Des chercheurs proposent des matrices de risques climatiques qui permettent aux investisseurs institutionnels d’incorporer les catastrophes naturelles et leurs dommages dans la gestion de portefeuille des différents secteurs industriels. 

L’équipe du Centre Intact d’adaptation au climat (CIAC) de l’Université de Waterloo vient de publier le rapport « Passer de la rhétorique à l’action : intégrer le changement climatique physique et les risques liés aux phénomènes météorologiques extrêmes dans les investissements institutionnels ».

Le document a été produit grâce au soutien du Global Risk Institute (GRI), du cabinet-conseil Clearsum et d’Intact Corporation financière

Les matrices recensent les grandes catastrophes naturelles qui auront un effet sur la productivité d’une entreprise, ce qui se répercutera sur la valeur de ses actions. Une telle matrice « est à l’image des conseils collectifs donnés par les chefs de l’exploitation, aidés d’experts sur le climat, sur les risques climatiques prioritaires qui selon eux devraient être considérés par les investisseurs avant de faire un achat ». 

Avec les records associés aux différents phénomènes météorologiques qui sont fracassés de plus en plus souvent, la divulgation de risques climatiques s’impose pour aider les marchés financiers à déterminer le prix des risques et des possibilités, indique le Centre dans son communiqué. 

Une telle divulgation permet de recenser ces risques, « mais aussi les mesures à mettre en place pour les réduire, afin de permettre aux investisseurs institutionnels de faire leur devoir de fiduciaire », indique Kathryn Bakos, directrice générale du Centre et co-auteure du rapport. 

Selon Blair Feltmate, président du CIAC et co-auteur du rapport, il ne sert à rien de parler en utilisant les sigles ou acronymes comme GIFCC, SASB, enjeux ESG (environnementaux, sociaux ou de gouvernance) « ou autre appellation du genre si ça ne traduit pas en action concrète pour améliorer les profils de risque du monde de l’investissement ». 

Le GIFCC est le Groupe de travail sur l’information financière relative aux changements climatiques. Le Sustainability Accounting Standards Boards (SASB) a tiré profit des cadres définis par le GIFCC afin de définir des cibles et indicateurs couvrant les principaux enjeux ESG pour 77 secteurs. On vise à mesurer ce qui peut influencer le rendement financier et la valeur des entreprises. 

Utilité des matrices 

Les matrices présentées dans le rapport évaluent l’assurance de dommages en habitation, le secteur bancaire, l’immobilier commercial de même que la production, la distribution et le transport d’électricité. Ces mêmes secteurs avaient été étudiés par le CIAC en 2020 dans le rapport « Prendre en compte les risques climatiques dans l’évaluation financière ». Blair Feltmate était aussi l’un des coauteurs du rapport. 

De son côté, Cédric Robert, chef de la direction de Clearsum, estime que « l’investissement rapide et proactif dans l’adaptation peut améliorer la résilience des opérations, protéger et augmenter la valeur des portefeuilles et créer des avantages concurrentiels à long terme pour les organismes dans une économie à la merci du climat. Les matrices peuvent nous aider à accomplir tout cela, comme le démontre notre étude de cas dans l’immobilier commercial ».

« Les risques de transition liés à la carboneutralité devraient être étroitement liés à l’évaluation des répercussions des phénomènes météorologiques extrêmes sur le rendement de l’émetteur », indique par ailleurs Sonia Baxendale, présidente et chef de la direction du GRI. 

Le rapport rappelle que la fondation émettrice des normes internationales (IFRS) vient de créer le Conseil des normes internationales d’information sur la durabilité (ISSB), afin de répondre aux besoins d’information des marchés financiers. 

Au Canada, la ligne directrice B-15 du Bureau du surintendant des institutions financières (BSIF) traite des saines pratiques commerciales en matière de gestion des risques climatiques. Les matrices proposées par le Centre fournissent un moyen de concrétiser cette ligne directrice B-15, estiment les auteurs du rapport. 

Définition du risque 

Pour les besoins de l’analyse, le risque climatique est défini comme le rapport entre l’ampleur d’un danger, par exemple une inondation ou un feu incontrôlé, et la probabilité qu’il se produise et en tenant compte des risques extrêmes.

Les dangers climatiques et les mesures d’atténuation pour chacun des six secteurs d’activité retenus pour l’élaboration des matrices ont été sélectionnés selon les recommandations de 5 à 10 directeurs de l’exploitation ayant chacun au moins 15 ans d’expérience dans le secteur visé. 

Outre les investisseurs institutionnels, ces matrices pourraient être utilisées par les investisseurs privés, les commissions des valeurs mobilières, les agences de notation et les conseils d’administration. 

Pour les secteurs étudiés, les auteurs suggèrent des questions pour évaluer le niveau de préparation aux risques climatiques physiques. En assurance de dommages pour l’habitation, il faut ainsi se demander quel est le pourcentage des habitations qui sont situées dans des zones risquant de subir des phénomènes météorologiques extrêmes. Si la réponse dépasse la barre du 10 %, c’est mauvais. Le niveau de préparation des clients à mitiger leur vulnérabilité doit aussi être analysé.

En hausse constante 

En considérant les sinistres qui entraînent des réclamations de plus de 25 millions de dollars (M$), le Bureau d’assurance du Canada estimait que les extrêmes climatiques représentaient de 250 M$ à 450 M$ par année entre 1983 et 2008.

Par la suite, la barre du milliard de dollars a été dépassée lors de 13 des 14 années suivantes. Entre 2009 et 2022, ces pertes annuelles moyennes ont dépassé les 2 milliards de dollars (G$).

En matière de coût des événements climatiques extrêmes au Canada, la barre des 3,1 milliards de dollars (G$) a été dépassée en 2022. Cela inclut les indemnités versées et les frais de règlement des sinistres. Pour chaque dollar en pertes assurées, on constate qu’il y a de 3 à 4 dollars en pertes non assurées qui sont engagés par les gouvernements, les entreprises et les particuliers. 

L’étude réalisée par le Centre part de l’hypothèse que les manifestations d’un phénomène météorologique extrême sont plus souvent négatives que positives pour les assureurs. 

Le rapport comprend aussi une étude de cas plus détaillée du secteur de l’immobilier commercial auquel les institutions financières consacrent des investissements importants.