La municipalité réclame des dommages à l’entrepreneur et à l’assureur en cautionnement pour n’avoir pas exécuté le mandat prévu dans la soumission. Insatisfaite des montants qui lui étaient accordés dans le jugement de première instance, la Ville fait appel de la décision, sans succès. 

Le litige concerne un appel d’offres fait en 2018 par la Ville de Repentigny pour la réfection des toitures de deux immeubles, une bibliothèque et une station de purification de l’eau. À la mi-septembre 2018, le contrat est octroyé au plus bas soumissionnaire, la compagnie 9165-1364 Québec inc., faisant affaire sous le nom Les Toitures Techni Toit, qui propose d’exécuter les travaux pour une somme de 373 323,83 $. 

En donnant le contrat, la Ville demande un cautionnement d’exécution pour un montant représentant 50 % du coût total du contrat. Alpha compagnie d’assurance signe l’entente de cautionnement avec l’entrepreneur le 24 septembre 2018. Selon le Registraire des entreprises du Québec, cette firme spécialisée en ferblanterie est établie à Drummondville. 

L’entrepreneur doit effectuer le travail en 75 jours et le terminer au plus tard le 22 janvier 2019. Comme les travaux ne sont jamais entrepris, la municipalité doit se résigner à révoquer le contrat le 10 avril 2019. Le contrat prévoit une pénalité de 1 000 $ par jour de retard.

La municipalité refait un nouvel appel d’offres près de 10 mois après avoir révoqué le contrat. Dans sa demande introductive d’instance, la Ville réclame plus de 353 000 $. Le procès se déroule les 4 et 5 décembre 2023 dans le district judiciaire de Joliette.

La réclamation de la Ville est alors modifiée. La demanderesse réclame à l’entrepreneur et à sa caution la différence entre le coût prévu et celui payé pour l’exécution des travaux en 2020, soit 177 860,55 $. Elle réclame aussi à l’entrepreneur la somme de 86 000 $ en pénalités pour les retards prévus au contrat.

En première instance 

Dans le jugement rendu le 22 février 2024 par la Cour supérieure du Québec, la juge Judith Harvie condamne solidairement l’entrepreneur et sa caution à payer la somme de 15 000 $ à la Ville en dommages-intérêts en raison de l’inexécution du contrat. Les frais sont en faveur de la municipalité. 

Techni Toit est aussi condamnée seule à payer 55 000 $ à la Ville pour la pénalité prévue au contrat pour le retard dans les travaux. Cette conclusion n’est d’ailleurs pas contestée dans l’appel fait par la municipalité. 

Le tribunal accueille aussi l’appel en garantie d’Alpha et condamne les défendeurs Techni Toit, Jessy Lacharité et Gaétan Lacharité à indemniser l’assureur en cautionnement de la condamnation prononcée dans cette affaire. Les défendeurs ne contestent pas et cette partie du jugement est sans frais. 

Au départ, la Ville estimait que le retard couvrait 86 jours ouvrables, à partir du 9 décembre 2018 jusqu’à la révocation du contrat, le 10 avril 2019. Le tribunal considère plutôt que le retard devait être calculé à partir du 22 janvier 2019, soit 55 jours ouvrables. 

La responsabilité de l’entrepreneur 

En première instance, Techni Toit allègue que, comme la Ville rend impossible le respect de l’échéancier, la clause pénale prévue au contrat est inapplicable et abusive. 

Dans l’appel d’offres initial, les travaux devaient débuter le 7 août 2018 et se terminer au plus tard le 19 novembre 2019. Le contrat devait être adjugé à la séance du conseil prévue le 17 juillet 2018, mais il ne le sera finalement que deux mois plus tard, à la mi-septembre. 

Si l’entrepreneur ne peut exécuter l’ouvrage dans le délai prévu en raison d’un acte ou une omission de la Ville, ou de « conditions météorologiques anormalement défavorables », une demande pourra être faite à l’architecte qui supervise le travail dans un délai de 10 jours ouvrables à compter du commencement du retard. 

L’ordre de débuter les travaux est donné le 24 septembre 2018, et la Ville réclame qu’ils soient exécutés au plus tard le 8 décembre, ce qui inclut les fins de semaine. À la fin octobre, l’architecte fournit encore des annotations aux fiches techniques qui doivent être approuvées.

Ce n’est que le 9 novembre 2018 que Techni Toit fournit un échéancier des travaux tout en mentionnant que des travaux supplémentaires et des coupes exploratrices seront nécessaires. Le représentant de la Ville rétorque que « le devis est très clair » et que ces travaux ne sont pas nécessaires. Il répète que les travaux devaient commencer le 24 septembre et qu’aucun retard ne sera toléré. 

Le 11 novembre 2018, une bordée de neige retarde les travaux. Par la suite, le froid et les périodes de clarté plus courte compliquent les travaux sur le toit de la bibliothèque. Finalement, l’entrepreneur n’arrive pas à démarrer le chantier. Le défaut d’exécution est transmis dès le 11 décembre 2018. La Ville annonce qu’elle demande à la caution d’exécuter le contrat. 

L’avocat de l’assureur écrit à la Ville le 20 décembre 2018 pour indiquer que si la municipalité ne fait aucune demande formelle à l’entrepreneur pour le parachèvement des travaux, celui-ci sera délié de ses engagements.

Une mise en demeure est envoyée à l’entrepreneur le 21 mars 2019 et on lui accorde 10 jours pour commencer les travaux. Techni Toit rétorque qu’elle ne pourra commencer les travaux avant la mi-avril en raison des conditions climatiques. 

Quant à la clause pénale, l’entrepreneur réplique qu’en suivant l’interprétation du contrat, il fera face à une pénalité de 188 000 $, soit environ la moitié de la valeur du contrat, ce qu’il considère comme étant abusif. Il demande que la Ville renonce à appliquer la clause pénale avant de s’engager à commencer les travaux. 

Par la suite, l’avocat de Techni Toit offre une somme de 7 250 $ qui correspond à la différence entre la soumission de sa cliente et le deuxième plus bas soumissionnaire. L’offre est refusée et la Ville réclame l’intervention de la caution. L’assureur rétorque que l’intransigeance de la municipalité empêche les travaux de s’amorcer et cherche une solution de compromis. Il n’y en aura pas et « l’intransigeance des deux parties rend un dénouement impossible », écrit la juge au paragraphe 78. 

Le deuxième appel d’offres est fait en février 2020. Le contrat est accordé pour une somme de 605 000 $ et les travaux seront réalisés en 30 jours. La poursuite contre l’entrepreneur et sa caution est intentée en février 2021. La différence entre les deux soumissions est révisée à 178 000 $, car la Ville reconnaît avoir récupéré les taxes. 

Analyse du tribunal  

Dans son analyse du contrat, le tribunal estime que le délai de sept semaines avant le début des travaux ne peut être reproché à la Ville. L’entrepreneur est actif dans le domaine depuis plusieurs années et devrait savoir qu’il arrive régulièrement des délais dans les processus publics d’appel d’offres. 

Jamais l’entrepreneur n’avise la municipalité qu’il ne pourra respecter l’échéancier et il n’emploie pas les clauses prévues au contrat pour obtenir des délais. La preuve montre que si les conditions météorologiques sont normales, les travaux doivent prendre 30 jours à être réalisés. 

Le retard mis par Techni Toit à produire un échéancier des travaux ne peut non plus être reproché à la Ville ou à l’architecte qui supervise le chantier. En soumettant l’échéancier le 9 novembre 2018, l’entrepreneur ne peut ignorer que la météo pourrait lui être défavorable. La preuve soumise au procès ne permet pas de conclure que les conditions compliquaient l’exécution du chantier de manière inhabituelle. 

Concernant le délai de 75 jours, en tenant compte des jours fériés et des fins de semaine, le tribunal estime que le délai expirait le 22 janvier 2019. Peu importe l’erreur de la Ville dans le calcul de ce délai, l’obligation contractuelle était connue et l’entrepreneur est responsable du manquement. 

Le tribunal se penche ensuite sur la clause pénale, en analysant la jurisprudence et en citant l’article 1623 du Code civil du Québec: « Le créancier qui se prévaut de la clause pénale a droit au montant de la peine stipulée sans avoir à prouver le préjudice subi. Cependant, le montant de la peine stipulée peut être réduit si l’exécution partielle de l’obligation a profité au créancier ou si la clause est abusive. » 

La durée de vie utile du toit de la station d’épuration est dépassée et des fuites sont déjà observées. Dès juin 2018, l’appel d’offres est soumis pour que les travaux soient faits rapidement. Une peine de 1 000 $ par jour n’est pas abusive pour un contrat de cette ampleur dont le délai d’exécution est un élément essentiel. 

Concernant la réclamation liée à la différence du coût entre la soumission octroyée à Techni Toit et le deuxième appel d’offres, le tribunal estime que l’entrepreneur n’a pas respecté ses obligations. Une fois mise en demeure en mars 2019, l’entreprise demande que la Ville renonce à la clause pénale et lui offre 7250 $. « Ce comportement autorise la Ville à révoquer le contrat », écrit la juge. 

L’entrepreneur prétend que la Ville n’a rien fait pour minimiser ses dommages. Le tribunal lui donne en partie raison. Dès le défaut constaté, la Ville aurait pu tenter de joindre le deuxième plus bas soumissionnaire pour vérifier s’il peut réaliser le contrat. Pourtant, dès le 20 décembre 2018, la preuve montre que la municipalité se préparait déjà à confier à un autre entrepreneur l’exécution du contrat. 

De plus, la Ville ne fournit aucune explication pour expliquer le délai de 10 mois entre la révocation du contrat et le deuxième appel d’offres. Le contrat est octroyé le 10 mars 2020, alors que la mise en place des restrictions sanitaires en lien avec la pandémie de COVID-19 a lieu le 13 mars.

Le tribunal estime que la Ville peut prétendre à une somme de 15 000 $ pour la différence de prix entre la soumission de l’entrepreneur et le coût qu’elle aurait dû payer pour la réfection des toitures dès le printemps 2019. 

Comme la réclamation de la Ville n’a pas été chiffrée durant les discussions avec l’entrepreneur, les intérêts au taux légal et l’indemnité additionnelle s’appliquent à partir du dépôt de la demande introductive d’instance. 

En appel 

Devant la Cour d’appel du Québec, la Ville allègue que la juge de première instance a commis des erreurs révisables en lui accordant des dommages 15 000 $, une somme largement inférieure à ce qu’elle réclamait. L’appelante avance que le tribunal lui a incorrectement imposé de prouver qu’elle avait minimisé ses dommages, alors que ce fardeau incombait aux parties intimées. 

La municipalité rappelle que le prix de l’entrepreneur était garanti pour 120 jours et que rien ne prouve que le deuxième soumissionnaire aurait effectué le travail au prix qu’il avait offert plusieurs mois auparavant. Le délai de 10 mois mis à préparer le deuxième appel d’offres était normal, affirme la Ville.

Dans son jugement rendu le 10 octobre 2025, le trio de juges de la Cour d’appel rejette l’appel de la Ville, avec les frais. Concernant le quantum des dommages que le tribunal a estimé à 15 000 $, la Cour d’appel rappelle qu’elle doit faire preuve de déférence lorsqu’elle doit intervenir. Le tribunal a tenu compte des circonstances, ce qui inclut la pénalité imposée de 55 000 $ à l’entrepreneur. 

La Cour ajoute que l’appelante a échoué à établir les erreurs manifestes reprochées à la juge de première instance. (Cette dernière a par ailleurs été nommée à la Cour d’appel le 18 décembre 2023.)