Le président de l’Association médicale du Québec, le Dr Hugo Viens, s’est attaqué à l’un des plus grands tabous du système de santé québécois le 8 décembre dernier dans le cadre du 12e Forum de l’industrie de la santé qui se tenait à Québec en soulevant la possibilité de revoir le panier de services des médicaments afin de contrôler la hausse des couts et d’offrir une médication pour des maladies rares.

La révision du panier de services, tant pour les soins couverts que pour les médicaments, est un sujet hautement sensible auquel aucun gouvernement québécois n’a jamais osé réellement s’attaquer ces dernières années. L’idée a déjà été évoquée par certaines voix, mais avait été écartée, tout comme la possibilité d’imposer un ticket modérateur. Le Dr Viens a relancé cette piste lors d’une table ronde à laquelle prenaient aussi part la présidente de l’Association canadienne des compagnies d’assurances de personnes (ACCAP), Lyne Duhaime, et l’ancien ministre de la Santé du Québec dans le premier gouvernement Libéral de Philippe Couillard, le Dr Yves Bolduc.

L’importance du médicament

Le Dr Viens, un orthopédiste, a défendu l’importance des médicaments dans la trajectoire de soins médicalement requis pour un patient. Tous sont d’accord qu’une chirurgie devrait être assurée par le système de santé, a-t-il déclaré, mais si le patient a besoin de médicaments à sa sortie de l’hôpital, est-ce qu’il est acceptable qu’ils ne soient pas couverts par le régime d’assurance maladie ? On désarticule donc l’épisode de soins en deux parties, dit-il, un volet couvert et l’autre peut-être. Pourtant, même si les patients font de plus en plus de courts séjours dans les hôpitaux et de plus en plus en communauté, on est toujours dans le même épisode de soins.

C’est un point qu’a partagé Louis Thériault, vice-président, politique et recherche, à Médicaments Novateurs Canada. « Un médicament qui fait partie intégrante des soins devrait faire partie d’un système universel », a-t-il soutenu.

Certains médicaments sont gratuits quand le patient est hospitalisé, mais ne sont plus couverts quand il retourne à la maison alors qu’ils pourraient accélérer son rétablissement et lui permettre, selon les situations, de retourner plus rapidement au travail.

Revoir le panier de services

Le Dr Hugo Viens est préoccupé par la hausse du cout des médicaments, mais il a proposé quelques avenues pour contrôler cette croissance : d’abord, revoir le panier de services et les médicaments à faible valeur ajoutée. Il a cité le cas des statines destinées à réduire le cholestérol. Beaucoup de médecins de famille vont les prescrire afin de prévenir l’apparition de problèmes cardiaques et d’infarctus.

C’est un choix d’utilisation auquel s’opposent de nombreux cardiologues parce qu’il n’encourage pas les gens à changer leurs habitudes alimentaires et faire davantage d’exercice afin de réduire leur taux de cholestérol et prévenir un évènement coronarien. Des personnes à qui on suggère de prendre des statines en prévention primaire vont continuer de mal manger et de ne pas bouger en se disant qu’ils prennent une pilule contre le cholestérol, affirment des spécialistes. En outre, la valeur de ce médicament pour prévenir réellement les incidents cardiaques fait l’objet de débats au sein du corps médical.

Quoi qu’il en soit, les cardiologues voudraient que les statines soient plutôt prescrites pour les gens qui ont déjà eu un évènement coronarien ou qui sont très à risque d’en développer à cause de leur génétique. On estimait il y a trois ans qu’un Québécois sur quatre couvert par un régime d’assurance médicaments prenait une médication pour le cholestérol et que la facture totale s’élevait à 500 millions de dollars par année.

Comme l’ont fait des cardiologues, le président de l’AMQ a donc remis en question la prescription de statines à grande échelle et dit que l’argent épargné pourrait être notamment réinjecté dans le paiement de médicaments pour des maladies rares.

Des choix à faire

« Dans le système de santé, il y a des soins qui ont une valeur ajoutée plus importante par rapport à l’argent investi, a commenté le Dr Viens au Journal de l’assurance en marge du Forum. Quand on va commencer à sentir un resserrement des ressources, il y a aura des choix à faire et je crois que nous sommes prêts socialement à le faire. »

Il y a des soins à forte valeur ajoutée que l’on va couvrir parce qu’ils vont permettre à des gens d’éviter une catastrophe. À l’opposé, prévoit-il, on va remettre en question certains problèmes de santé que l’on médicalise et pour lesquels on prescrit beaucoup de médications alors que la valeur de ces traitements n’est peut-être pas là. Il y a des économies énormes à faire de ce côté, soutient-il, et le débat sur le panier de services va devenir inévitable.

Outre la révision du panier de services, le Dr Viens souligne que les médecins devraient aussi « déprescrire » des médicaments, ce qu’ils ne font pas assez. Du temps qu’il était ministre de la Santé, Philippe Couillard avait voulu s’inspirer d’un modèle australien où un pharmacien et un médecin faisaient équipe pour réviser la médication de patients et le reproduire au Québec, mais il n’est jamais allé de l’avant. Or, il y a des gains de santé et financiers à faire de ce côté.

Ces deux mesures, soit la désinscription et la révision du panier de services, pourraient permettre, selon le président de l’AMQ, de ne plus payer les médicaments à faible valeur ajoutée et d’offrir une médication innovante pour des maladies rares à fort impact chez peu de gens.