Les assureurs ignorent encore tout l’impact qu’aura la crise sur leurs affaires en assurance collective. Ceux qui sont très présents en Ontario s’attendent toutefois à la ressentir concrètement à travers les difficultés du secteur manufacturier. Les affaires existantes ne souffriront pas de la crise mais les ventes ralentiront dans certains créneaux et les réclamations d’invalidité augmenteront.Dans un communiqué daté du 3 novembre dernier, Ken Lewenza, président du Canadian Auto Workers (CAW, le syndicat des travailleurs de l’automobile) a révélé que les ventes nord-américaines de véhicules automobiles sont à leur plus bas niveau depuis 1991. M. Lewenza a aussi rappelé que le Canada exporte à son voisin du Sud 90 % des véhicules qu’il assemble et les deux tiers des pièces d’autos qu’il fabrique.
Province manufacturière par excellence et château-fort de la production automobile, l’Ontario vit déjà les secousses de ce déclin. Elle a vécu des milliers de licenciements et s’attend à en vivre des milliers d’autres. Entre autres, General Motors (GM) prévoit fermer son usine de camionnettes à Oshawa l’automne prochain, entraînant plus de 2 600 licenciements. De plus, au siège social de GM à Détroit, on craint que les coffres de la compagnie soient vides avant la fin du premier trimestre 2009. À plus petite échelle, des fournisseurs sont touchés partout, y compris au Canada.
Les assureurs savent bien que ces pertes d’emplois porteront plus tôt que tard un coup à leurs affaires d’assurance collective, un secteur que plusieurs considèrent dépendant des cycles économiques.
« Il est difficile de prédire l’impact de la crise. Dans certains secteurs, en particulier celui de l’automobile, les pertes d’emploi affecteront les affaires en assurance collective », appréhende Marilee Mark, vice-présidente marketing, garanties collectives chez Financière Manuvie.
Hésitations
À la suite du choc des licenciements et du ralentissement de leurs activités, plusieurs employeurs hésiteront à bonifier leurs régimes d’assurance collective, croit Mme Mark. « Les employeurs attendront de voir où l’économie s’en va avant d’ajouter des garanties à leur régime, surtout les promoteurs de gros régimes. »
Pour un grand employeur, l’assurance collective entraîne aussi des coûts importants, d’où leur peu d’enthousiasme envers le changement. Dans un tel environnement, Marilee Mark croit que les assureurs avec une cote de crédit supérieure tireront mieux leur épingle du jeu.
De son côté, André Simard aimerait bien savoir où le marché sera dans trois mois. Loin de céder à la panique, il reconnaît toutefois que ce n’est pas business as usual. Le vice-président ventes, assurance groupes et entreprises pour le Canada chez Desjardins Sécurité financière (DSF), se dit en présence d’un des marchés les plus concurrentiels qu’il ait vu de toute sa carrière.
Responsable des ventes à travers le Canada depuis trois ans, il n’a jamais vu le marché hors-Québec aussi agressif. M. Simard remarque qu’il est très difficile depuis peu d’aller y chercher un nouveau groupe. « Les employeurs vont moins au marché. Il est aussi très difficile de remplacer un assureur parce que celui-ci fera plus d’efforts qu’avant pour s’ajuster à la concurrence. »
Être opportuniste
Pourtant, il faut absolument être opportuniste dans le marché actuel, croit-il. « On ne voit pas beaucoup d’impact de la crise actuelle sur les groupes existants parce que les employeurs ont autre chose à faire qu’aller au marché. Mais on observe un ralentissement des nouvelles affaires. Cela fait 25 ans que je suis en assurance collective. J’ai vu l’éclatement de la bulle techno, le 11 septembre 2001, la dévaluation du dollar canadien et je peux vous dire que nous vivons actuellement une période d’exception. »
Selon lui, la crise aura surtout un impact sur les réclamations en invalidité parce que les problèmes de santé mentale seront en hausse dans les prochains mois. M. Simard soutient que les travailleurs de l’Est du Canada, dont l’économie repose essentiellement sur le secteur manufacturier, craignent de perdre leur emploi. Cela crée de l’anxiété, des dépressions et une hausse de l’utilisation des médicaments pour troubles mentaux. Si les réclamations en invalidité augmentent et que le rendement des assureurs sur leurs placements se dégrade, il y aura un impact sur les réserves qui servent à payer les réclamations d’invalidité, redoute-t-il.
En Alberta, c’est tout le contraire. « Cette province crée des emplois et les employeurs veulent aller chercher et retenir les employés. Ils ont de l’argent et n’hésitent pas à ajouter des garanties à leurs régimes. On voit plus de garanties collectives d’assurance maladies graves en Alberta qu’ailleurs. »
Pour sa part, Jean Guay, vice-président principal, assurance collective chez Standard Life, minimise les effets de la crise. « Nous n’en observons pas les effets de façon aussi marquée en assurance collective que dans nos autres gammes de produits, comme l’épargne », remarque-t-il.
Toutefois, M. Guay croit lui aussi que les assurés consommeront plus de services paramédicaux et de médicaments, et que l’incidence et la durée des invalidités augmenteront au sein des régimes. Tout cela poussera les primes à la hausse et compensera la diminution des primes totales, croit M. Guay.
Or, les assureurs ne seront pas dispensés de composer avec le climat économique actuel, sous peine de voir fléchir leur rentabilité, prévient-il. « Il faut continuer de bien servir et d’écouter les besoins spécifiques des clients, qui verront leurs primes croître, à cause de l’incidence de l’invalidité par exemple. »
L’espoir dans les PME
Selon Ken Fraser, président de Fraser Group qui produit chaque année plusieurs rapports de recherche sur l’industrie de l’assurance collective, les assureurs devront explorer de nouvelles avenues pour croître.
Il cite la garantie collective de maladies graves en exemple. « Même si elle suscite encore peu de ventes, 11 assureurs l’offrent et quatre autres planifient de le faire cette année », révèle-t-il. Selon lui, les assureurs ressentent la pression du marché. « Les courtiers demandent ces produits et leurs clients magasinent. »
Ken Fraser observe déjà que les assureurs mettent plus l’accent sur les outils de gestion de l’invalidité et du retour au travail.
Il croit aussi que le marché des très petits employeurs, de un à trois employés, recèle des occasions de nouvelles affaires. « Plusieurs d’entre eux n’ont pas d’assurance. » M. Fraser est toutefois conscient du potentiel limité de ces marchés.
Il y aura aussi des occasions dans les régimes existants, croit M. Fraser, particulièrement en Alberta où les employeurs cherchent à bonifier leurs régimes. Ils ajoutent par exemple des garanties comme la couverture dentaire ou l’invalidité à long terme.
Manuvie confirme quant à elle la validité du créneau des PME comme avenue de croissance. « Plus de PME nous achètent une assurance collective pour la première fois », révèle Mme Mark.
Les PME, dont nombre sont fournisseurs des géants manufacturiers, ne seraient donc pas affectées par la crise ? « Elles vivront un certain ralentissement dans les secteurs traditionnels. Elles auront des problèmes de liquidités, mais les petits employeurs peuvent se montrer très résistants. Nous ne nous attendons pas, toutefois, à ce que la croissance enregistrée du côté des PME en collectif se poursuive au même rythme à court terme », prévoit Mme Mark.
Marilee Mark n’a pas voulu dévoiler de chiffres, mais dit voir encore de bonnes ventes en collectif dans le secteur des PME ainsi qu’une croissance soutenue partout au Canada.
Sun Life, dont une part importante du portefeuille d’assurance collective se concentre dans les grandes entreprises, met actuellement l’accent sur le développement du secteur collectif des petites et moyennes entreprises. Vice-présidente régionale, expansion commerciale pour l’Est du Canada en garanties collectives, Josée Dixon insiste cependant pour dire que cette stratégie n’a rien à voir avec l’environnement économique actuel.
Mme Dixon voit un potentiel important au Québec, province reconnue pour héberger un grand nombre de PME. « Beaucoup d’entre elles sont sans assurance collective. Développer ce marché nous permettra de dépasser la croissance moyenne que nous connaissons habituellement au Québec, soit 4,7 %. »
De plus, au 24 novembre dernier, Sun Life a étendu son partenariat avec la Fédération canadienne des entreprises indépendantes (FCEI) aux provinces de l’Atlantique, Terre-Neuve incluse. En vertu de cette entente qu’elle exploite déjà au Québec, Sun Life offre un régime collectif à tous les membres, qu’ils soient uniques ou des entreprises de deux employés et plus. Il s’agit de régimes sur mesure tarifés selon l’expérience de chaque groupe.
Autres avenues
Pour sa part, la première vice-présidente en assurance collective chez Groupe financier SSQ, Joanne Goulet, estime que l’Ontario et l’Ouest canadien demeurent une avenue de croissance privilégié. « Nous devrions terminer l’année avec les deux tiers de nos nouvelles ventes d’assurance collective en provenance de notre bureau de Toronto », révèle Mme Goulet. SSQ vie avait engrangé au moment de l’entrevue à la fin du mois d’octobre 120 millions$ de nouvelles ventes d’assurance collective en 2008.
Le vice-président ventes et marketing, développement national, pour SSQ, Carl Laflamme, ajoute que l’assureur s’apprête à doubler ses ventes hors Québec en 2008 par rapport à 2007. Hors Québec, SSQ vie prend sa force du marché des petites et moyennes entreprises. « Nous sommes très fort en dehors du Québec dans le créneau des entreprises de 500 employés et moins », soutient M. Laflamme.
Si les estimés se réalisent, DSF aura quant à elle doublé ses ventes d’assurance collective hors Québec en trois ans. « Notre en-vigueur hors Québec était de 400 M$ au 31 décembre 2005 et nous escomptons qu’il sera à 800 M$ au 31 décembre de cette année », révèle André Simard.
Quant à Standard Life, elle entend accroître ses affaires en collectif en misant sur les services de gestion de l’absentéisme, tant qu’à celui de la prévention et de la gestion des absences à court terme que des services courants de santé et mieux-être. L’assureur planifie aussi de lancer une garantie collective d’assurance maladies graves dès 2009.
De son côté, Marilee Mark croit que les employeurs voudront réduire les coûts en mettant les employés à contribution sur une base volontaire, par l’entremise de régimes plus flexibles. « Nous verrons davantage un environnement de type régimes à cotisations déterminées. Les produits optionnels et à contribution volontaire comme l’assurance vie ou les maladies graves feront tendance parce que les employeurs voudront gérer leurs coûts et rendre leurs régimes plus flexibles », prévoit-elle.
La sous-traitance de services administratifs offrira aussi un bon potentiel de croissance, selon Mme Mark. « Les entreprises moyennes à grandes les plus économes regarderont du côté des assureurs, qui sont bien placés pour rendre ces services grâce à leur technologie. »
Les régimes flexibles feront tendance dans les prochains mois, renchérit M. Guay. « Ils s’étendent de plus en plus aux entreprises moyennes. Avant, ces régimes étaient surtout le fait des très grandes entreprises », observe-t-il.
Plusieurs assureurs s’attendent aussi à une plus grande pénétration des comptes de gestion de santé, par lesquels les employeurs peuvent allouer des crédits à leurs employés pour certains soins.
Enfin, Jean Guay croit que les clients auront davantage tendance à magasiner en temps de crise, pour économiser. Pas d’exode massif en vue, toutefois, puisqu’il croit que les clients les plus « sérieux » essayeront de négocier les coûts plutôt que de changer de régime.