Gatineau, Sainte-Marie-de-Beauce, Beauceville, Sainte-Marthe-sur-le-Lac, Deux-Montagnes, Nicolet, Trois-Rivières, Laval, Rigaud... Les villes sont aux premières loges, mais aussi les premières victimes avec leurs citoyens, des inondations causées par la crue des rivières ou des lacs.

Dans plusieurs municipalités, beaucoup de gens ne parviennent plus à s’assurer au niveau résidentiel, soit parce qu’ils ont été trop souvent victimes de catastrophes naturelles, soit parce qu’ils sont maintenant classés en zones inondables. Même les villes s’attendent à de fortes augmentations de leurs primes d’assurance en raison des sinistres engendrés par les changements climatiques.

Ce n’est pas d’hier que les rivières du Québec débordent, a rappelé Alain Bourque, directeur général de l’organisme de recherche Ouranos, lors du Forum sur les inondations tenu le 7 novembre 2019 à Québec. Ce qui a changé, souligne-t-il, c’est leur récurrence et leur intensité.

La province vient de connaitre deux épisodes de très grandes crues en seulement trois ans, en 2017 et en 2019. Elles ont laissé autant de traces dans la mémoire des sinistrés que sur le terrain.

Six mois après que les eaux se soient retirées, les dommages sévères qu’elles ont causés dans des dizaines de villes et municipalités ces trois dernières années sont encore très visibles sur leur passage. Des résidents touchés sont toujours affectés au plan psychologique et financier.

300 maisons détruites à Sainte-Marie-de-Beauce

L’été, quand la rivière Chaudière est à son plus bas, rien ne laisse entrevoir les menaces qui pèsent sur les municipalités qui bordent ce cours d’eau paisible en Beauce. Or, au cours des soixante dernières années, Sainte-Marie a subi onze inondations majeures. Aucune n’avait toutefois l’ampleur de celle de 2019. Le niveau des eaux a dépassé la cote centenaire.

Dans la nuit du 21 avril 2019, le débit a atteint 2 600 mètres cubes à la seconde. Le résultat a été dévastateur. Le centre-ville est devenu un nouveau bras de la rivière où l’on circulait en bateau. Il a été fermé durant cinq jours et même l’hôtel de ville a été inondé, ainsi que la célèbre usine de gâteaux Vachon.

Au total, 800 bâtiments ont été endommagés, au point où 300 résidences devront être démolies. La zone 0-20 ans d’inondations va en grande partie disparaitre.

Comme si ce n’était pas suffisant, alors que des maisons tombaient sous le pic des pelles mécaniques cet automne, Sainte-Marie a encore une fois été victime d’une deuxième forte inondation en six mois. Le 1er novembre, en raison des pluies diluviennes qui se sont abattues sur la Beauce et d’autres régions du Québec, le centre-ville a de nouveau été submergé, ce qui est venu à bout de la légendaire résilience de nombreux Beaucerons après ces débâcles répétées.

« Avoir de l’eau sur le plancher est une chose, en avoir sur le comptoir en est une autre, a témoigné son maire Gaétan Vachon au Portail de l’assurance.

Cet automne, des résidents n’avaient pas encore décidé s’ils quittaient leur maison en 2019 ou s’ils attendaient à 2020 en espérant trouver autre chose d’ici là. « Après la crue du 1er novembre, des gens sont venus à l’hôtel de ville nous dire qu’ils en avaient assez. Le seuil de tolérance a été franchi. Plusieurs ont décidé d’abandonner leur domicile et d’accepter l’offre de rachat du gouvernement », a relaté M. Vachon.

Les effets psychosociaux de ces grands coups de gueule de la nature se font sentir à Sainte-Marie plusieurs mois plus tard, comme c’est le cas dans toutes les municipalités gravement touchées : la détresse est encore palpable chez nombre de citoyens. Même son maire appréhende déjà la débâcle qui surviendra au printemps 2020.

Gatineau, la « capitale des changements climatiques »

Le maire de Gatineau, Maxime Pedneaud-Jobin, décrit sa ville comme « la capitale des changements climatiques au Québec ».

En trois ans, elle a subi deux inondations majeures, en 2017 et en 2019, une canicule à l’été 2018, une tornade de force 3 en septembre 2018, qui comportait des rafales de 230 kilomètres à l’heure, et une autre de niveau 1 en juin 2019. Rues et sous-sols inondés, toitures arrachées, édifices et maisons endommagées, les Gatinois y goutent depuis 2016.

Pour des assureurs résidentiels, c’en est trop. Des gens ne parviennent plus à s’assurer, et ce, même s’ils changent de quartier. Trouver un assureur leur est difficile vu leur passé de réclamations…

Vagues destructrices sur Sainte-Luce

 

À une autre extrémité de la province, Sainte-Luce, dans le Bas-Saint-Laurent, reste marquée par les vagues destructrices causées par des tempêtes monstres qui ont balayé à plusieurs reprises sa longue plage municipale, l’une des plus belles au Québec.

 

Dans ce secteur hautement touristique, les impacts des changements climatiques se font sentir depuis une dizaine d’années, dit sa mairesse, Maïté Blanchette Vézina. Les infrastructures en bordure des côtes ont été endommagées lors des épisodes marqués par de fortes montées des eaux, des vagues immenses et des vents extrêmes survenus en 2005, 2010 et 2016. L’augmentation de la fréquence de ces phénomènes climatiques serait attribuable à la disparition de la banquise et à la hausse du niveau de la mer.

Toute petite municipalité, Sainte-Luce s’est d’abord sentie très seule face à la furie des éléments. Elle a finalement obtenu de l’aide du gouvernement du Québec pour procéder à des recharges de 530 mètres de sa magnifique plage.

Sa durée de vie était prévue pour 35 ans avec 2 à 3 interventions de recharge. On doit maintenant la refaire aux 5 à 15 ans.

Après la tempête du 6 décembre 2010, Sainte-Luce a décrété un moratoire de construction dans une zone de 30 mètres et entrepris de végétaliser les berges.

En 2018, l’interdiction de la zone de construction a été établie entre 25 et 45 mètres selon les secteurs. En 2019, un programme de prévention est intervenu avec le ministère de la Sécurité publique au montant de 5,5 millions de dollars. Cette somme permettra aux citoyens les plus à risques de déménager leur résidence ou de recevoir une indemnité, mais entrainera une démolition de leur maison.

La cuvette de Deux-Montagnes

À Deux-Montagnes, ce ne sont pas les riverains qui ont été inondés au printemps 2017, mais les résidents d’un quartier du centre complètement urbanisé. Plus de 300 citoyens ont été touchés directement et plusieurs centaines d’autres l’ont été indirectement, même si, a priori, ils ne semblaient pas à être à risque d’inondations dans leur secteur.

Dans cette zone, la topographie présente un effet de cuvette où l’eau du lac des Deux Montagnes s’est précipitée pour les inonder. Après ces crues, près de 33 résidences qui n’offraient aucune possibilité de reconstruction ont dû être complètement démolies après les inspections après sinistre. 

À la suite de cette première catastrophe, la ville a pris une série de mesures pour faire face à de nouvelles inondations. Le plan prévoit notamment l’installation d’une digue permanente. En avril 2019, une nouvelle crue des eaux du lac des Deux Montagnes est survenue. Une digue temporaire a été érigée et aucun citoyen de la ville n’a été inondé. Elle l’a toutefois échappé belle et les plans de la digue permanente ont été revus pour la rehausser et la rendre plus résistante.

Le début d’aménagement de cet ouvrage a débuté en aout dernier. Elle devait se terminer en décembre 2019. Or, des citoyens ont contesté le tout devant les tribunaux, de crainte que la digue fasse diminuer la valeur de leurs propriétés. Sa construction a repris en janvier 2020…

Des municipalités qui craignent des hausses de primes

Si des citoyens touchés à plusieurs reprises par des sinistres ne sont plus assurables, ce que craignent des villes et des municipalités affectées à répétition, ce sont de fortes hausses de leurs primes d’assurance. C’est une perspective que disait craindre le président démissionnaire de l’UMQ, Alexandre Cusson, au Portail de l’assurance.

À Sainte-Marie-de-Beauce, la prime devait augmenter le 1er décembre de 20 %, mais elle n’est pas attribuable aux inondations, nous a indiqué la greffière adjointe de la municipalité, Chantale Faucher. Si la facture n’est pas plus salée pour l’instant, c’est que Sainte-Marie est membre au niveau de ses assurances d’un regroupement de plusieurs villes, dont fait également partie Beauceville, elle aussi affectée par des inondations.

Mais les autres membres de ce pool ne le sont pas. Certaines ont subi des dommages, mais pas de cette nature.

Comme les sinistres sont répartis entre plusieurs municipalités, les impacts sur les primes sont moindres. Mais si Sainte-Marie avait été seule pour s’assurer, elle aurait peut-être eu de la difficulté à se trouver un assureur ou la prime aurait fortement augmenté, croit Chantale Faucher. Pour l’instant, la municipalité s’en tire relativement à bon compte.

La greffière adjointe a pourtant craint deux choses lors du renouvellement : une forte augmentation de la prime ou un bon marqué de sa franchise. Dans les circonstances, une hausse de 20 % de la prime apparaît très acceptable. Elle croit que le jeu de la concurrence entre assureurs a pu bénéficier à Sainte-Marie.

Toutefois, elle est inquiète pour l’an prochain. Le contrat de renouvellement de 2020 a été lancé en septembre dernier alors que la municipalité n’avait pas encore été touchée par l’inondation de l’automne et elle n’avait pas encore présenté l’ensemble des réclamations pour 2019 à son assureur. Chantale Faucher pense que la prime pourrait s’en ressentir lors du renouvellement pour 2021.

« En 2020, nous subirons une augmentation comme un peu tout le monde dans la province, commente de son côté le maire Gaétan Vachon, mais nous nous estimons chanceux. Notre MRC n’était pas capable de s’assurer, car nous étions dans le 0-20 ans, se réjouit-il. Si le regroupement dont nous faisons partie réunissait toutes des municipalités riveraines, ça nous ferait mal, mais là, nous sommes diversifiés. Certaines connaissent parfois des épreuves (incendies, inondations, réclamations pour des chutes, etc.), mais comme c’est réparti, ça nous affecte moins ».