Pyrocène : néologisme créé par un professeur de l’Arizona State University, Stephen J. Pyne, pour décrire une nouvelle ère où les feux de forêt sont intensifiés par les changements climatiques. Après l’Europe, l’Australie et l’ouest des États-Unis, le Canada a rejoint ce cercle de pays et de continents où les incendies forestiers se multiplient, gagnent en intensité et affligent les populations, même éloignées. 

Les chiffres montrent que le Canada tout entier est à son tour engagé dans le pyrocène, affirme Yan Boulanger, détenteur d’un doctorat en biologie et chercheur en écologie forestière au Service canadien des forêts, lors du webinaire présenté le 15 octobre par le groupe de recherches Ouranos

Causés par une végétation de plus en plus sèche qui se transforme en combustible extrêmement inflammable, les incendies ont détruit près de 30 millions d’hectares de forêt à travers le Canada entre 2023 et 2025. Leur intensification est observée depuis les années 1950, mais le phénomène s’accélère depuis cinq ans. 

Les feux de forêt touchent plus significativement l’ouest du Québec dans la région de la Baie-James, la Colombie-Britannique, mais le Manitoba, l’Alberta, l’Ontario et les Maritimes ont aussi connu des épisodes de feux importants.

En moyenne, de 2 à 2,5 millions d’hectares de forêts brûlent par an au pays. Le pic et le record pour l’ensemble du Canada ont été fracassés en 2023 avec 15 millions d’hectares dévastés durant cette seule année. C’était deux fois le sommet précédent établi en 2019. Au Québec, en 2023, les incendies avaient rasé 4,3 millions d’hectares, dont 1,5 de forêts commerciales.

Les deux dernières années ont aussi été exceptionnelles : près de 5 millions d’hectares sont disparus en 2024 et à ce jour en 2025, 8,8 millions d’hectares ont subi le même sort. Au total, c’est donc presque 30 millions d’hectares de forêts qui ont été anéantis en seulement trois ans. C’est du jamais vu à ce jour.

Facteurs d’embrasement 

Ces sinistres naturels s’expliquent par les conditions climatiques anormales qui ont augmenté de façon très importante à travers tout le pays depuis 2023. 

« Toutes les régions du Canada sont touchées d’une quelconque façon par la sécheresse », indique Yan Boulanger.

Des études ont démontré que les changements climatiques avaient augmenté de 16 fois la probabilité d’avoir des conditions propices aux feux de forêt, explique le chercheur. Les valeurs des indices météo qui mesurent les dangers de feux de forêt deviennent extrêmes. Des régions du pays déjà affectées le seront encore plus, tandis que certaines qui ne l’ont pas été le seront dans le futur. 

La vigueur des incendies est telle que certains foyers ne s’éteignent pas avec l’arrivée de l’hiver. Ils sont surnommés « feux zombies ». Ils restent en dormance dans le sol et reprennent l’année suivante. Des feux de forêt qui avaient éclaté en Colombie-Britannique en 2023 étaient toujours actifs en 2025. 

Les Maritimes touchées à leur tour 

Les Maritimes n’ont pas été épargnées en 2025. 

« Même si ces feux dans les provinces maritimes n’ont pas la même superficie que dans l’Ouest, il suffit d’incendies de moyenne ampleur pour que les conséquences soient très importantes, car il y a des populations et des infrastructures partout, souligne Yan Boulanger. Ils ont plus de probabilités d’affecter des communautés. » 

Cette année, précise alors une collègue du chercheur, la province de Terre-Neuve a été « chanceuse » de ne pas avoir plus d’allumage par les éclairs, car la sécheresse notée dans le sol était typique de celle que l’on retrouve en Colombie-Britannique. 

Impacts de ces feux de forêt 

Ces feux de forêt ont provoqué d’énormes déplacements de population. Ils ont entraîné l’évacuation de 240 000 Canadiens durant la seule année 2023. 

Ils ont également eu des conséquences sur l’énergie : plusieurs lignes de transport qui traversent des régions à risques ont été endommagées, ce qui a affecté des populations vivant à des milliers de kilomètres de leurs lieux de propagation. 

Les panaches de fumée qui se dégagent de ces grands brasiers s’éparpillent à des milliers de kilomètres de distance, d’une province à une autre et jusque dans plusieurs États américains. Ils ont des conséquences sur la qualité de vie de citoyens qui en sont très éloignés. Au Québec, à l’été 2025, il était recommandé aux gens atteints de problèmes cardiaques ou pulmonaires de ne pas aller à l’extérieur lors des journées où les fumées de feux de forêt provenant de l’Ontario étaient denses.

Leurs effets sur la qualité de l’air deviennent une préoccupation majeure pour les autorités de santé publique. Or, plus il y aura de feux, dit Yan Boulanger, plus ces épisodes de fumée deviendront importants. Et il est impossible pour l’instant de déterminer quelles régions du pays seront les plus affectées dans le futur. Tout dépendra de leur provenance, de leur intensité et de leur circulation dans l’air.

Une saison de feux qui se prolonge 

Autre signe inquiétant, rapporte le chercheur, les saisons de feux de forêt s’étirent. Maintenant, plusieurs éclatent en mai et en juin plutôt qu’en juillet ou en août. 

« Un mois de plus de saisons de feux au Québec, c’est énorme », commente Yan Boulanger.

Les superficies annuelles brûlées ont plus que doublé depuis la fin des années 1950. Cette hausse est significative dans plusieurs régions même si le nombre de feux d’origine humaine est en recul.

Les indices d’inflammabilité sont de plus en plus sévères et fréquents, et ces tendances actuelles devraient se poursuivre dans l’avenir. Le nombre de jours où les valeurs extrêmes seront observées augmentera de façon très importante et la saison des feux devrait continuer de s’allonger et de croître en sévérité, explique l’expert. 

Dans les prochaines décennies, on projette une importante augmentation des superficies de forêts brûlées. Selon Yvan Boulanger, il est question de deux, trois, quatre à cinq fois plus de feux qu’au cours des trente dernières années dans certaines régions du Canada. 

Des satellites en mission… en 2029 

Comment agir devant la hausse de la fréquence et de l’intensité de ces sinistres ?

Plus tôt en 2025, Ottawa a annoncé avoir accordé un contrat, au coût de 72 millions de dollars, pour la conception de la mission satellitaire canadienne GardeFeu. La mission comptera sept microsatellites qui permettront de surveiller quotidiennement les feux de forêt en activité au Canada et de fournir des données essentielles aux autorités responsables pour déterminer ceux qui poseront un risque élevé pour les communautés.

Le gouvernement a indiqué que la mission GardeFeu « devrait être lancée en 2029 ».