Les dégâts d’eau ont marqué les bilans des assureurs de dommages en 2005. Et les experts pointent tous dans la même direction pour expliquer des réclamations en hausse vertigineuse : le réchauffement climatique.Les grands patrons prêchent encore la prudence, mais les gens de terrain sont formels : chiffres à l’appui, ils estiment que le réchauffement climatique fait désormais des ravages dans les résultats techniques des assureurs de dommages. Le réchauffement climatique serait en grande partie responsable des dégâts d’eau, dont les réclamations connaissent une hausse énorme et constante depuis cinq ans.
« Chez nous, la proportion des dégâts d’eau totalisait entre 20 et 21% des sinistres en assurance habitation, au début des années 2000. En 2004, ce chiffre était de 35%. L’an dernier, il fut de 42%, révèle Yves Fortin, vice-président, assurance des particuliers chez AXA Assurances. Les incendies représentaient de 30 à 32% des sinistres en 2005. Les dégâts d’eau ont donc supplanté les incendies comme première cause de sinistre. »
« En 2004, nous avons enregistré une augmentation de 30% des pertes reliées aux dégâts d’eau. Cette augmentation fut de 50% l’an dernier, dévoile Claude Lachance, directeur, indemnisation, région de Montréal chez ING Canada. Les dégâts d’eau sont désormais le sinistre numéro un en assurance habitation. Ils nous coûtent plus cher que les incendies. Depuis 1996, les pertes par l’eau ont augmenté de 150% chez ING comparativement aux trois années précédentes (1993-1996). »
« La proportion des dégâts d’eau a doublé depuis 2000 chez nous. Elle se situait à 20% des sinistres en assurance habitation. Elle était de 47% en 2005, explique Jean Vaillancourt, directeur général des opérations du Québec chez Desjardins Groupe d’assurances générales. Les dégâts d’eau en assurance habitation nous coûtent désormais plusieurs dizaines de millions de dollars par année. »
Le rapport 2005 de l’Autorité des marchés financiers du Québec fait état de pertes totalisant 910 M$ en biens personnels et en habitation. Claude Lachance, chez ING, estime que celles reliées aux seuls dégâts d’eau totaliseront entre 350 et 400 M$ pour l’ensemble des assureurs de dommages actifs au Québec.
Gros dégâts
Certains assureurs sont plus exposés à ce type de dommages. C’est le cas de La Capitale, dont le marché est fortement concentré à Québec et sa banlieue. Or, en 2005, la région de Québec fut frappée de plein fouet par de fortes pluies issues des ouragans Katrina et Rita. Ensuite transformés en tempêtes tropicales, ces ouragans ont fini leur course au-dessus du nord-est du continent.
La Capitale a enregistré un bénéfice d’exploitation de 15 M$ en 2005, comparé à 25M$ en 2004, soit 10M$ de moins. « Cette détérioration des résultats d’exploitation s’explique essentiellement par les conditions climatiques désastreuses qui ont prévalu tout au long de l’année, provoquant une augmentation des débours pour les sinistres reliés aux dégâts occasionnés par l’eau », commente dans son rapport annuel Réal Circé, président-directeur général.
Les dégâts d’eau ont coûté 36 M$ à l’assureur, qui a dû couvrir 6097 réclamations reliées à ce type de sinistres en 2005. Une augmentation de 67,3% comparativement à 2004. Chaque réclamation a coûté 6 000$ en moyenne.
Prendre des mesures
« Cette question nous préoccupe énormément, reprend Yves Fortin. Les dernières années ont été catastrophiques sur ce front. Nous en sommes désormais à codifier les différents types de pertes causées par l’eau afin de mieux comprendre l’impact de chaque sinistre. »
Mais il est clair que la première cause des dégâts d’eau, ce sont les pluies abondantes des dernières années, insiste-t-il. « Je ne suis pas un spécialiste du climat, mais il y a un phénomène climatique en cours. Ça, j’en suis certain! »
« Le climat n’est certes pas le même que celui de notre enfance, commente Claude Lachance d’ING. Désormais, à chaque année, il y a une ville qui subit une pluie qui est censée ne se produire qu’à tous les cent ans. Nous détenons des chiffres d’Environnement Canada qui confirment que les fortes pluies, entre 40 et 50 mm en une heure, se produisent plus souvent. Cent millimètres de pluie en 24 heures peuvent être absorbées sans problème par un réseau d’égout municipal ou un drain de maison en bon état. Mais une pluie de 50 mm en une heure va rapidement saturer ces installations. Ils refouleront et causeront inévitablement des infiltrations d’eau dans la maison. »
Les ouragans, qui se multiplient dans les Antilles et sur les rives du Golfe du Mexique, nous affectent désormais directement. « L’ouragan Frances a produit des trombes de pluies dans l’Outaouais, qui se sont traduites par une facture de deux ou trois millions rien que chez ING, explique M. Lachance. Une tempête tropicale en Floride, il y a vingt ans, ça ne se rendait pas au Québec. Désormais, ça coûte quelque chose aux assureurs d’ici. »
Plusieurs causes
La hausse vertigineuse des pertes reliées aux dégâts d’eau s’explique par plusieurs facteurs (v. tableau). « En 1987, les dégâts d’eau causés par les refoulements d’égouts n’étaient pratiquement pas couverts par les assureurs de dommages, rappelle Claude Lachance. Mais il y a eu les fortes pluies du 14 juillet. Le public a fait pression sur les assureurs. En 1997-98, les assureurs ont tous proposé des avenants pour ce type de sinistre. Or, si vous ajoutez des protections, vous vous exposez inévitablement à des coûts accrus pour ces sinistres. »
M. Lachance invoque également les changements aux habitudes de vie, comme cause possible d’augmentation des dégâts d’eau. « La multiplication des appareils qui utilisent l’eau augmente les risques de sinistres, dit-il. Les gens ont massivement acheté des climatiseurs, des distributeurs d’eau froide, des réfrigérateurs qui fabriquent des glaçons (et qui sont donc reliés à la tuyauterie), des spas. Les sous-sols qui, autrefois, servaient plus ou moins de lieu d’entreposage, sont désormais finis avec des planchers de bois franc. On y a installé des cinémas maison, des consoles de jeux et des meubles confortables. »
De plus, d’autres types de sinistres en assurance habitation s’atténuent du même coup. Les derniers hivers ont été moins froids, souligne pour sa part Jean Vaillancourt de Desjardins. Les systèmes de chauffage ont été moins sollicités. Ce qui s’est traduit par moins de sinistres causés par des incendies. Les réclamations reliées aux vols par effraction ont également diminué, car les assureurs encouragent l’installation de systèmes d’alarme. Mais ces diminutions ne compensent pas la hausse marquée des sinistres par l’eau.
La hausse est telle que Desjardins modifie sa souscription. « Nous sommes un des deux derniers assureurs à ne pas imposer de limite de garantie sur les dégâts d’eau dans le sous-sol des maisons, constate Jean Vaillancourt. Fin mai, Desjardins a donc imposé une limite de 10 000$. Les assurés qui désirent une limite plus élevée doivent payer une surprime.
Pour M. Vaillancourt, la sinistralité accrue des dégâts d’eau est une tendance irréversible : « Les risques futurs sont en hausse. Il va donc falloir augmenter les primes. »
Pédale douce à la haute direction
Les scientifiques font consensus à l’effet que les gaz à effet de serre bouleversent actuellement le climat planétaire. Le gouvernement de Stephen Harper affirme pour sa part qu’il est irréaliste de croire que le Canada atteindra ses objectifs de réduction de ces gaz dans le cadre de Kyoto. Et comme le Canada est un des pays les plus pollueurs et énergivores, nous sommes directement concernés par ces effets.
Si les réassureurs multiplient les études confirmant certaines des craintes formulées par les scientifiques, les hauts dirigeants des compagnies d’assurance de dommages canadiennes se font plus circonspects. Ils n’osent publiquement faire un lien direct entre le réchauffement climatique et les pertes enregistrées pour les dégâts d’eau en assurance habitation.
Igal Mayer, président et chef de la direction chez Aviva Canada, reconnaît qu’il existe des bouleversements climatiques. « Mais il est trop tôt pour affirmer qu’ils se répercuteront de façon massive et permanente sur les résultats financiers des assureurs de dommages au Canada », dit-il.
« Les dommages par l’eau connaissent une augmentation très importante depuis cinq ans, rappelle Claude Dussault, président et chef de la direction d’ING Canada. Le coût des dommages par l’eau est passé au cours des 10 dernières années d’environ 10% du coût total des réclamations en assurance habitation au Québec à environ 40% l’an dernier. Il a, par conséquent, dépassé le coût des réclamations associées aux incendies. J’hésite quand même à faire un lien entre l’augmentation de la sinistralité et le réchauffement climatique. »
Pas que le climat
« Il y a clairement une détérioration des réclamations dans le marché de l’assurance habitation », constate quant à lui Alain Thibeault, président et chef de la direction de TD Meloche Monnex. Ce dernier pointe en direction des dégâts d’eau, mais refuse de faire un lien direct avec le réchauffement climatique. Parce que le nombre de catastrophes naturelles n’a pas significativement augmenté.
« J’aurais tendance à regarder du côté de la qualité des infrastructures municipales, dit-il. Chose certaine, ce problème a plusieurs causes et nous ne les connaissons pas toutes. »
« Dans ce domaine, nous ferions mieux de prévenir que de guérir, commente Jean-François Blais, président et chef de la direction chez AXA Canada. Nous allons encourager les gouvernements en ce sens. »
M. Blais raconte que l’an dernier, il a rencontré le maire de Montréal, Gérald Tremblay. Ce dernier lui a révélé que la Ville menait un programme de réfection de ses infrastructures qui s’étalait jusqu’en 2012. « Ce genre d’action aura évidemment un impact positif sur les dégâts d’eau », dit-il.
L’Ontario a aussi eu plus d’eau qu’elle n’en aurait voulu. Le 19 août 2005, cette province a vécu sa pire catastrophe naturelle depuis des années. Les pluies ont laissé une facture de 500 M$ en réclamations chez les assureurs de dommages dans cette province. Ces événements combinés à ceux survenus au Québec ont mis du rouge dans les bilans des assureurs.
Moins de risque au Canada
Igal Mayer se dit tout de même optimiste sur le front climatique. Car le Canada ne se compare pas aux États-Unis.
« Il y a 50 ans, l’essentiel de la population américaine était concentrée dans les états du centre, comme la Pennsylvanie et le Michigan, analyse-t-il. Là où se concentrait le gros de l’industrie manufacturière. Mais l’économie de nos voisins s’est tournée vers les services. La population a donc migré vers les côtes de la Californie et du sud, notamment la Louisiane, le Texas et la Floride. Un phénomène accentué par la démographie : les retraités cherchent le soleil. En conséquence, les valeurs assurables ont beaucoup augmenté dans des zones sujettes aux ouragans. Ce qui n’est pas le cas au Canada, où l’essentiel de la population se trouve en Ontario et au Québec. Loin des côtes. »
« Même si les valeurs assurables montent, nous sommes moins exposés aux dommages causés par le vent, qui accompagnent souvent les ouragans ou les fortes pluies », conclut-il.
« Les réassureurs disposent de données scientifiques concernant le réchauffement de la surface des océans. Mais ils couvrent surtout l’augmentation du nombre et de la sévérité des ouragans, poursuit Claude Dussault. L’expérience canadienne n’est pas assez concluante. Il faudra attendre plusieurs années avant de faire tout lien entre réchauffement climatique et sinistralité. »
Ce dernier reconnaît que l’assurance habitation entre dans un marché dur. Mais l’augmentation du prix des polices habitation s’explique, selon lui, par une combinaison de facteurs : la hausse des valeurs assurables inscrites aux polices; et celle des tarifs, liée, elle, à la sinistralité.
Éduquer le public
Les assureurs de dommages se sont désormais mis en mode sensibilisation. AXA Assurances insère un dépliant avec toute police d’assurance habitation envoyée à ses clients. « Nous allons sensibiliser les assurés aux dommages causés par l’eau et, surtout, à la façon de les prévenir, dit M. Blais. Dans les années 1970 et au début des années 1980, nous avions une foule de problèmes avec les poêles à bois. Les gens se dotaient d’installations non conformes et brûlaient n’importe quoi. Les assureurs ont effectué un travail de sensibilisation de fond et, aujourd’hui, nous constatons moins de dommages avec les poêles à bois. Nous entendons faire la même chose avec les dommages causés par l’eau. »
Desjardins envoyait systématiquement un dépliant portant sur la prévention des infiltrations d’eau causées notamment par le ruissellement d’un toit endommagé, les gouttières obstruées par la chute des feuilles, les fenêtres, les joints de silicone ou les dégâts reliés aux tuyaux de laveuse ou de lave-vaisselle.
« Nous nous sommes aperçus que les dégâts d’eau du sous-sol coûtaient plus cher, explique Jean Vaillancourt. Nous envoyons désormais un document aux assurés qui s’attarde aux réparations des fissures dans les fondations, l’installation d’un clapet de retenue ou d’une pompe dans le puisard, dotée d’une génératrice. Nous n’avons plus le choix : il faut désormais communiquer avec nos assurés au sujet des dégâts d’eau. »
Ce que les courtiers devraient dire à leurs assurés
Préparez un aide-mémoire pour vos assurés :
En permanence
—Ne jamais quitter la maison pendant que la machine à laver est en marche.
—Fermer le robinet une fois que le lavage est terminé.
—Ne jamais quitter la salle de bains pendant que le bain se remplit.
—Attendre que le lave-vaisselle soit au cycle de séchage avant de quitter la maison.
Aux six mois
—Vérifier si les tuyaux sous les éviers et lavabos sont secs.
—Vérifier si les planchers sont secs autour de la cuvette des toilettes, de la machine à laver, du lave-vaisselle, du refroidisseur d’eau, du chauffe-eau.
Chaque automne
—Vérifier l’état des tuyaux souples d’arrivée d’eau de la machine à laver.
—Éliminer les accumulations de feuilles mortes dans les gouttières et vérifier leur obstruction possible en y faisant couler de l’eau.
—Couper l’alimentation des robinets extérieurs
—Effectuer un examen attentif du calfeutrage des portes, fenêtres et fondations, ainsi que des joints du bain et des lavabos.
—Veiller à ce qu’aucuns résidus de nourriture n’obstruent le drain du lave-vaisselle.
—Colmater les fissures dans les fondations.
Chaque printemps
—S’assurer qu’il n’y a aucun bardeau d’asphalte qui se soulève sur le toit.
—Vérifier si la laine minérale du grenier n’est pas mouillée par endroits.
Aux cinq ans
—Faire vérifier l’installation du lave-vaisselle.
À long terme
—Vérifier l’état du chauffe-eau et le remplacer s’il a plus de 10 ans.
—Vérifier si les solins du toit présentent des fissures (aux deux ans).
Les trucs du métier
—Installer un clapet de retenue sur le drain principal de la maison.
—Installer des descentes pluviales qui éloignent l’écoulement de 1,8 m des fondations pour prévenir la saturation du drain de sol.
—Installer une pompe de puisard dotée d’une génératrice.
—S’assurer que la pente de terrain permette l’écoulement de l’eau loin des fondations.
—Fermer la valve d’entrée d’eau principale de la maison avant de partir en voyage.
—Connaître l’emplacement exact de chacune des importantes (entrée d’eau principale, chauffe-eau, machine à laver, lave-vaisselle, éviers, lavabos, cuvette des toilettes…).