Luc Godbout

Les retraités pourraient gagner à reporter le moment de toucher leurs prestations de retraite des régimes publics. Titulaire de la Chaire en fiscalité et en finances publiques de l’École de gestion de l’Université de Sherbrooke, Luc Godbout a illustré cette stratégie, lors du panel sur la retraite du Congrès APFF 2024, événement de l’Association de planification fiscale et financière (APFF) qui s’est déroulé du 9 au 11 octobre 2024 à Gatineau. Le Portail de l’assurance a assisté à la diffusion en direct.

La pension de la Sécurité de la vieillesse (SV) du gouvernement du Canada débute à 65 ans, chaque report d’un an permet de bonifier le montant de la prestation. La bonification maximale est atteinte à 70 ans. C’est à 65 ans qu’un retraité peut toucher la pleine rente du Régime de rentes du Québec (RRQ). La rente est disponible dès 60 ans, mais diminuée de 0,5 % à 0,6 % par mois d’anticipation avant 65 ans. Comme pour la SV, le report au-delà de 65 ans permet de bonifier le montant de la prestation. La bonification maximale est atteinte à 72 ans.

M. Godbout a partagé un tableau de la Chaire qui montre l’augmentation des prestations publiques en fonctions de plusieurs scénarios de report.

Plus de fonds publics, moins d’épargne privée 

Le report est-il la portée de tous ? Luc Godbout a présenté des simulations qui défient l’intuition : plus on reporte loin le début des prestations de retraite publiques, moins on aura besoin d’épargne privée (personnelle) pour la retraite. M. Godbout l’a démontré en utilisant un simulateur de la Chaire appelé Retraite — Épargne requise et régimes publics de retraite.

Le simulateur estime l’épargne requise à la retraite, selon divers scénarios de report du RRQ et de la SV. Dans sa présentation, Luc Godbout s’est appuyé sur les normes d’hypothèses de projection 2024 de l’Institut de planification financière et de FP Canada, dont une inflation de 2,1 % et une augmentation de 3,1 % du maximum des gains admissibles aux régimes publics. Ses simulations reposent aussi sur un rendement de l’épargne privée de 3 %, après déduction des frais de gestion. 

En outre, elles tiennent compte d’une probabilité de 25 % de vivre jusqu’à 95 ans. Prise à 65 ans ou à 60 ans, la retraite est présumée commencer en 2024, pour une personne qui travaille depuis l’âge de 25 ans.

Selon ces paramètres, M. Godbout a présenté divers scénarios de report pour une retraite à 65 ans : 

  • Demande de la pension de la SV à 65 ans et du RRQ à 60 ans, alors que la personne est encore au travail. Épargne requise à 65 ans : 581 524 $. 
  • Demande de la pension de la SV et du RRQ à 65 ans. Épargne requise à 65 ans : 412 148 $.
  • Demande de la pension de la SV et du RRQ à 66 ans. Épargne requise à 65 ans : 380 781 $. 
  • Demande de la pension de la SV à 70 ans et du RRQ à 72 ans. Épargne requise à 65 ans : 268 437 $.

L’outil montre qu’il faut dissocier l’âge de la prise de la retraite et l’âge auquel débutent les prestations publiques — Luc Godbout 

À 75 ans, le retraité verra la pension de la SV majorée de 10 %. Les prestations des régimes publics combleront alors la presque totalité des besoins financiers des retraités, d’après M. Godbout. 

Ces simulations invalident selon lui l’adage « un tiens vaut mieux que deux tu l’auras ». « L’outil montre qu’il faut dissocier l’âge de la prise de la retraite et l’âge auquel débutent les prestations publiques, et que les reporter est souvent la meilleure option », conclut le titulaire de la Chaire en fiscalité et en finances publiques de l’Université de Sherbrooke. 

Ailleurs au Canada 

Ailleurs au pays, les personnes auront aussi avantage à reporter le début de leurs prestations de la pension de retraite du Régime de pensions du Canada (RPC), le pendant du RRQ pour les travailleurs hors Québec. Ainsi, les travailleurs de 60 ans pourraient voir plus que doubler leur prestation mensuelle de la pension de retraite du RPC, s’ils décident d’en reporter le début à l’âge de 70 ans plutôt que de la retirer maintenant. 

Le gouvernement du Canada en fait la démonstration sur son site, dans un exemple fictif (voir le graphique suivant). Il signale par ailleurs que les programmes de retraite du RRQ et du RPC sont similaires, mais pas identiques. 

Tendance au report 

Selon les données de Retraite Québec, ainsi que de l’Enquête sur la population active 2019 de Statistique Canada, adapté par l’Institut de la Statistique du Québec, l’âge moyen de départ à la retraite avait atteint un creux de 58,4 ans au Québec en 1998. Il est remonté à 64,7 ans en 2022. M. Godbout a ajouté que l’âge moyen à la retraite en Ontario a augmenté à 65,1 ans en 2022. 

Selon les résultats de l’étude Quand débuter ses prestations publiques de retraite : les avantages de la flexibilité, publiée par la Chaire en septembre 2023, la proportion des travailleurs qui ont demandé de recevoir la rente du RRQ avant 65 ans a diminué. Celle des Québécois qui la demandent à partir de 65 ans « a sensiblement augmenté en cinq ans, et celle des personnes qui la demandent après 65 ans a doublé », ajoute M. Godbout. « Cinq ans plus tard, la proportion de ceux qui demandent le chèque dès que possible a diminué de 17 points de pourcentage », commente-t-il. 

Les Québécois demeurent toutefois plus nombreux à demander leur rente à l’avance. Ainsi, à peine plus de 2 % d’entre eux touchent actuellement la rente maximale du RRQ. Plus de quatre sur 10 n’en reçoivent qu’entre 70 % et 99 %. Selon le site de Retraite Québec, la rente de retraite maximale du régime de base du RRQ est de 16 015 $ en 2024, pour une personne qui la demande à 65 ans et qui avait un revenu d’emploi annuel de 73 200 $, soit le maximum des gains admissibles au régime. 

Vivre d’espoir 

Au Canada, l’espérance de vie des personnes qui ont atteint l’âge de 65 ans entre 2020 et 2022 se situe en moyenne à 85,8 ans. Celle des femmes qui ont atteint l’âge de 65 ans entre 2020 et 2022 est en moyenne de 87,1 ans, et celle des hommes de 84,3 ans (Statistique Canada, Espérance de vie et autres éléments de la table complète de mortalité, 2023). 

 Ce qui est important, c’est l’espérance de vie qu’on aura au moment de prendre sa retraite — Luc Godbout 

Luc Godbout dresse pour sa part un profil de l’espérance de vie au Québec, en se basant sur les données de l’Institut de la statistique du Québec. « Ce qui est important, c’est l’espérance de vie qu’on aura au moment de prendre sa retraite », lance M. Godbout sur le choix du moment du début des prestations de retraite publiques.

« L’espérance de vie à 65 ans est passée de 79,9 années en 1971 à 85,9 années en 2023. Un bond de six ans », souligne-t-il.

Il lui apparaît tout aussi important de considérer la « distribution des décès ». « La proportion de décès la plus élevée pour les personnes de 65 ans et plus se retrouve chez les 89 ans, note M. Godbout. Vous avez autant de chances de mourir à 82 ans qu’à 100 ans, et autant de chances de mourir à 68 ans qu’à 94 ans. Vous avez 50 % des chances de survivre jusqu’à 90 ans, une chance sur quatre de survivre jusqu’à 95 ans et une sur 10 de vivre jusqu’à 98 ans. »

L’amélioration de l’espérance de vie au fil des ans influencera aussi l’hypothèse de mortalité. « Il faut garder ces chiffres en tête lorsqu’on planifie combien d’argent nous aurons besoin pour notre retraite », suggère-t-il. 

 

Cet article est un Complément au magazine de l'édition de novembre 2024 du Journal de l'assurance.