Les régimes publics de retraite s’amenuisent et les régimes de retraite privés sont appelés en renfort. Suffiront-ils? En attendant, la réforme de la sécurité de la vieillesse fédérale pourrait plonger 110 000 Canadiens de 65 à 66 ans dans la pauvreté, estime Jean-Yves Duclos, professeur en économie de l’Université Laval.
Professeur et directeur du département d’économique de l’Université Laval, M. Duclos est également cotitulaire de la Chaire de recherche Industrielle Alliance sur les enjeux économiques des changements démographiques. L’économiste se préoccupe du vieillissement rapide de la population et de l’espérance de vie accrue.

« En 2015, 100 000 personnes franchiront le cap des 65 ans et ce nombre augmentera jusqu’à près de 145 000 dans les 10 à 15 prochaines années, pour ensuite redescendre, a révélé M. Duclos. Nous allons connaitre une sortie rapide du marché du travail dans les prochaines années. »

Des retraités plus riches que leurs ainés


Plusieurs de ces retraités seront plus riches que leurs ainés. « Entre 2010 et 2030, le revenu de retraite moyen croitra de façon importante, en grande partie en raison d’un capital financier plus important des nouveaux retraités, créé par leurs régimes de retraite plus généreux que ceux des générations antérieures », observe M. Duclos.

 

La chute de la valeur des prestations de retraite fédérales viendra toutefois jeter une douche froide. Cette chute viendra de la réforme qui doit repousser de 65 ans à 67 ans l’âge auquel un Canadien peut se prévaloir des prestations fédérales de la sécurité de la vieillesse et du supplément de revenu garanti (SRG).

Jean-Yves Duclos Résultat, la proportion des retraités admissibles au SRG diminuera. De 40 % qui pouvaient s’en prévaloir en 2010, il n’y en aura plus que 24 % en 2030, croit M. Duclos. « Le report de l’âge de la retraite à 67 ans affectera les Canadiens de 65 à 66 ans qui ne sont pas en mesure de continuer de travailler et d’épargner, signale-t-il. Une part d’entre eux basculera sur l’aide sociale. Dans cette tranche d’âge, 110 000 individus seront touchés par la pauvreté en 2030. » La réforme pourrait faire perdre plus de 35 % des revenus chez ces individus les plus touchés, soit les 20 % les plus pauvres, indique M. Duclos.

L’amélioration de l’espérance de vie ne laisse pas le choix aux serviteurs publics. « L’accroissement de la longévité a été systématiquement sous-estimé depuis 40 ans », dit M. Duclos. Aussi, le chercheur de l’Université Laval estime que plusieurs ont mal compris que le taux de mortalité était corrélé avec les niveaux d’éducation et de vie. « Cela pourrait avoir un impact important sur le genre d’investissement et de politique publique qu’on pourrait vouloir mettre en place ou encourager », dit-il.

Ces niveaux créent en effet des disparités. M. Duclos les souligne par l’observation de l’espérance de vie à 50 par niveau d’éducation d’une cohorte de 1980. Un écart de huit ans dans l’espérance de vie défavorise les individus sans diplôme de ceux qui possèdent un diplôme universitaire.

Plusieurs solutions de régimes de retraite parfois hybrides se dessinent à l’horizon. Parmi elles, la rente longévité, suggérée dans le Rapport d’Amours, propose des cotisations accrues de la part de l’ensemble de la population. Les cotisations combinées entre employeur et employé seraient de 3,3 % et permettraient aux individus de recevoir, à partir de 75 ans, une prestation de 0,5 % par année travaillée, jusqu’à concurrence de 28,5 % du revenu moyen durant la carrière.

Augmentation des cotisations


La proposition de Mintz et Wilson bonifie, quant à elle, de manière uniforme, le taux actuel de remplacement du revenu offert par le Régime des rentes du Québec (RRQ). Elle ferait passer ce taux de 25 % à 35 %, grâce à une augmentation des cotisations de 2,5 %, pour les porter au total à 12,4 %.

 

La proposition de Wolfson suggère, de son côté, de doubler le minimum des gains admissibles aux régimes publics (de 48 300 $ [selon les paramètres de 2011] à 96 000 $) et de modifier la structure des contributions et des prestations. « Il s’agit d’augmenter les cotisations des gens plus nantis pour qu’ils aient des prestations plus élevées », résume M. Duclos.

Les deux autres possibilités sont des propositions hybrides qui impliquent le secteur privé. L’accumulation de l’épargne s’effectue dans un véhicule enregistré auprès du gouvernement et les prestations sont assurées par une rente viagère. La première met en jeu le régime volontaire d’épargne-retraite (RVER). Enregistré auprès du gouvernement provincial, il est distribué et administré par les institutions financières.

La deuxième se fonde sur le compte d’épargne libre d’impôt (CELI), enregistré auprès du gouvernement fédéral. Dans ce scénario, le CELI est établi sur une base collective (le CELI est mieux connu sous sa forme individuelle).

Pierre-Carl MichaudTant la structure fiscale que les inégalités d’espérance de vie tendent à réduire le rendement des propositions actuelles pour les moins éduqués, a fait ressortir l’étude de Pierre-Carl Michaud d’ESG UQAM, à laquelle Duclos a collaboré. Au contraire, elles haussent le rendement pour les plus éduqués.

« Si l’objectif est surtout de viser les travailleurs gagnant entre 40 000 $ et 100 000 $, la proposition de Wolfson semble procurer le meilleur rendement interne », rapporte l’étude publiée en juin 2014 et intitulée Une analyse économique de propositions visant à bonifier la couverture du risque de longévité.

Jean-Yves Duclos compare le rendement de ces solutions à un scénario de référence basé sur le système fiscal fédéral et provincial en vigueur en 2011. Il inclut l’ensemble des programmes publics que le travailleur reçoit à la retraite, ainsi que les autres revenus issus de placements et prestations de retraite privés.

« Le rendement de ces propositions se montre plutôt modeste pour les gens à faible revenu, et plus élevé pour les revenus moyens à modérément élevés, pour ensuite devenir constant », a-t-il ajouté. Il y a selon lui deux raisons principales à ce phénomène.

Réductions des prestations de retraite fédérale


D’abord, ces formes d’investissement donnent souvent lieu à des réductions de prestations de retraite fédérale. « Le SRG et la Sécurité de la vieillesse chutent pour certains individus qui ont même parfois un rendement négatif, c’est-à-dire qu’ils investissent plus que ce que cela leur rapporte en prestations de retraite », a-t-il lancé.

 

Ensuite, le revenu est corrélé avec l’espérance de vie. Dans le cas de la rente longévité, tous les individus doivent cotiser, mais les prestations vont à ceux qui vivent plus longtemps et ce sont eux qui auront le taux de rendement le plus élevé. Il faut se méfier de l’impact de ces propositions dans un contexte de disparité de revenus et d’espérance de vie, croit M. Duclos.

Dans les projections qu’il a présentées à l’auditoire, la combinaison CELI et rente s’en tirait mieux que les autres formules proposées. Ses rendements se montrent en effet uniforme, peu importe les tranches de revenu.