Aucune institution financière québécoise n'est disparue sous l'effet de la crise, mais celle-ci a montré des lacunes à corriger au plan des pratiques qu'utilise l'industrie.Voilà l'une des conclusions que Jean St-Gelais, PDG de l'Autorité des marchés financiers, a tirée de la dernière année. M. St-Gelais a dressé un bilan du travail de son organisme lors du Rendez-Vous de l'Autorité organisé le 26 octobre dernier, ainsi que lors du banquet-conférence au Congrès de l'assurance et de l'investissement 2009, tenue 13 novembre dernier.

« La rentabilité des compagnies d'assurance québécoises a été sérieusement affectée en 2008 en raison de la crise. Mais il y a une chose dont on doit se réjouir : aucune entreprise n'a vu sa survie mise en péril, contrairement à la situation observée dans d'autres pays. Depuis le début de 2009, la rentabilité des assureurs s'est même améliorée », a déclaré M. St-Gelais, au congrès.

« Un constat clair qui ressort de ces travaux est que les pratiques en matière de gouvernance, de gestion des risques et de conformité des entreprises ont été déficientes et doivent être améliorées. »

Dans cette perspective, l'Autorité a rédigé des lignes directrices énonçant ses attentes vis-à-vis divers segments de l'industrie.

Bilan

L'objectif premier de M. St-Gelais demeure « de créer la meilleure équipe possible pour avoir la meilleure réglementation possible ». Le régulateur siège aussi sur divers comités nationaux et internationaux. Il a cité en exemple le travail que l'Autorité a fait avec l'Ontario sur la question des fonds de couverture (hedge funds). Les deux provinces ont mené une enquête sur les fonds d'investissement privés pour voir si certains ne présentaient pas de risques systémiques c'est-à-dire des risques qui s'étendent à l'ensemble du système financier mondial. À Montréal, une quarantaine de gestionnaires de fonds ont été interrogés en ce qui concerne leur stratégie de placements, entre autres.

M. St-Gelais souligne que son équipe a aussi travaillé sur plusieurs dossiers, dont la réglementation des produits dérivés, le rôle des agences de notation, la mise en place des nouvelles normes comptables internationales (IFRS), la prise de risque indue et la rémunération des dirigeants. En assurance, M. St-Gelais a rappelé que l'Autorité a émis des lignes directrices sur la gouvernance, sur la gestion intégrée des risques et sur la conformité. « Nous travaillons maintenant à voir comment, à chaque jour, ces lignes directrices seront respectées », a-t-il dit.

Répression

En matière de répression des crimes économiques, le PDG de l'Autorité a rappelé que ce sujet était une priorité pour son organisme depuis sa création en 2004. « Nous y avons mis beaucoup d'efforts. Nous voulons aider l'industrie des services financiers avec la réglementation harmonisée, mais aussi protéger le consommateur en étant plus visible et plus efficace sur chacun des dossiers », a-t-il expliqué.

L'Autorité vient de conclure une entente avec les corps policiers quant à la mise en place de moyens pour améliorer le mécanisme de répression des crimes économiques. M. St-Gelais a aussi rappelé que le régulateur se lance dans la cybersurveillance, où des employés de l'Autorité vérifient en temps réel sur plus de 125 moteurs de recherche la légalité de l'offre de services financiers. M. St-Gelais a aussi demandé à ce que des peines plus dissuasives soient imposées aux bandits à cravate. L'Autorité a demandé à la Cour Suprême d'être entendue sur la question des peines de prison au pénal.

« Au Canada et au Québec, les crimes économiques ne sont pas perçus comme des crimes violents. Ces crimes touchent pourtant toute la société, même s'ils ne sont pas accompagnés de violence physique. Leurs impacts sont parfois plus directs, comme dans le dossier Earl Jones, où des drames humains se vivent présentement, mais ils sont aussi indirects en minant la confiance des investisseurs. Dans tous les cas, les dommages pour la société sont grands. Il faut qu'elle en soit consciente et qu'elle agisse de manière efficace contre les crimes économiques pour qu'il y en ait le moins possible. Les gens doivent savoir que l'industrie des services financiers lui offre de bons services et qu'ils peuvent avoir confiance au système », a affirmé M. St-Gelais.

Mandats de gestion et valeurs mobilières

Le PDG de l'Autorité a aussi adressé quelques commentaires sur la question des mandats de gestion, qui a fait couler beaucoup d'encre depuis l'éclosion de l'affaire Earl Jones. « On veut voir plus clair dans tout ça, car il y en a de toutes les sortes et de tous les types. On veut faire en sorte que lorsque ces mandats de gestion sont donnés, les gens le fassent en toute connaissance de cause et qu'ils comprennent bien la responsabilité de confier le tout à quelqu'un d'autre. Nous consultons l'industrie à cet effet et, heureusement, la réponse est très bonne», a-t-il dit.

Quant à la réforme de l'inscription, M. St-Gelais a rappelé qu'elle était en vigueur depuis le 28 septembre et que l'Autorité travaillait maintenant avec la Chambre de la sécurité financière pour les questions de juridiction des règlements avec le Mutual Fund Dealer Association (MFDA). « On va le faire en toute ouverture et en toute transparence pour que l'industrie soit la mieux traitée possible », a assuré le PDG de l'Autorité.

Quant à une éventuelle commission unique des valeurs mobilières, M. St-Gelais a réitéré son opposition envers un tel projet. « C'est une question d'économie et d'emplois à long terme pour Montréal et pour le Québec. Le secteur financier québécois est sain et a des institutions solides. À Toronto, ils ont réalisé quel oxygène ça peut apporter dans une économie. Ça vaut de l'or. Il est important de garder ça ici pour se développer, sans enlever rien aux autres. Ce n'est pas une question de juridictions, mais bien d'emplois et d'expertise », a-t-il dit.

Entrée à la carrière

Au cours des dernières semaines, l'Autorité a aussi publié pour consultation le Règlement 1 sur l'entrée à la carrière. Au moment de mettre sous presse, cette consultation était toujours en cours. M. St-Gelais a dit souhaiter que le nouveau règlement entre en vigueur en 2010, dans le but d'éliminer certains irritants et alléger le fardeau administratif.

En IARD, le règlement propose d'ajouter un accès à la carrière. Un candidat ayant un diplôme d'études secondaires et qui aurait occupé un travail à temps plein pendant trois ans pourrait accéder à la carrière. En assurance de personnes, la formation minimale requise ne serait pas modifiée, le collégial demeurant la norme. Toutefois, les postulants ne possédant pas le niveau collégial requis pourraient être exemptés s'ils possèdent des compétences équivalentes. L'Autorité dit agir ainsi pour favoriser les postulants qui ont acquis une solide expérience dans ce domaine. Des modifications seraient aussi apportées au stage, qui deviendrait une période probatoire.

Par ailleurs, en assurance de dommages, l'Autorité entend éliminer la catégorie « experts en sinistres à l'emploi d'un assureur ». Le régulateur veut l'éliminer puisque ces experts étaient exemptés de réussir le stage réglementaire. Les experts en sinistre seraient regroupés en une seule catégorie. Ainsi, l'Autorité souhaite que tous les experts en sinistres effectuent une période probatoire. La planification financière subit quant à elle une modification à l'opposé des experts en sinistre. L'Autorité propose d'abolir l'exigence d'effectuer un stage pour obtenir le permis.

Point de vente et lignes directrices

Quant à la nouvelle réglementation sur le point de vente de fonds distincts et de fonds communs, M. St-Gelais a révélé que les deux industries étaient d'accord avec ses grands principes, dont l'aperçu du fonds, qui résumera sur une feuille recto-verso les principales caractéristiques du fonds.

« L'information a été simplifiée et l'industrie est prête à aller de l'avant avec le dossier. Il nous reste à régler la question de la délivrance, soit à quel moment ce document devrait être donné à l'investisseur. Les organismes de réglementation, comme l'Autorité, sont convaincus qu'elle doit être donnée avant l'achat, car l'info demeure toujours utile une fois que l'achat est fait. Par contre, on comprend que pour mener à bien ces opérations, ce n'est pas toujours possible pour tout le monde de la manière dont l'industrie est structurée. On est ouvert aux discussions », a assuré le PDG de l'Autorité.

L'Autorité a aussi publié trois lignes directrices au cours des dernières semaines. Elles portent sur les pratiques de gouvernance, la gestion des risques et la conformité des entreprises. « Ces lignes directrices expriment clairement nos attentes. Plusieurs défis nous attendent. Entre autres, le niveau de capital va être rehaussé. Nous voulons être certains que nos institutions financières vont le relever quand ce sera requis », a spécifié le PDG de l'Autorité.

Distribution sans représentant

M. St-Gelais a aussi confirmé que l'Autorité regardait à l'interne la question de la distribution d'assurance sans représentant par Internet. Sur la question des garanties de remplacement, le PDG de l'Autorité dit enfin voir la lumière au bout du tunnel depuis que son organisme a statué que les produits devaient être réglementés comme un produit d'assurance. L'Autorité voudrait maintenant que la législation soit modifiée pour que la garantie de remplacement soit le dernier pan de la distribution sans représentant.

« Nous voulons nous assurer que quand quelqu'un prend une garantie, le concessionnaire aura de l'argent pour payer en cas d'accident. Malheureusement, nous avons un cas où nous avons des inquiétudes sur un soi-disant assureur qui offre des garanties de remplacement et qui va probablement faire faillite. On s'en occupe pour limiter les dégâts », mentionne M. St-Gelais.

FlashFinance.ca, une publication sœur du Journal de l'assurance, a appris que la firme à laquelle faisait référence M. St-Gelais était Hampstead Cameron, qui a été placée sous séquestre en août. Son PDG Pierre Fecteau a réclamé en Cour supérieure l'assistance du syndic Raymond Chabot Grant Thornton (RCGT) afin de déposer une proposition de règlement à ses créanciers conformément à la Loi sur la faillite et l'insolvabilité. (Plus de détails en page 3).

Pointage de crédit

L'Autorité entend aussi analyser la question de l'évaluation du dossier de crédit du consommateur que mènent les assureurs avant de lui accorder une police d'assurance. Cette démarche fait couler beaucoup d'encre ailleurs au Canada. Le pointage de crédit n'est pas interdit au Québec. Les assureurs ont le droit, en ce moment, de demander la cote de crédit d'une personne qui demande une soumission. Toutefois, là où le bât blesse pour certains, c'est que les assureurs ne redemandent pas l'autorisation du client par la suite quand vient le temps de revérifier sa cote de crédit, ce qui peut avoir un impact sur celle-ci sans que le client le sache.

« Pour nous, le pointage de crédit n'est pas un problème en soi. C'est la façon dont il est fait qui pose un problème, a dit M. St-Gelais. À mon avis, l'industrie devra avoir un code de conduite qui sera le plus sévère possible et qui soit bien utilisé. Dans trop de cas, il y a des assureurs qui demandent l'information à des clients et qui pensent qu'ils ont l'autorisation à vie de le faire. On en a parlé au Groupement des assureurs automobiles et on devrait avoir des propositions à cet effet. »