Un client qui a besoin d'aide

Louis Richelieu (nom fictif) est le client type des professionnels en gestion de patrimoine et planification financière. À 54 ans, divorcé et en union libre, des enfants de son mariage, puis d'autres déjà élevés par sa nouvelle conjointe, deux résidences, des actifs et des dettes. Il a besoin d'aide pour gérer son patrimoine et celui de ses proches.

Au colloque du Cercle finance du Québec, tenu à la fin de l'automne à Québec, trois ateliers portaient spécifiquement sur la planification financière. Le premier visait à présenter les tendances et astuces en gestion de patrimoine.

Le client fictif

L'animateur Vincent Cliche, conseiller en placement à la Financière Banque Nationale, a présenté le portrait du client fictif qui a servi aux fins des présentations faites par les trois experts: un comptable, un avocat-fiscaliste spécialisé en planification successorale et une avocate spécialisée en droit commercial.

Ce client fictif est Louis Richelieu, âgé de 54 ans, associé d'un cabinet d'avocats en société en nom collectif à responsabilité limitée (SENCRL). Il a trois enfants d'un premier mariage avec Colette, âgés de 18, 20 et 22 ans. Il est divorcé et en union libre avec Mireille, sa nouvelle conjointe depuis 15 ans. Cette dernière a deux enfants d'une précédente union, âgés de 24 et 26 ans. Louis est aussi propriétaire unique d'une société de gestion, Riche Lieu inc.

Ses actifs sont les suivants: des sommes de 400 000 $ dans des régimes enregistrés d'épargne retraite (REÉR), de 45 000 $ dans un compte d'épargne libre d'impôts (CÉLI), des placements au comptant de 150 000 $, des placements de 400 000 $ dans la SENCRL. Il est aussi copropriétaire, avec sa conjointe, d'une résidence principale de 600 000 $ sur laquelle pèse une hypothèque de 150 000 $. Avec sa conjointe, il est également copropriétaire d'un condo en Floride d'une valeur de 250 000 $, avec un solde hypothécaire de 30 000 $.

Des avantages à l'incorporation

Alain Bertrand, CPA, associé en fiscalité chez Blanchette Vachon, suggère à Louis Richelieu (client fictif) de songer à l'incorporation, qui est possible pour les avocats depuis 2004. Le taux d'imposition pour la société est de 19 % pour les premiers 500 000 $, et grimpe jusqu'à 26,9 % pour les excédents. Pour le contribuable, le taux d'imposition peut atteindre 49,97 %. Il est aussi possible de reporter l'impôt à plus tard si des sommes n'ont pas été versées en rémunération.

L'incorporation du professionnel offre plus de flexibilité pour le versement de la rémunération en salaire ou en dividende, et aussi en matière de fractionnement du revenu. Enfin, la vente de l'entreprise lui donnera accès à l'exemption plus élevée sur le gain en capital.

L'incorporation permet aussi d'imposer une valeur à l'achalandage. La partie imposable de l'achalandage pourra aussi être amortie aux fins du calcul du revenu imposable de la société. M. Bertrand souligne un autre avantage lié à l'incorporation, soit la possibilité de transférer l'assurance vie détenue personnellement à la société. Le gouvernement fédéral a éliminé plusieurs crédits d'impôt touchant l'assurance dans le budget 2015, mais celle-là existe toujours.

Pour le fractionnement des revenus avec les enfants et la conjointe, l'émission d'actions discrétionnaires permet à la société de verser des sommes à d'autres personnes que son propriétaire. Ces membres de la famille paieront ainsi moins d'impôt que pour le dividende versé au propriétaire.

Le professionnel demeure responsable de ses actes, qu'il soit incorporé ou non, précise Alain Bertrand. Pour protéger ses actifs et conserver un patrimoine distinct, la création d'une fiducie doit être envisagée. La fiducie pourrait même détenir la société de gestion, et non pas le professionnel. En cas de décès, il devient plus facile de transférer les actions avec un impact fiscal moindre pour les bénéficiaires de la fiducie. Cela permet aussi de mieux protéger les bénéficiaires et de multiplier l'exemption de gain en capital sur ces derniers, note-t-il.

La société peut rembourser des sommes dues à l'actionnaire, qui s'en sert pour rembourser le prêt hypothécaire de ses actifs immobiliers. Louis peut ensuite contracter un nouveau prêt du même montant qu'il réinvestit dans l'entreprise. Les intérêts deviennent alors déductibles même si sa structure financière est restée la même.

Le versement de la rémunération en salaire ou en dividende dépend de plusieurs facteurs, dont la situation familiale, précise Alain Bertrand. Un professionnel plus jeune qui prévoit avoir d'autres enfants pourra utiliser divers crédits accordés aux familles. Le seul versement de dividende, dont le taux d'imposition a été majoré trois fois depuis 2012, ne donne pas accès au crédit d'impôt pour les frais de garde d'enfants. Les cotisations au REÉR et les types de placements influencent aussi le mode de rémunération. Si la société est imposée au plus gros taux (26,9 %), il demeure plus avantageux de verser un salaire.

Quand le professionnel est rémunéré à salaire, il peut cotiser au maximum au régime public de Retraite Québec, tant pour sa part que celle de l'employeur. Plus il approche de la retraite, s'il n'a pas déjà payé les montants maximaux, plus la cotisation à ce régime est payante. Cela crée une rente viagère à la retraite qui doit être considérée, note M. Bertrand.

Est-il bon pour l'actionnaire de cotiser à un REÉR? En cas d'insolvabilité, le régime d'épargne retraite a un caractère insaisissable et fait partie du patrimoine familial, contrairement aux placements dans une société. Si la compagnie a une dette fiscale, l'actionnaire qui a reçu un dividende est solidaire de cette dette, ce qui n'est pas le cas si la rémunération est versée en salaire.

Pour le cas de la copropriété en Floride, s'il a été acheté par l'entremise de la société, cela devient un avantage imposable pour les périodes où le condo n'est pas loué, et il est établi selon la juste valeur marchande du loyer. La propriété d'un condo par la société suscitera davantage l'intérêt du vérificateur fiscal. Au moment de la revente, le gain est plus lourdement imposé si la propriété est détenue par l'entreprise, ajoute M. Bertrand. Enfin, si le condo est loué, il y a des formulaires à compléter pour les biens détenus à l'étranger (formulaire T1135) d'une valeur de plus de 100 000 $, peu importe qui en est le propriétaire.

En considérant le patrimoine et l'âge de M. Richelieu, Alain Bertrand juge qu'il est temps de penser à la planification successorale. Les sommes accumulées dans la société ont pris de la valeur et seront sujettes à l'impôt au dernier décès. Souscrire à de l'assurance vie peut servir de levier pour payer et réduire la facture d'impôts au décès. Ce client devrait évidemment mettre à jour son testament. Dans son cas, Alain Bertrand lui suggère aussi de créer une fiducie exclusive à sa conjointe afin de répartir le capital pour elle et les enfants de son premier mariage.


Placements et emprunts dans le contexte de la société

Serge Lessard est vice-président adjoint du service fiscalité, retraite et planification successorale chez Investissements Manuvie. Dans le cas du client fictif Louis Richelieu et de ses 400 000 $ détenus dans la société de gestion, il faut développer la stratégie de décaissement. Lorsqu'on reçoit un dividende, le taux d'imposition est à 35,22 % dans le cas de ce client. En conséquence, s'il n'a pas besoin de cet argent, il vaut mieux la laisser dans la société. On obtient plus de rendement avec des sommes plus importantes en placement.

Les gens oublient parfois que les revenus de placement, ou revenus au titre de dividende (RTD), sont imposables. « Je paie de l'impôt sur les revenus de placement de ma compagnie. Une partie de cet impôt est permanent, l'autre est temporaire. On la récupère lorsqu'on sort des dividendes imposables de l'entreprise. Si je reçois 1 $ de revenu de placement de la compagnie, je paie environ 0,46 $ en impôts. Mais le jour où je décide de sortir un dividende de la compagnie, je récupère 33 % en remboursement d'impôt de la compagnie, à même l'impôt temporaire déjà payé », dit-il.

« Nos clients se font toujours dire, lorsqu'ils sont encore actifs dans l'entreprise, que le taux d'impôt du dividende est de 40 %. Mais lorsqu'ils ont accumulé une bonne somme dans la compagnie, ce n'est plus tout à fait le même portrait.»  Dans l'exemple où le dividende versé est de 1,50 $, avec le remboursement d'impôt de 0,50 $ déjà payé par l'entreprise, sortir un dollar de liquidités de la compagnie laisse 0,97 $ dans les poches de l'actionnaire. « Si je sors les revenus de placement de l'entreprise, ça ne me coute pas cher. Si je sors le capital, là c'est plus imposé », explique M. Lessard.

Il recommande la stratégie de versement des revenus de placements à l'actionnaire qui a accumulé de la valeur dans l'entreprise et qui veut recevoir des liquidités sans être trop pénalisé au plan fiscal. « Cela signifie que sortir les revenus de placement de la société peut couter entre 3 et 10 % d'impôt, si l'actionnaire a un revenu personnel imposable de 138 000 $ et plus », dit-il. Le cout fiscal peut même être nul, voire entrainer un gain de liquidité si le revenu personnel imposable est plus bas.

Est-il préférable de racheter des REÉR ou de retirer des sommes de la société de gestion? À la retraite, au taux maximum le retrait REÉR coute 50 % d'impôt. Pour sortir de l'argent de la société, il en coutera 0, 3, 10 ou 40 % selon l'option retenue. M. Lessard juge préférable de reporter le décaissement des actifs dans la compagnie le plus tard possible, et de continuer à obtenir du rendement sur ce placement.

L'idée générale est donc de sortir d'abord le gain de placement de la compagnie, lorsqu'il y en a, avant d'en retirer le capital. On reporte l'impôt à plus tard, mais c'est le même principe que pour le REÉR, explique Serge Lessard durant les échanges. Il note aussi que Louis pourrait investir dans l'achat de fonds distinct, avec une rente viagère à verser à sa conjointe qui n'aurait pas été incluse dans la succession.


Les problèmes en cas de décès

Marie-Pier Baril est avocate chez BCF Avocats d'affaires. Toujours en prenant le cas fictif de Louis Richelieu, elle a imaginé les situations possibles suivant son décès subit à l'âge de 54 ans, avec la situation familiale décrite au début. Elle a suggéré quelques solutions qui évitent les problèmes en pareil cas.

La lecture du testament ne se passe pas toujours en présence de tous les héritiers réunis chez le notaire. Cela doit être prévu dans le testament, et dans le cas d'une famille reconstituée comme c'est le cas de Louis, il faut même prévoir qui sera invité, dit-elle.

En lisant le testament, on apprend qu'il y a un legs à titre particulier à une fiducie testamentaire créée au bénéfice exclusif de la conjointe, Mireille. Le défunt a aussi prévu un legs universel résiduaire en parts égales à trois fiducies testamentaires créées au bénéfice des trois enfants de Louis issus de son mariage avec Colette.

Louis a remis sa part indivise de la maison à la fiducie exclusive en faveur de Mireille. Mais il n'a pas prévu ajouter de l'argent pour régler le solde de l'hypothèque. Mireille n'a hérité de rien d'autre, la fiducie n'a pas d'argent pour régler la dette et aucune assurance ne couvre ce prêt. Que se passe-t-il? Ce genre de situation est plus fréquent qu'on ne le pense, précise Marie-Pier Baril. Il se peut que Mireille soit forcée de vendre la résidence principale, avec la charge émotive que cela comporte, et ce n'est surement pas ce que Louis souhaitait, dit-elle.

La planification successorale tient souvent compte des actifs du défunt, mais pas toujours du passif, constate Me Baril. La règle générale est que les légataires résiduels sont tenus de payer les dettes de la succession. L'erreur similaire se produit lorsqu'on prévoit léguer les sommes accumulées dans des REÉR aux enfants. La dette fiscale peut s'avérer lourde pour eux.

Dans son jugement de divorce, Louis devait conserver une police d'assurance vie au bénéfice de Colette, son ex-femme, d'une somme de 200 000 $. On découvre au décès qu'il n'a pas souscrit cette police. Dans un tel cas, la succession est responsable du défaut de Louis de respecter cette obligation envers Colette. Me Baril rappelle que pour certaines polices souscrites durant le mariage, le divorce entraine leur révocation et il faut en souscrire une nouvelle.

Louis avait désigné son ami et collègue Bernard comme fiduciaire indépendant désigné pour gérer les fiducies des enfants. Bernard refuse, car aucune assurance responsabilité ne couvre sa responsabilité. Les fiduciaires remplaçants refusent, pour le même motif. Les héritiers découvrent qu'une telle police coute très cher. La gestion des fiducies pourrait être confiée à une société indépendante spécialisée en la matière. Celles-ci s'occupent parfois de gérer les actifs des héritiers qui en sont incapables. Le fiduciaire a la responsabilité de protéger les bénéficiaires.

Autre problème potentiel souvent ignoré par les planificateurs financiers: les poursuites en dommages pour des gestes survenus avant le décès. L'avocate cite l'exemple de terrains vendus par Louis deux ans plus tôt, après avoir déménagé. On découvre que les terrains sont contaminés et une poursuite est engagée envers la succession. Me Baril rappelle que le principe général établit que les héritiers sont responsables des dettes de la succession jusqu'à concurrence des sommes reçues en héritage.

La procédure légale doit cependant avoir été suivie, ce qui inclut la nécessité d'avoir établi un inventaire de la succession. Si l'inventaire n'a pas été fait, cette limite n'existe plus. L'avocate recommande vivement de prévoir couvrir un tel risque par une assurance, qui ne coute pas très cher. Jusqu'en 1994, la dispense de l'inventaire était souvent prévue dans le testament. La réforme du Code civil a éliminé cette anomalie; certains testaments peuvent encore mentionner cette dispense, mais elle est réputée non écrite. « Si le testament a été rédigé après 1994 et prévoit toujours cette dispense, vous comprenez que le notaire n'est pas à jour dans sa pratique », dit-elle en souriant.

Dans le cas du vice caché relié à la vente du terrain contaminé, c'est le moment où l'acquéreur découvre le vice que détermine le début de la prescription de trois ans. Le bien peut avoir été vendu sans garantie et au risque et péril de l'acquéreur, comme on le voit parfois pour la résidence principale d'un couple de personnes âgées. « Mais le prix de vente ne sera pas le même », explique Me Baril.

Elle rappelle enfin la nécessité de prévoir un compte d'urgence au bénéfice du conjoint; les sommes versées rapidement après le décès ne sont pas si nombreuses, et elles ne couvrent pas toujours les besoins immédiats du survivant.