

La réduction de l’offre en formation diluera aussi la qualité de celle-ci, craint Michel Boucher. « On va voir de moins en moins de gens formés avant d’être embauchés, et ces personnes n’auront pas une compréhension globale du marché », prévoit-il. 

L’enseignant note déjà un manque d’experts en sinistre, que les assureurs forment après les avoir recrutés... quand c’est le cas.

« Déjà, on a vu que lors d’événements majeurs, l’AMF permet à des individus non qualifiés de régler des dossiers, relève M. Boucher. Ils le font déjà, et ça va empirer dans le futur. » 

Enjeu d’accessibilité 

La diminution du nombre de cohortes réduit l’accessibilité des étudiants à différents programmes. Ce faisant, ils devront choisir entre aller s’établir dans une autre région pour être formés dans le domaine de leur choix ou se tourner vers un autre programme.

Deux options qui mineront la motivation et la persévérance scolaire, et par ricochet la diplomation, souligne à gros traits Nathalie Larose.

« Ce ne sont pas tous les étudiants qui sont prêts à se déraciner pour aller étudier, dit-elle. Et si l’étudiant va ailleurs, il y a plusieurs facteurs environnementaux qui peuvent contribuer à l’abandon et l’échec : plus de filet social, plus de réseau, une précarité financière accrue… » 

En plus d’un nombre réduit de cohortes, les établissements collégiaux se préparent à faire face à une augmentation de leur clientèle potentielle, explicable par la hausse démographique. 

Selon des chiffres avancés par Nathalie Larose, la clientèle des cégeps devrait croître de 20,1% au Québec d’ici 2033. « C’est énormément d’étudiants : on parle de 32 400 personnes de plus dans le réseau », précise la directrice générale. 

« Ça me fait peur, poursuit-elle. On a des jeunes qui veulent étudier, et on ne leur permettra pas d’entrer dans un établissement parce qu’il n’aura pas la capacité d’accueil. On lutte contre le décrochage depuis des années, mais on se fait imposer des décisions qui pourraient compromettre la poursuite des études de nos jeunes. » 

Une formation plus difficile à garder à jour 

Moins de financement dans les cégeps signifie également que leur capacité à se maintenir à jour avec les standards des industries pour lesquelles ils forment de futurs travailleurs s’en trouvera affectée.

« On doit maintenir notre approche innovante et s’actualiser en continu, rappelle Nathalie Larose. Mais il y a des risques lorsque le financement n’est pas à la hauteur, pour qu’on ne puisse pas être aussi pertinents qu’on le voudrait. » 

Et cela touche aussi la formation continue des professionnels déjà établis. 

« Dans le secteur de l’assurance, on travaille avec certains logiciels et outils pédagogiques utilisés dans l’industrie, détaille Nathalie Larose. Si on manque de financement, est-ce qu’on prend le risque de créer un décalage avec ce que l’étudiant a appris durant sa formation et ce qu’il va découvrir en entreprise? » 

La collaboration de l’industrie nécessaire 

 Les assureurs peuvent contribuer à la vitalité des cégeps en faisant affaire avec eux pour leurs besoins en formation continue.
– Nathalie Larose, directrice générale du Cégep de Sainte-Foy

« S’il y a un enjeu pour l’accessibilité aux études, il va y avoir un impact sur notre capacité à fournir des diplômés dans les domaines qui engagent de la main-d’œuvre pour combler leurs besoins », relève la directrice générale.

C’est là que les entreprises de l’industrie peuvent donner un coup de pouce à la pépinière de talents. 

« Les assureurs peuvent contribuer à la vitalité des cégeps en faisant affaire avec eux pour leurs besoins en formation continue », suggère Nathalie Larose. 

Comme certains établissements d’enseignement sont à l’étroit, dit-elle, pourrait-on penser tenir la formation continue à même les locaux des assureurs, vacants en raison du télétravail? Elle propose aussi : « Pourrait-on avoir des projets d’apprentissage en mode hybride, moins coûteux et avantageux pour tous? » 

Michel Boucher est de cet avis. « Les cégeps offrent des formations continues et adaptées aux professionnels de l’assurance », note-t-il. 

Surtout, plaide Nathalie Larose, les assureurs doivent se faire entendre. « L’industrie de l’assurance, c’est un gros employeur au Québec. C’est un joueur important qui peut s’exprimer auprès du gouvernement pour témoigner de l’importance de la formation collégiale et des retombées économiques significatives d’une industrie en santé avec une main-d’œuvre qualifiée », dit-elle.