Même s’il a déchiré son entente avec le Parti libéral du Canada il y a quelques semaines, le Nouveau Parti démocratique aura gagné son pari : après des semaines d’études au Sénat, la Loi concernant l’assurance médicaments qui crée le régime fédéral d’assurance médicaments national et universel a reçu sa sanction royale le 10 octobre dernier et la première phase est immédiatement entrée en vigueur. 

Ce projet de loi avait été déposé à la Chambre des communes en février 2024. Depuis, il a été étudié par les députés et les sénateurs et il n’est toujours pas clair, après huit mois de travaux et de consultations, si les assureurs privés pourront continuer de rembourser des médicaments, ou pas. Le gouvernement de Justin Trudeau parle toujours d’un régime à « payeur unique » et reste ambigu à propos du maintien de la contribution des assureurs privés. 

« Le ministre (fédéral de la Santé, Mark Holland) était ambivalent au début au sujet du programme et a insisté pour dire que les Canadiens continueraient d’avoir le choix entre leurs régimes privés et le régime public, a rappelé le sénateur conservateur Don Plet le 10 octobre, peu avant l’adoption du projet de loi. Mais finalement, à la dernière minute, le chat est sorti du sac quand le ministre Holland a révélé que l’objectif politique du projet de loi C-64 était d’enlever aux Canadiens leur couverture privée en matière de santé. » 

« Le projet de loi C-64 est en réalité un cheval de Troie, a-t-il poursuivi (…) Le ministre Holland a officiellement confirmé par écrit au comité que le but ultime du projet de loi est que le gouvernement fédéral prenne en charge tous les médicaments au Canada, ce qui fermerait la porte aux soins de santé privés pour des millions de Canadiens. » 

La Loi prévoit que la jeune Agence des médicaments du Canada devra élaborer et remettre au plus tard au premier anniversaire de sa sanction une liste de médicaments sur ordonnance et de produits connexes essentiels qui servira de point de départ à l’élaboration d’une liste nationale de médicaments. 

La contraception et les médicaments pour le diabète d’abord 

Les deux premiers gestes qui résulteront de sa mise en vigueur toucheront les femmes et les personnes diabétiques. Le régime fournira des médicaments à 3,7 millions de personnes vivant avec le diabète et un accès gratuit à la contraception à plus de 9 millions de femmes à travers le pays. Selon des chercheurs de l’Université de la Colombie-Britannique, les contraceptifs peuvent coûter plus de 19 000 $ au cours de la vie d’une femme. 

Dans un mémoire, l’Association canadienne des compagnies d’assurances de personnes (ACCAP) avait soulevé qu’en 2023, les régimes collectifs d’assurances en milieu de travail avaient remboursé pour environ 1,7 milliard de dollars de médicaments pour soigner le diabète. D’après son analyse, 85 % de ces coûts ne seraient pas couverts si on se fie au document d’information de Santé Canada.

À la défense de la contribution des assureurs privés 

Le communiqué émis le 10 octobre par Santé Canada est muet sur le rôle et la contribution des assureurs privés dans le paiement des médicaments d’ordonnance.

Lors de l’étude en dernière lecture du projet de loi devant le Sénat le 10 octobre, la sénatrice Judith G. Seidman a défendu leur apport. Elle a rappelé à ses confrères et consœurs de la Chambre haute que plusieurs pays de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) s’étaient donnés un régime d’assurance à payeurs multiples.

  • La France est dotée d’un régime d’assurance universel, mais plus de 90 % des Français cotisent à un régime d’assurance privé complémentaire à participation volontaire. 
  • En Allemagne, le régime est universel, mais il permet aux personnes qui gagnent plus de 90 000 $ par année de cotiser plutôt à un régime d’assurance-maladie privé de remplacement. 
  • Les Pays-Bas possèdent un régime universel, mais plus de 80 % des Néerlandais cotisent à un régime privé complémentaire à participation volontaire. 

« Régime universel ne veut pas dire la même chose que régime à payeur unique, a souligné Mme Seidman. Bon nombre de pays comparables au Canada se sont dotés d’un régime d’assurance médicaments prévu par la loi et à payeurs multiples qui est beaucoup plus près du modèle québécois que du modèle proposé dans le projet de loi C-64. » 

Les craintes du milieu pharmaceutique 

Judith G. Seidman a aussi rappelé les mises en garde faites par plusieurs intervenants majeurs provenant du milieu pharmaceutique sur les impacts négatifs qu’aurait le retrait des assureurs privés du paiement des médicaments. 

Benoit Morin, président de l’Association québécoise des pharmaciens propriétaires (AQPP), croit que certaines pharmacies québécoises ne survivront pas si elles ne peuvent facturer qu’un type de frais d’exécution d’ordonnances, fixé par la province ou le territoire, qui sont inférieurs aux tarifs payés par les compagnies d’assurance. 

La Dre Shelita Dattani, qui représentait l’Association canadienne des pharmacies de quartier (ACPQ), a dit de son côté : « Une conséquence involontaire de l’assurance médicaments à payeur unique pourrait bien être un recul de l’offre de services pharmaceutiques et de l’accès aux médicaments. » 

Laura Syron, présidente et chef de la direction de Diabète Canada, craint un retrait de la couverture de ces médicaments des régimes privés et des effets négatifs qui s’ensuivraient pour les patients. Si l’assurance privée cessait de payer un médicament qui était couvert par les régimes privés, mais qui n’est pas dans la liste du régime fédéral universel, les patients se verront dans l’obligation de payer eux-mêmes la facture, anticipe-t-elle.