La Cour d’appel du Québec donne raison à un conseiller financier qui veut poursuivre une firme de gestion de patrimoine. La poursuite, qui n’avait pas été déposée dans le délai requis par le premier avocat au dossier, avait été rejetée par la Cour supérieure. La Cour d’appel infirme ce jugement et prolonge le délai d’inscription de six mois.
Le 26 juin 2023, Martin Malette et le cabinet Services financiers Martin Malette n’avaient pas réussi à convaincre le juge Philippe Bélanger, du district d’Iberville de la Cour supérieure, d’être relevés de leur défaut d’avoir inscrit le dossier dans le délai prescrit. Malgré la négligence grave de leur ancien procureur, le tribunal avait conclu que les demandeurs n’avaient pas démontré leur impossibilité d’agir dans les délais prescrits.
Dans un jugement rendu le 1er novembre 2024, la Cour d’appel accueille la demande et prolonge le délai d’inscription. Elle a aussi ordonné aux parties de produire un nouveau protocole d’instance dans les 15 jours suivant sa décision.
Contrat résilié
En septembre 2020, le conseiller et son cabinet intentent un recours contre Distribution financière Sun Life (DFSL) et réclament 882 000 $ à la suite de la résiliation de leur contrat de conseiller en fonds de placement, événement survenu en 2018.
À cette époque, les demandeurs sont représentés par Me David-Alexandre Aubé, qui agit alors au sein du cabinet Trivium Avocats. En août 2021, le cabinet met fin à l’emploi de l’avocat. M. Aubé continue de représenter les demandeurs à son propre compte. Un nouveau protocole de déroulement de l’instance est alors conclu et le délai pour la mise en état du dossier est fixé au 4 mai 2022.
L’avocat, qui a des ennuis de santé dont la nature n’est pas précisée par les demandeurs, perd la maîtrise de ses dossiers. Poursuivi par le cabinet Trivium en avril 2023, le procureur démissionne du tableau de l’ordre professionnel et cesse d’être membre du Barreau du Québec.
À la demande du Barreau, Trivium accepte de reprendre l’instance. Un autre avocat présente la demande pour être relevé du défaut d’inscrire la cause dans le délai imparti. Sun Life conteste la demande en invoquant l’absence de démonstration par les demandeurs de leur impossibilité d’agir.
Première instance
Même si tel était le cas, DFSL estime que le tribunal ne devrait pas exercer la discrétion que lui confère l’article 173 du Code de procédure civile afin de relever les demandeurs de leur défaut.
Selon le juge Bélanger, malgré la négligence grossière de leur avocat, les demandeurs n’ont pas démontré leur impossibilité d’agir. Ils ont déposé en preuve les échanges par courrier électronique ayant eu lieu entre Malette et Aubé de février 2022 à mars 2023. Seulement deux courriels sont antérieurs au 4 mai 2022, date du défaut. À partir de cette date, les demandeurs avaient 30 jours pour déposer leur demande de dérogation, indique la Cour supérieure.
Les échanges qui ont eu lieu après cette date démontrent une inquiétude croissante des demandeurs quant à l’absence de progression du dossier. Leur avocat ne répond que sporadiquement aux courriels et ne mentionne jamais son défaut d’inscrire la cause dans le délai imparti.
En l’absence d’autre preuve quant aux démarches entreprises par les demandeurs avant la survenance du défaut d’inscrire afin de s’assurer du bon déroulement de l’instance, le tribunal rejette la demande de Martin Malette et de son cabinet.
Le sérieux du recours
Le recours ne peut être réintroduit sans l’accord du tribunal, car le délai de trois ans est prescrit en juin 2023. Les demandeurs devront alors s’adresser au Fonds d’assurance responsabilité du Barreau du Québec pour obtenir compensation.
Martin Malette avait fait cession de ses biens le 1er mars 2018 en vertu des dispositions pertinentes de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité. Il réclame, en son nom personnel, le paiement de diverses sommes dont DFSL serait redevable en raison de la résiliation unilatérale du contrat de conseiller, survenue en juin 2018.
« Il pourrait être opposé à Malette qu’il n’avait pas la capacité légale d’instituer, en son nom personnel, un recours visant le recouvrement d’une créance dévolue à son syndic dont le produit, s’il en est, devrait être distribué aux créanciers de Malette si le syndic décide d’en poursuivre l’exercice. On peut dès lors mettre en doute le sérieux de cette portion du recours intenté à l’endroit de DFSL », écrit le juge de première instance.
Il s’est écoulé près d’un an entre le 4 mai 2022 et la démission du Barreau par l’avocat Aubé. On ne peut reprocher ce délai au cabinet Trivium, mais cet élément ne milite pas en faveur des demandeurs, ajoute le tribunal.
Enfin, dans la poursuite de Trivium contre Aubé, ce dernier précise dans sa déclaration assermentée que ses tâches professionnelles étaient devenues « intolérables » à partir du mois de juillet 2022, soit après le délai du 4 mai 2022. Ses problèmes de santé avaient commencé en avril 2021.
Le tribunal conclut à la négligence grave du procureur. En pareilles circonstances, il n’y a pas lieu d’exercer la discrétion conférée au tribunal en faveur de la partie requérante, indique le juge Bélanger.
Le 30 octobre 2023, la Cour d’appel décline la requête de DFSL qui demandait le rejet de l’appel déposé par le conseiller et son cabinet.
En appel
Selon les trois juges qui ont entendu l’appel le 31 octobre dernier, M. Malette ne sait manifestement pas que son dossier devait être inscrit avant le 4 mai 2022. Son précédent avocat l’avait informé qu’il devait compter de trois à quatre ans avant d’espérer une « certaine évolution significative » de la procédure. Dans ce contexte, les démarches de l’appelant faites après le 4 mai 2022 auraient dû aussi être considérées par le juge de première instance.
Moins d’un mois après l’enquête du Barreau et le transfert du dossier à un autre avocat, la demande d’être relevée du défaut d’inscription a été déposée, soit le 9 mai 2023.
La jurisprudence de la Cour d’appel citée en première instance précise que si le client doit collaborer avec son avocat, il n’a pas à s’assurer que ce dernier « pose tous les gestes requis ». Le client est en droit de s’attendre à ce que son procureur fasse cheminer son dossier selon les règles de l’art.
Le juge Bélanger a commis une erreur révisable par la Cour d’appel en concluant que les échanges entre les clients et leur avocat ne suffisent pas à établir l’impossibilité d’agir des appelants.
L’analyse faite par le juge Bélanger aurait dû être plus prudente, ajoute la Cour d’appel, notamment sur la question de la dévolution des créances de l’appelant au syndic de faillite. « La prudence est de mise à ce stade préliminaire du dossier », car il y a peu de renseignements sur la cession de biens de Malette.
Il était « périlleux de tirer des conclusions quant à l’impact de la faillite de l’appelant », car le dossier ne permettait pas au juge de connaître les montants en cause dans la faillite de Malette par rapport au montant réclamé dans son recours.
Le juge omet également de considérer la réclamation du cabinet, qui allègue avoir droit aux commissions en vertu du contrat avec DFSL et qui n’est pas en faillite. L’entreprise est établie à Saint-Jean-sur-Richelieu.
L’erreur induite par le comportement du premier avocat milite en faveur de relever les appelants des conséquences du défaut. « Avec égards, le juge devait exercer sa discrétion de façon favorable aux appelants », indique la Cour d’appel.
À l’audience, les parties demandent un délai de six mois pour mettre le dossier en état. Le délai d’inscription pour instruction et jugement est prolongé au 1er novembre 2025.