Une société de transport routier établie à Laval réclamait près de 86 000 $ à son assureur pour compenser sa perte. La société de courtage qui avait mandaté la société de camionnage refusait de payer la facture d’une livraison de fraises. En décembre 2024, la Cour supérieure du Québec a rejeté la demande, car elle n’a pas la compétence de trancher le litige. La Cour d’appel du Québec vient de confirmer la décision.
La demanderesse est la société 8634998 Canada, faisant affaire sous le nom de Transport Bandesha. La défenderesse dans ce dossier est la firme de courtage Total Quality Logistics (TQL), établie à Cincinnati, dans l’État de l’Ohio.
Ramassée à partir d’un entrepôt réfrigéré exploité par le producteur Foxy, dans la vallée de Salinas en Californie le 15 septembre 2021, la cargaison est arrivée en mauvais état cinq jours plus tard à l’entrepôt du distributeur alimentaire Market Basket à Andover, au Massachusetts. L’inspecteur du Département américain de l’Agriculture (USDA) constate que la température de la cargaison était supérieure à la norme prescrite.
Le courtier TQL présente donc une réclamation en perte de cargaison, d’une valeur de 62 451 $ US (85 701,50 $ CA) au transporteur, somme qui sera retenue par la suite sur d’autres bons de commande conclus par le courtier avec Transport Bandesha.
Transaction
Lors de l’audience tenue en octobre 2024 devant le juge Babak Barin de la Cour supérieure du Québec, la demanderesse explique que la compensation imposée par le courtier a été exercée en vertu du contrat entre les parties, daté du 22 janvier 2019.
Or, le transporteur prétend que ses conditions n’ont pas été acceptées ou autorisées, même si la documentation pertinente porte la signature électronique de la personne qui agissait alors comme président et représentant autorisé de la société de transport. Un nouveau propriétaire a pris possession de l’entreprise en mars 2018. TQL affirme que l’entente n’est plus valide, et cette prétention inclut le bon de commande sur lequel Transport Bandesha se fonde pour poursuivre TQL.
Par ailleurs, le courtier souligne que les créances découlant des livraisons visées ont été cédées à BVD Capital Corporation, une société de financement de bons de commande et de flux de trésorerie établie à Brampton (Ontario).
Le mauvais forum
Le juge Barin donne raison à TQL et confirme que la Cour supérieure n’a pas la compétence d’attribution pour régler le litige entre les parties.
D’abord, l’entente entre le courtier et le transporteur comprend une « clause d’élection de for », qui prévoit que tout litige sera soumis au tribunal du comté de Clermont, en Ohio, lequel aura la compétence exclusive pour en juger. Cette clause facilite la prévisibilité des relations commerciales internationales, car elle permet aux parties de prévoir le forum auquel elles soumettront leur litige.
La demande introductive d’instance a été soumise le 12 août 2024. Devant le tribunal, la demanderesse a tenté d’inclure de nouvelles pièces pour faire la démonstration que le bon de commande n’avait pas été approuvé par la nouvelle administration. Le tribunal rejette ses arguments.
Un seul bon de commande relié au transport de marchandises entre Vaudreuil-Dorion et Allentown en Pennsylvanie a été déposé par le transporteur pour soutenir que les tribunaux québécois pouvaient trancher l’affaire. Le tribunal constate que tous les bons de commande soumis par le transporteur ont été payés intégralement par TQL et ne sont pas reliés au litige.
Le juge Barin ajoute que le droit de recevoir le paiement a été cédé à BVD, en Ontario. Le demandeur doit prouver la compétence du tribunal lorsque le défendeur la conteste. Transport Bandesha n’a pas rempli cette obligation, note le tribunal.
Activité non couverte
L’assureur qui a refusé de payer la réclamation est Intact Compagnie d’assurance. La demanderesse poursuit également son assureur en responsabilité civile au motif qu’elle a payé au fil des ans plus de deux millions de dollars en primes pour cette police et en vertu de laquelle elle n’a jamais présenté la moindre demande d’indemnité.
Dans le jugement de première instance livré en anglais, rendu le 9 décembre 2024, on précise qu’Intact n’a pas comparu et n’a pas pris position devant le tribunal concernant cette demande.
Le 23 juillet 2024, l’assureur informe la société de transport qu’elle refuserait de l’indemniser pour deux motifs : retard dans la transmission de l’avis de sinistre et refus de couverture en raison de l’usage interdit d’un véhicule assuré.
En plus, le litige découle d’un bon de commande conclu entre une société canadienne et un courtier établi aux États-Unis, pour le transport de fraises d’un endroit à un autre dans le même pays.
Dans sa lettre de refus citée dans le jugement, Intact souligne d’ailleurs que comme Transport Bandesha n’est pas une société établie aux États-Unis, cette activité constitue du cabotage, une activité prohibée pour le véhicule assuré. Le cabotage est une activité de transport entre deux points situés dans le même pays, mais réalisée par un transporteur établi à l’étranger, ce qui est courant dans le transport maritime et l’aviation.
L’exception prévue au Code civil
Le fait que la société de transport ait comptabilisé cette perte au Québec ne suffit pas pour atteindre les conditions requises au paragraphe 3 de l’article 3148 du Code civil du Québec pour conférer à la Cour supérieure du Québec la compétence lui permettant d’étudier la demande.
Le tribunal peut intervenir si la faute a été commise au Québec, si le préjudice y a été subi ou si l’une des obligations découlant d’un contrat doit y être exécutée. TQL conteste cette compétence et la Cour supérieure lui donne raison.
En droit civil, la demande incidente s’entend de l’intervention forcée d’un tiers pour résoudre le litige principal, comme c’est courant en matière de recours en garantie contre une partie mise en cause.
Le juge Barin précise que la demande principale vise TQL. Le recours à l’article 3139 du Code civil pour le recours incident contre Intact ne suffit pas à faire trancher l’affaire au Québec. « Sans TQL, sans le bon de commande et sans le litige qui en découle, Intact ne jouerait aucun rôle dans la présente instance », note-t-il.
Dans son jugement rendu le 7 août 2025, la Cour d’appel du Québec maintient le jugement de première instance, car Transport Bandesha n’a pas démontré la moindre erreur révisable dans les conclusions du tribunal. Les motifs soumis par l’appelante n’ont pas convaincu les trois juges réunis pour entendre les arguments des parties.
La demande du transporteur ne réfère qu’à un seul bon de commande concernant une livraison faite aux États-Unis. L’entreprise n’a pas été en mesure d’établir de manière évidente que l’une des obligations découlant des contrats pertinents à son recours devait être exécutée au Québec.