L’assureur a réussi à démontrer, par prépondérance de preuve, qu’il avait eu raison de rejeter la réclamation du consommateur pour la perte de son véhicule. Le tribunal condamne plutôt l’assuré à rembourser la somme de 15 775,75 $ à la compagnie d’assurance.
Le véhicule de Justin Fleury, un camion de marque Ford modèle F-150 de 2016, a été détruit par le feu le 14 septembre 2019. Dans sa poursuite déposée en mars 2022, il réclame la somme de 131 124,65 $ à Desjardins Assurances générales (DAG), qui ne l’a pas indemnisé.
Dès le 29 novembre 2019, l’assureur informe le consommateur qu’il refuse de l’indemniser au motif de fausses représentations et de faute intentionnelle. Le refus est confirmé par écrit le 10 décembre 2019.
L’experte en sinistre avise le demandeur, M. Fleury, que le véhicule est en possession d’un fournisseur attitré pour gérer son bien. Ce dernier est mandaté pour remettre le véhicule au consommateur.
Le fournisseur communique avec M. Fleury et lui offre de lui rapporter gratuitement le véhicule ou de le vendre à l’encan. Le demandeur affirme qu’il doit vérifier auprès de son avocat, car un créancier est lié au véhicule. Il ne donne pas suite à la conversation.
Le véhicule demeure entreposé plusieurs mois avant d’être vendu aux enchères en octobre 2020. Un avis informant M. Fleury du coût de l’entreposage et mentionnant que le véhicule serait mis en vente après un certain délai lui avait été envoyé à l’une de ses adresses postales, sans jamais être récupéré au bureau de poste. Le fournisseur conserve la somme de 8 100 $ obtenue lors de la vente du véhicule pour compenser les frais qui lui sont dus.
Ce n’est que le 26 janvier 2021 que le demandeur écrit à l’assureur pour savoir ce qu’il advient du véhicule.
L’affaire a été entendue en anglais en avril 2025 et le juge Claude Villeneuve, du district de Saint-François de la Cour supérieure, a rendu sa décision en français le 16 juin dernier. Considérant que l’assureur a omis de remettre le véhicule au demandeur à la suite du refus d’indemnisation, Desjardins devra assumer une partie de ses frais de justice.
Le contexte de l’incendie
Le véhicule a été acquis au prix de 52 011,31 $, et le contrat de vente prévoit le remboursement d’un prêt sur 60 mois. La police d’assurance émise par Desjardins contient notamment un avenant de valeur de remplacements.
À l’époque du sinistre, M. Fleury habite à Montréal avec sa conjointe, en plus de louer un appartement à Bury pour y exercer, une fin de semaine sur deux, ses droits d’accès auprès des trois enfants issus d’une union précédente.
Quelques jours avant l’incendie, le demandeur dit éprouver des problèmes avec la batterie du camion. Après le souper, le 14 septembre 2019, il se rend au garage de son père à Bishopton pour faire vérifier l’état de la batterie. La route 255 qu’il emprunte est peu fréquentée. Après 10 minutes d’un trajet qui devait en prendre 15, une odeur de fumée et de plastique fondu est sentie par le demandeur. Il affirme que les flammes montent sous ses pieds. Il immobilise le véhicule et récupère le plus de biens qu’il peut, en plus de prendre une photo du véhicule en flammes.
Un autre véhicule se serait immobilisé et son conducteur aurait utilisé un extincteur pour éteindre le feu en plus d’ouvrir le capot pour débrancher la batterie. Les pompiers arrivent peu après.
Le père du demandeur vient le chercher et le véhicule est remorqué à East Angus. M. Fleury ne reverra plus le camion. Il se rend au bureau des experts en sinistre le 24 novembre 2019 pour y fournir une déclaration statutaire.
Après avoir fait vérifier le véhicule par un ingénieur mécanique et fait mener son enquête par le cabinet d’expertise en sinistre, DAG refuse d’indemniser le demandeur.
L’analyse du tribunal
L’existence du contrat d’assurance, la survenance du sinistre et la valeur de remplacement du véhicule ne sont pas contestées. Le tribunal doit déterminer la cause de l’incendie.
L’assureur plaide la faute intentionnelle de l’assuré. DAG peut l’établir au moyen de présomptions graves, précises et concordantes. Dans cette affaire, le véhicule s’avère être le témoin silencieux, indique le tribunal.
Contrairement aux prétentions de M. Fleury, il n’est pas question de présomption d’innocence ou de doute raisonnable en matière de responsabilité civile, indique le juge. Le demandeur a toujours maintenu que la cause probable de l’incendie est d’origine électrique.
Selon l’expert de l’assureur, le demandeur aurait lui-même incendié des matériaux combustibles sur le plancher du véhicule, sous le coffre à gants intégré au tableau de bord, côté passager. De plus, l’absence de trace de poudre d’un extincteur chimique dans le véhicule fait douter de l’intervention du bon samaritain de la version du demandeur.
Un feu ne s’allume pas tout seul, il lui faut une source de chaleur ou de flammes, comme un briquet, une allumette ou un arc électrique. Or, la preuve montre qu’aucun appareil électrique ou électronique n’est branché au véhicule lors du sinistre et on n’en a d’ailleurs pas trouvé.
L’hypothèse d’une défectuosité mécanique est également écartée par le tribunal. Les différentes hypothèses retenues relatives à la cause du feu sont un article de fumeur, une défaillance électrique ou un incendie volontaire. Si la cause est indéterminée, l’assureur devra alors verser l’indemnité.
Les deux premières hypothèses sont toutefois éliminées par le tribunal. Le demandeur déclare lui-même qu’il ne fume plus au moment du sinistre. Et rien ne soutient la thèse de la défaillance électrique, ce que confirme le rapport d’expertise, dont les conclusions sont entièrement retenues par le juge Villeneuve.
L’origine du feu est à l’extérieur du tableau de bord et le câblage à l’intérieur n’est pas endommagé. Le feu n’a pas pris à l’intérieur du coffre à gants.
Le demandeur affirme que la radio du véhicule fonctionnait mal, mais ses propres versions se contredisent au fil du temps. Parfois, il n’arrive pas à l’allumer, et parfois, il n’arrive pas à l’éteindre. Le câblage électrique et les fusibles n’affichent pas de défaillance et cette deuxième hypothèse est écartée.
La faute intentionnelle
Desjardins avance que plusieurs éléments de preuve mènent à la conclusion, de façon claire, précise et concordante, qu’il s’agit d’un incendie allumé intentionnellement par M. Fleury, lit-on au paragraphe 71 du jugement.
Il y a du carton, plusieurs briquets et des matériaux combustibles à proximité du site d’origine de l’incendie, et ce sont des indices probants que la cause probable est l’intervention humaine.
En sus, le demandeur subit d’importants problèmes financiers. Il est alors en arrêt de travail, détail qu’il a omis de mentionner lors de l’interrogatoire préalable, et il est également en instance de divorce.
Il doit rembourser le prêt auto par paiement différé à raison de 296 $ par semaine, soit près de 7 700 $ par année, alors que ses revenus annuels déclarés en 2019 sont de moins de 9 000 $. Le créancier du véhicule avait déjà entrepris des démarches en raison de son défaut de respecter le contrat de prêt.
La version du demandeur concernant la présence du bon samaritain est contredite par le délai entre son appel au 911 et l’arrivée des pompiers de Dudswell trois minutes plus tard. Le feu est rapidement maîtrisé.
La probabilité est mince qu’un feu d’origine électrique puisse s’allumer aussi rapidement sans la présence d’un accélérant. Sur la photo prise par le demandeur, l’habitacle est déjà enflammé. Le tribunal conclut plutôt que le feu durait depuis un certain moment quand le conducteur a appelé les services d’urgence.
La demande introductive de l’assuré est rejetée, en raison de la présomption grave, précise et concordante de sa faute intentionnelle.
Les pièces justifiant la valeur de la réclamation du demandeur ne sont pas déposées en preuve et les dommages réclamés ne sont pas prouvés, malgré les nombreuses demandes du tribunal. Le juge Villeneuve prend soin d’analyser les différentes sommes réclamées et écarte la plupart d’entre elles. S’il avait eu gain de cause, l’assuré aurait eu droit seulement à la valeur de remplacement du véhicule.
Les frais de l’assureur
Comme le consommateur a été déchu de son droit à obtenir une indemnité d’assurance, le tribunal analyse ensuite la demande reconventionnelle de l’assureur. Le juge rappelle que « le fait de présenter une réclamation d’assurance frauduleuse après avoir soi-même causé la perte du bien assuré constitue une faute contractuelle grave qui rend son auteur responsable des dommages qui en découlent ».
DAG réclame 5 775,75 $ au consommateur en remboursement des frais encourus, de même que des frais et honoraires de l’expert pour une somme de près de 20 000 $.
La compagnie d’assurance obtient le remboursement des frais qu’elle a subis. Le tribunal estime toutefois que les frais d’expertise réclamés sont très élevés comparativement à la valeur de remplacement du véhicule.
« La disproportion entre les moyens financiers des deux parties est évidente », indique le tribunal, qui limite ces frais à 10 000 $. En effet, le jugement conclut que Desjardins « n’a pas fait le suivi adéquat » auprès du fournisseur à qui il avait pourtant demandé de transporter le véhicule chez M. Fleury.