Les communiqués et les envois de masse n’étaient pas suffisants pour prévenir un client d’un changement majeur apporté à sa police, selon la juge Monique Dupuis, de la Cour du Québec, division des petites créances. Dans une décision rendue le 29 juin, elle condamne l’assureur Beneva à verser le montant prévu à l’assurance vie d’un défunt à sa légataire universelle.
De son vivant, le disparu avait informé sa fille qu’il possédait une assurance vie au montant de 15 000 $ à la Capitale Assurances dans le cadre d’un contrat d’assurance collective en qualité d’enseignant retraité de la Fédération nationale des enseignantes-enseignants du Québec (FNEEQ-CSN). Lorsqu’il avait pris sa retraite en 2001, il avait adhéré au contrat initial de retraité.
Changements à la police
Lorsque, à la suite du décès de son père, la demanderesse réclame le produit de cette assurance à Beneva, on lui apprend que cette police a été résiliée l’année précédente parce que son défunt père n’avait pas répondu aux avis de l’assureur d’adhérer à l’Association des retraitées et retraités de l’enseignement de la FNEEQ (AREF). À compter de 2017, l’AREF était devenu le seul preneur de cette assurance collective. Tous les adhérents au contrat initial devaient devenir membres de l’AREF à compter du 11 mai 2017 pour continuer à bénéficier des garanties qu’elle comporte.
Beneva soutient avoir pris les moyens raisonnables pour aviser son père et tous les autres adhérents du contrat au changement survenu. Les adhérents à la police ont été prévenus de cette obligation de trois façons : par l’entremise du bulletin d’information AREF-INFO, par courriel adressé aux membres et par des messages aux retraités.
En l’absence de réponse de sa part, Beneva lui expédie une lettre de rappel en juin 2017 pour lui faire part des modifications apportées à son contrat et lui indique qu’à défaut de se joindre à l’AREF, il ne lui sera plus possible d’adhérer à l’assurance collective après le 30 juin 2017.
Devant son silence et son absence de réaction, Beneva révoque son assurance vie en août 2017, ce qu’apprend sa légataire en mars 2019 trois mois après le décès. L’assureur allègue que son père n’a pas pris les moyens adéquats pour se tenir informé des modifications apportées à son assurance collective.
Sa fille, à qui le défunt destinait cet argent, met en demeure l’assureur en avril 2019. À la suite de son refus de lui verser la somme, elle porte la cause devant la Cour des petites créances. Elle lui réclame le montant maximal autorisé devant ce tribunal, 15 000 $, qui était aussi celui prévu à la police d’assurance vie.
Elle reproche à Beneva de ne pas s’être assuré que son père avait été dûment informé qu’il lui fallait devenir membre de l’AREF pour éviter la perte de bénéfice de sa police.
La question en litige
La juge Monique Dupuis résume la question en litige dans une seule phrase : l’assureur a-t-il pris les moyens raisonnables pour aviser son client de cette modification importante à son contrat d’assurance collective ?
En cour, on apprend que le disparu n’a pas été le seul enseignant retraité à ne pas avoir adhéré à l’AREF avant la date limite afin de continuer à disposer de cette assurance vie à leur décès : au total, 120 assurés n’ont pas été retrouvés.
En défense, l’assureur fait valoir qu’une lettre a été personnellement transmise à l’adresse au dossier de son client en juin 2017. Il rappelle les communications antérieures à propos du changement. Le 16 de ce même mois, il l’avise dans cette missive qu’il a une dernière chance d’adhérer à l’AREF en lui retournant un coupon-réponse avant le 30 juin, la date du cachet postal en faisant foi, et en indiquant que toute demande postérieure à cette date sera refusée. Le retraité n’a pas répondu.
Pas de preuve de réception
Le Tribunal a toutefois souligné que l’assureur n’avait pas démontré que l’homme avait reçu personnellement les communications via le bulletin de l’AREF, par l’envoi de masse en mars 2017, ni par la lettre du 16 juin 2017.
Autre aspect majeur, sa fille a témoigné que son père présentait les symptômes d’une maladie dégénérative neurologique depuis 2007 et qu’il avait reçu un diagnostic de démence à corps de Lewy vers 2009. Elle a affirmé que la lettre de l’assureur du 16 juin n’avait pas été remise à son père ou à elle-même par la résidence où il habitait.
Par courrier recommandé
La juge a rappelé que depuis 2017, La Capitale savait que 120 adhérents au contrat modifié n’étaient pas joignables, dont le père de la légataire universelle, et que ces gens risquaient de perdre le bénéfice de leur assurance collective s’ils n’adhéraient pas à l’AREF.
« Dans les circonstances et suivant les enseignements de la jurisprudence (…), le Tribunal conclut qu’il aurait été raisonnable pour l’assureur de transmettre la lettre du 16 juin par courrier recommandé », tranche la juge.
« L’assureur lui-même reconnaît qu’il doit agir de façon diligente pour rejoindre tous les adhérents par l’envoi de communications, ajoute la juge Dupuis. Comme le Tribunal le conclut plus haut, il n’était pas suffisant de transmettre les informations essentielles aux adhérents par voie de communiqué ou d’envoi de masse, ou par une lettre transmise par courrier ordinaire », écrit le tribunal.
La juge a donc condamné Beneva à verser 15 000 $ avec intérêts et une indemnité additionnelle non précisée à la fille du retraité.
Beneva prend acte
Invité par le Portail de l’assurance à dire s’il en appelait de ce jugement ou s’il s’y soumettait, Beneva a refusé de dévoiler ses intentions.
« Beneva a pris acte du jugement de la Cour du Québec, division des petites créances. Elle est présentement en train de l’analyser. Comme il s’agit d’un dossier judiciaire et que nous ne commentons pas les dossiers particuliers de nos membres, aucun autre commentaire ne sera fait relativement à ce dossier », répond sa porte-parole.
Qu’adviendra-t-il des 119 autres assurés qui n’avaient pas été joints pour adhérer eux aussi à l’AREF ? Pourraient-ils invoquer les mêmes motifs que la fille de leur collègue disparu pour avoir droit à l’assurance-vie de 15 000 $ ? L’avenir le dira.