La nouvelle réglementation obligeant les fabricants automobiles à doter leurs véhicules d’un dispositif d’immobilisation le 1er septembre prochain ne fait toujours pas l’unanimité au Québec, deux ans après son annonce. Certains se questionnent toujours sur l’impact réel qu’aura la norme sur le crime organisé.Transports Canada a mis cette norme de l’avant pour contrer le « joy riding », un phénomène qui est plus présent au Canada anglais qu’au Québec. Tous les intervenants interrogés par le Journal de l’assurance s’entendent pour dire que le nouveau règlement réduira la balade de jeunes qui veulent faire une promenade de quelques heures dans un véhicule volé.

Les opinions diffèrent cependant quant aux impacts que le nouveau règlement peut avoir sur le crime organisé. D’un côté, les fabricants d’auto croient que la nouvelle norme rendra la tâche très difficile aux voleurs de tout acabit. Les distributeurs de systèmes de protection croient cependant que les voleurs professionnels viendront à bout des dispositifs d’immobilisation qui seront montés en série sur les véhicules.

L’industrie reproche toutefois à la norme d’Ottawa une importante lacune: l’installation du dispositif en usine au moment de la fabrication des véhicules. Plusieurs pensent, en effet, qu’il faudra peu de temps aux voleurs professionnels pour « faire le tour des modèles » et apprendre à contourner l’antivol de chacun.

Ed Sainz, directeur des communications corporatives chez Daimler-Chrysler Canada, se dit convaincu que la norme aura un impact sur le crime organisé. « C’est un bon règlement et nous croyons qu’il sera effectif longtemps. Nous croyons que les véhicules qui seront volés devront être carrément transportés par un camion ou par une remorque. Il sera difficile pour les voleurs de transgresser l’ignition du véhicule sans le déplacer », affirme-t-il.

Son collègue de General Motors Canada (GMC) partage le même avis. « Notre système coupe-circuit aura 137 milliards de combinaisons possibles. Il faudrait dix siècles pour toutes les essayer. Nous pensons donc qu’il s’agit d’une protection efficace », indique Tom Odell, directeur de la planification technologique chez GMC.

Freddy Marcantonio, directeur du développement des assurances et de la distribution stratégique chez Repérage Boomerang, est d’un autre avis. Sans être contre la réglementation, il souligne que ce n’est pas cette norme qui réglera le problème du vol auto au Québec.

« Le phénomène du vol automobile au Québec est différent du reste du Canada. Au Québec, on retrouve la présence du crime organisé. La nouvelle réglementation peut aider à contrer le “joy riding”, mais ça ne règlera jamais le problème des vols commis au Québec. Les compagnies d’assurance ne recommandent même plus d’avoir des anti-démarreurs, car ils ne fonctionnent pas. D’ailleurs, 36 % des véhicules qu’on retrouve par le système de repérage Boomerang sont équipés d’anti-démarreurs approuvés par le Bureau d’assurance du Canada (BAC) », explique-t-il.

30 secondes à déjouer

M. Marcantonio croit que les voleurs professionnels n’auront pas beaucoup de difficultés à déjouer un coupe-moteur monté en série. « Au Québec, qu’un véhicule ait le meilleur système n’est pas garant de tout. N’importe qui peut contourner le dispositif d’un fabricant. Il est toujours à la même place et il peut être déjoué de la même façon. Ça ne prendra pas grand-chose pour que les voleurs professionnels puissent vite s’y faire. Un coupe-ignition, ça peut leur prendre 30 secondes à déjouer. Ce qui est plus difficile pour eux, ce sont les clés à puces », fait-il remarquer.

M. Marcantonio cite également une étude réalisée par l’Université John Hopkins de Baltimore en 2005. Elle démontre que les dispositifs d’identification par radiofréquence utilisés dans les coupe-moteurs peuvent être facilement contournés. Les étudiants de cette université ont réussi à déjouer les systèmes d’immobilisation de trois grands fabricants d’auto avec une micro-puce coûtant moins de 200 $US. Ceux-ci avaient ensuite branché seize puces de différents dispositifs d’immobilisation ensemble et avaient pu passer outre leurs codes en moins de 15 minutes.

Pierre-Paul Jodoin, président de Marquage Sherlock, croit que la nouvelle norme ne sera pas désuète de sitôt et qu’elle empêchera le « joy riding » pendant longtemps. Lui aussi doute cependant de son effet sur le crime organisé.

« Plus il y aura de système de défense sur un véhicule, mieux ce sera. Ce qu’exige Transports Canada est ce qui se fait de mieux en matière de coupe-moteur. Ça empêchera le “joy ride”, mais ça n’empêchera pas les voleurs professionnels de sévir, car ils peuvent compter sur des réseaux de voleurs de clés et aussi de remorquage. La nouvelle norme peut les embêter un peu, mais ils travailleront plus fort. Ils vont quand même rafler des véhicules. On voit déjà des exemples de tels contournements. Il faut donc toujours améliorer les systèmes de défense », plaide-t-il.

M. Jodoin souligne aussi que plusieurs véhicules ayant un dispositif d’immobilisation se font voler. « On retrouve beaucoup de véhicules volés dans le haut de gamme avec des coupe-moteurs. Et ce ne sont pas seulement des modèles de 1997 à 1999. Le réseau de voleurs professionnels travaille en professionnel. Il a besoin de toutes sortes de monde pour fonctionner. Ce qui fait peur au voleur professionnel, c’est le marquage. Il ne faut pas oublier que le vol auto est ce qui fait le plus de dommages aux assureurs. On ne peut pas être contre la vertu, mais ça reste une mesure partielle », rappelle-t-il.

André Beauchamp, directeur régional des services reliés au vol auto au BAC, croit aussi que la nouvelle norme sera contournée par le crime organisé, mais affirme qu’elle sera tout de même efficace. Il souligne qu’il serait irréaliste de demander aux fabricants d’automobiles d’installer un dispositif d’immobilisation à un endroit différent pour chaque véhicule, compte tenu des coûts qui y seraient rattachés.

« La norme ne sera pas désuète avant son application. Le nombre de véhicules volés montre qu’il y a une diminution du “joy ride”. Les petits voleurs qui se promènent avec un véhicule pendant quelques heures ou quelques jours seront contrés. Le crime organisé aura encore les moyens de contourner la norme. On remarque qu’il y a encore beaucoup de véhicules des années 1991 à 1993 qui se font voler, car ils sont faciles d’accès pour les jeunes et les gangs de rue. La mesure sera donc efficace », croit-il.

Pas ciblé contre le crime organisé

Chez Transports Canada, on défend la nouvelle norme, mais on admet qu’elle ne sera pas suffisante pour contrer le crime organisé. Jean-François Roy, ingénieur à l’élaboration des règlements en sécurité routière chez Transports Canada, rappelle que la nouvelle norme a spécifiquement été conçue pour enrayer le « joy riding ».

« En moyenne, 27 personnes décèdent par année dans des incidents reliés au “joy riding”. Au volant d’une voiture volée, les jeunes sont parfois pris dans des poursuites policières et ça se termine par un accident. Un système d’immobilisation empêchera un jeune de casser l’allumage, mais il est clair que ça n’empêchera pas le crime organisé de le faire. On vise vraiment les jeunes contrevenants de 15-16 ans avec la nouvelle norme. Notre but est de leur compliquer la tâche. Si quelqu’un du crime organisé veut voler le véhicule, ça diminuera le risque, mais ça ne l’éliminera pas. Punir n’est pas notre mandat. On vise à assurer la sécurité des gens. On croit que la norme sera efficace longtemps, surtout dans le cas des jeunes contrevenants », soutient-il.