Selon le chercheur Martin Boyer, la solution au financement des soins de longue durée passe nécessairement par la combinaison de la protection d’assurance et de la rente de retraite. Il estime que le marché de l’assurance soins de longue durée est trop petit à cause de la générosité des régimes publics et privés, lesquels enlèvent tout incitatif à se protéger du risque de finir sa vie dans un état de dépendance.

Professeur en finance et assurance à HEC Montréal et directeur du Groupe de recherches en gestion des risques des régimes de retraite publics et privés (GR2R2P2), M. Boyer est l’auteur de plusieurs articles scientifiques sur le risque de longévité. Sa présentation au Symposium sur les soins de longue durée, tenu récemment à l’Université Laval, a été préparée avec Franca Glenzer, de l’Université Goethe à Francfort.

En réfléchissant à sa vie après la retraite, chaque individu est confronté à deux risques : le risque de longévité, soit de survivre à son épargne retraite, et le risque lié aux besoins de soins de longue durée. « On peut mourir avant la retraite. Sinon, on est un retraité en santé, ou un retraité malade. Il y a une troisième variable, qui est l’âge du client », dit-il. Cette simplicité permet selon lui de modéliser le risque et de le tarifer en conséquence.

Pour l’instant, le budget requis pour se protéger de ce risque est tout simplement trop élevé pour le travailleur moyen, surtout s’il faut prévoir une longue période dans un CHSLD, ajoute M. Boyer.

Le risque de longévité

Le risque de longévité est actuellement couvert par deux types de régimes de retraite : ceux à prestations déterminées et ceux à cotisations déterminées. Les deux marchés coexistent au Canada, où 97 % des actifs sous gestion sont toutefois détenus dans les régimes à prestations déterminées. Mais il existe des pays de l’OCDE où le régime à cotisations déterminées est le régime prédominant.

« Le régime à prestations déterminées est plus sécuritaire, parce que la majorité des cotisants ne savent pas comment gérer leur épargne », note M. Boyer. Il constate la tendance récente des régimes à passer du régime à prestations déterminées au régime à cotisations déterminées, ce qui équivaut à transférer le risque de longévité sur les retraités et les assurés. Cette évolution du marché du travail et du régime privilégié pour l’épargne retraite aura un impact important sur tous les autres produits d’assurance, incluant l’assurance soins de longue durée. Ces produits représentent un investissement à très long terme.

En arrivant sur le marché du travail, le salarié a bien d’autres besoins à combler que l’assurance soins de longue durée. « À 25 ans, on ne sait pas encore vraiment si nous risquons d’avoir des problèmes de santé en vieillissant, sauf si les parents ont déjà de tels problèmes », dit-il. Cette information arrive alors que le choix du régime collectif a déjà été fait. En approchant de l’âge de la retraite, on peut réfléchir à l’idée de se procurer une assurance supplémentaire, mais il est rare que ça se fasse avant, dans le contexte actuel.

Dans le modèle classique du régime collectif, l’assureur est tenu de tarifer le risque pour l’ensemble du groupe d’assurés, autant les personnes qui ne représentent aucun risque pour lui que celles qui lui feront débourser beaucoup d’argent. Tous les assurés potentiels ont un risque de longévité variable, mais s’ils atteignent un âge avancé, les probabilités sont fortes qu’ils aient besoin de soins de longue durée.

Martin Boyer et Franca Glenzer préparent un article où ils tenteront de simuler l’intérêt des salariés à souscrire l’assurance soins de longue durée en fonction de leur type de régime de retraite.

Si le cotisant veut transformer son épargne en rente en rente de retraite, les assureurs ont le droit de s’informer sur son état de santé, ce qui influence la tarification. Selon le moment où l’assurance soins de longue durée est souscrite, et en fonction du montant de la franchise et du degré de générosité de la couverture, le cotisant fournit de l’information à l’assureur sur son état de santé. Le client a alors avantage à s’offrir une bonne couverture, et c’est ce qu’il fait de manière générale, précise le chercheur.

Martin Boyer pense que le cotisant à un régime à prestations déterminées ne souscrit pas la police parce que sa couverture est insuffisante ou trop chère. De l’autre côté, les gens qui n’ont pas de régime de retraite se fient à l’État pour les prestations de vieillesse. « Il n’y a rien d’irrationnel dans ces comportements. Le produit qu’on leur offre ne les couvre pas entièrement. Il est tout simplement trop cher pour le bénéfice perçu », dit-il. Pour les assureurs soins de longue durée, il ne reste alors que les cotisants à un régime à cotisations déterminées.

Un choix irrationnel pour les jeunes

« Acheter un produit à 35 ans pour couvrir un besoin en soins de longue durée à 75 ans, ce n’est pas rationnel au prix où il est vendu maintenant, ajoute M. Boyer. Comment peut-on être certain que l’assureur sera toujours là lorsqu’on aura besoin du produit? Est-ce que le contrat sera honoré? L’assureur aura-t-il bien prévu la croissance des couts en institution? » Dans ce contexte, le comportement des clients qui déterminent de ne pas s’assurer est parfaitement logique, répète-t-il.

Pour développer le marché, il estime donc nécessaire de mettre ensemble les deux puzzles, la rente longévité d’un côté et l’assurance soins de longue durée de l’autre. Le même assureur peut offrir les deux produits, mais ça n’est pas obligatoire, précise-t-il lors des échanges.

« Dans mon modèle, l’information que vous avez en choisissant votre véhicule de retraite est importante. En approchant de l’âge de la retraite, vous connaissez l’historique familial, et votre propre comportement. L’assureur sait que vous détenez cette information, et on en arrive à un cas d’antisélection classique en assurance », dit-il.