L’Association québécoise des pharmaciens propriétaires (AQPP) porte en appel un jugement rendu il y a deux semaines par la Cour supérieure du Québec qui permettrait aux assureurs privés d’avoir accès aux honoraires professionnels des pharmaciens.
La Cour avait alors rejeté l’interprétation de la loi et les arguments avancés par l’AQPP. Cette dernière cherche à restreindre l’émission de ces factures aux seuls clients en personne. Les pharmaciens sont tenus de remettre une facture détaillée incluant leurs honoraires à leurs clients depuis l’automne 2017. Les assureurs privés veulent également obtenir cette information auprès de la Régie de l’assurance maladie du Québec (RAMQ).
L’association s’est adressée à la Cour supérieure afin d’empêcher la Régie de transmettre le détail de ces honoraires à l’industrie de l’assurance de personnes. Les parties ont été entendues les 28 et 29 novembre. Les assureurs privés n’étaient pas impliqués dans le débat judiciaire.
Obligation seulement envers les personnes physiques
L’AQPP demandait à la Cour d’interpréter une nouvelle disposition ajoutée à la Loi sur l’assurance médicaments. Le litige entre les parties portait sur l’article 8.1.1 de cette loi. Se fondant sur les termes de cet article qui dit qu’« un pharmacien doit remettre une facture détaillée à la personne à qui est réclamé le paiement d’un service pharmaceutique, d’un médicament ou d’une fourniture couvert par le régime général ». L’association plaidait alors que le pharmacien n’a d’obligation qu’envers une seule personne, soit celle qui se présente à la pharmacie.
D’après son interprétation, ses membres n’ont pas à communiquer telle facture à une autre personne que celle qui se procure le bien. Selon l’AQPP, leur obligation en lien avec la remise de la facture se limite aux personnes physiques se procurant les services pharmaceutiques, à l’exclusion des assureurs qui sont appelés à contribuer financièrement.
Les assureurs doivent aussi recevoir une copie de la facture
La Régie et la Procureure générale du Québec ont vu les choses de façon inverse. D’après elles, dans le cadre du régime privé, les assureurs appelés à payer doivent, eux aussi, recevoir copie de la facture. À leur point de vue, le pharmacien doit aussi faire suivre copie de la facture à l’assureur de son client, ou à l’administrateur d’un régime d’avantages sociaux, lorsque celui-ci en assume le paiement, en tout ou en partie.
Le Tribunal devait donc décider du sens à donner à l’article de loi contesté quant au (x) destinataire (s) de la facture.
Interprétation élargie « d’une personne »
Dans un jugement rendu le 26 février dernier, le juge Daniel Dumais a donné raison à la Régie et rejeté les arguments de l’AQPP en s’appuyant sur une interprétation élargie de l’expression « une personne ».
« Le Tribunal, écrit-il dans son jugement, ne souscrit pas à cette lecture de la disposition. D’une part, l’utilisation du singulier n’exclut pas que l’obligation vaille envers plusieurs personnes. L’article 54 de la Loi d’interprétation québécoise le prévoit spécifiquement : “Le nombre singulier s’étend à plusieurs personnes ou à plusieurs choses de même espèce, chaque fois que le contexte se prête à cette extension”. »
Aucune exigence de présence physique
« En l’espèce, ajoute le magistrat, les circonstances se prêtent à l’inclusion énoncée à la Loi d’interprétation plutôt qu’à restreindre le sens du mot “personne” à un individu. Si on visait uniquement une personne physique, on aurait plutôt référé à la “personne admissible” comme on le fait à plusieurs endroits dans la loi. D’autre part, le mot “remettre” n’exige pas nécessairement, aux yeux du soussigné, la présence physique du destinataire. Tout comme pour un paiement ou un avis de non-renouvèlement, on peut procéder de manière électronique. “Remettre” a plutôt le sens de “transmettre”. »
« En définitive l’article 8.1.1 ne semble pas limiter, à sa face même, l’obligation de remise à une seule personne dont on requiert la présence à la pharmacie. Ce devoir peut s’étendre à plus d’un, incluant une personne morale. On aurait pu l’écrire de manière plus expresse en référant nommément aux assureurs, mais cela n’est pas requis. La formulation choisie conduit au même résultat », a-t-il aussi écrit.
Favoriser la concurrence
Le juge ajoute plus loin que la divulgation des honoraires sur la facture favorise la concurrence et peut contribuer à alléger le fardeau des payeurs. Cet objectif milite en faveur de l’interprétation des défenderesses plutôt que celle, restrictive, de la demanderesse. Il a aussi rejeté un autre argument de l’AQPP à l’effet qu’expédier une copie des factures aux assureurs entrainerait l’imposition d’un fardeau administratif et financier aux pharmaciens.
« Il est fréquent qu’une loi nouvelle entraine des conséquences financières aux gens à qui elle s’adresse, surtout en matière d’intérêt public, commente le juge Dumais. Au surplus, le pharmacien n’est pas obligé d’envoyer la facture à l’assureur s’il exige paiement entier de son assuré. La décision lui revient. »
Bref, dit le juge, la transparence recherchée a plus de chances d’être atteinte si on élargit les destinataires de factures plutôt que de les restreindre. La remise de factures aux assureurs payeurs est certainement plus compatible avec la finalité de la loi et ne peut qu’être qu’avantageuse pour les citoyens ».
L’ACCAP se réjouit de la décision
La présidente de la division Québec l’Association canadienne des compagnies d’assurances de personnes (ACCAP-Québec), Lyne Duhaime, était ravie de cette décision.
« Nous sommes heureux de la décision de la Cour supérieure qui confirme l’intention du gouvernement de donner des outils aux payeurs privés, employeurs et travailleurs, pour contrôler les couts des médicaments », a commenté Mme Duhaime par courriel, en réunion du conseil d’administration à Toronto.
Le ministre de la Santé, Gaétan Barrette, s’est également réjoui de ce jugement. « Je suis satisfait de cette décision », a-t-il déclaré au quotidien La Presse.
Appel de l’AQPP
L’AQPP a fait savoir le 2 mars qu’elle porterait la décision du juge Daniel Dumais en appel dans un communiqué de quatre lignes.
« À la suite du rejet de sa demande en jugement déclaratoire, écrit-on, l’AQPP se montre évidemment déçue de cette décision et en désaccord avec ses conclusions. Le mandat de porter ce jugement en appel a déjà été donné aux procureurs de l’AQPP. L’AQPP n’émettra aucun autre commentaire et n’accordera aucune entrevue. »