Après avoir souscrit une police d’assurance pour maladies graves en 2003, l’assuré réclame l’indemnité prévue au contrat après avoir été opéré au cœur en 2021. L’assureur rétorque que le trouble médical n’est pas couvert par le contrat. Le tribunal donne raison à l’assuré en raison du caractère ambigu du libellé de la police.

Le demandeur, Jean-Claude Morissette, a souscrit la police en juin 2003 auprès de BMO Société d’assurance vie, qui faisait alors affaire sous le nom de la Compagnie d’assurance-vie AIG du Canada. L’assuré était alors âgé de 47 ans.

En contrepartie d’une prime annuelle de base de 2 544 $, la police prévoit le paiement d’une somme de 150 000 $ au bénéficiaire dès le premier diagnostic d’une des maladies graves énumérées au contrat. Parmi les troubles médicaux couverts, on prévoit notamment « la transplantation d’organes majeurs et insuffisance d’un organe majeur sur une liste d’attente en tant que receveur », et qui nécessiterait la réception par voie de transplantation d’un organe ou de tissus. Le cœur fait partie de la liste.

En mai 2021, le médecin de famille du demandeur lui prescrit une échographie cardiaque, car son état de santé se détériore. À la suite de l’examen, un diagnostic de sténose aortique sévère est posé. Le 20 juillet 2021, le demandeur reçoit une lettre de l’Institut de cardiologie et de pneumologie de Québec - Université Laval (IUCPQ) lui confirmant qu’il est inscrit sur la liste d’attente.

La réclamation

Dans les jours suivants, l’assuré informe la BMO qu’il subira sous peu une intervention chirurgicale à cœur ouvert et demande qu’on lui envoie les formulaires de réclamation. Le 27 septembre 2021, le demandeur subit le remplacement d’une valve aortique par un greffon fabriqué à partir de tissu péricardique bovin.

Plus de 30 jours après l’opération, M. Morissette transmet à BMO un avis de sinistre où il joint divers documents, comme le lui demandait l’administrateur des réclamations. Quelques semaines plus tard, en discutant avec une analyste principale en réclamation de la BMO, le demandeur apprend que le remplacement d’une valve de l’aorte ne correspond pas à la transplantation d’organes prévue à la police. Elle ajoute que la valve ne fait pas partie du cœur et est considérée comme un autre organe. La réclamation sera par la suite refusée.

Le 6 septembre 2022, le demandeur expédie une mise en demeure à l’assureur pour qu’il révise sa demande d’indemnisation, en plus de lui demander le remboursement des primes qu’il a payées en décembre 2021 et juin 2022. L’assuré précise que la valve aortique est fabriquée de tissus biologiques provenant d’un animal et que celle-ci fait bien partie du cœur.

Un nouveau refus est émis par la BMO le 31 octobre 2022. L’analyste de l’assureur précise que la condition médicale décrite dans la réclamation ne correspond pas à la définition de transplantation d’organes majeurs.

Le 11 janvier 2023, l’assureur réitère son refus d’indemniser l’assuré. En juin 2023, l’avocat du demandeur tente d’obtenir un congé de primes définitif, car il est selon lui acquis que le tribunal accueillera la demande de l’assuré. M. Morissette désirait alors se prévaloir de l’option de remboursement des primes à la résiliation prévue au contrat au 20e anniversaire de l’entrée en vigueur de la police.

En raison d’un autre refus de l’assureur, le demandeur paie sous protêt les paiements de la prime prévus en juin et décembre. Des paiements supplémentaires de 1 322,88 $ seront ainsi faits jusqu’en décembre 2024.

L’audience devant le tribunal a eu lieu le 11 avril 2025 devant le juge Carl Thibault, du district de Frontenac de la Cour supérieure du Québec. Le jugement a été livré le 26 septembre 2025.

Les questions en litige

Dans la demande d’inscription pour instruction et jugement par déclaration commune, les parties résument les questions en litige. Le diagnostic reçu et l’intervention chirurgicale subie par le demandeur constituent-ils un trouble médical couvert par la police ? Le cas échéant, le demandeur a-t-il droit au remboursement des primes payées depuis le 9 décembre 2021 ?

À la première question, le tribunal répond par l’affirmative. Comme il s’agit d’une question d’interprétation de la police, le juge Thibault cite les passages pertinents du contrat sur les définitions, les garanties et les troubles médicaux couverts. Il souligne que la jurisprudence établit que les dispositions relatives à la garantie doivent recevoir une interprétation large, tandis que les exclusions doivent être interprétées de manière étroite.

Les parties divergent d’opinion quant à la portée accordée à la police. Selon le demandeur, la valve aortique est un tissu cardiaque et sa transplantation devrait être couverte en raison du libellé de la police.

De son côté, la BMO estime que la police ne comporte aucune ambiguïté et que le tribunal n’a pas à l’interpréter. Elle ajoute que même si l’état de santé du demandeur est grave, il ne correspond pas à un trouble médical couvert par la police.

Le juge retient que l’assureur ne conteste pas le fait que la valve aortique greffée au demandeur est bien un « tissu » faisant partie intégrante du cœur. Il appartient au demandeur de prouver que son risque est couvert par le contrat.

Une ambiguïté

Le passage litigieux de la police est cité dans le jugement. « Par transplantation d’organes majeurs et insuffisance d’un organe majeur sur une liste d’attente (en tant que receveur), nous entendons le diagnostic, posé par un médecin, de l’insuffisance d’un organe vital du corps, nécessitant la réception par voie de transplantation de l’un ou l’autre des organes ou des tissus suivants : cœur, foie, poumon, rein, moelle osseuse ou pancréas (sauf la transplantation de cellules insulaires). »

Au second paragraphe de la clause portant sur le délai de survie, il est question de la date à laquelle la personne subit une greffe d’organes ou de moelle osseuse. Selon la cour, le recours à des termes différents suggère des sens différents, comme le font remarquer deux auteurs d’un livre de doctrine portant sur l’interprétation des lois.

Pourquoi la BMO a-t-elle fait le choix d’utiliser le terme plus général de « tissus » pour ensuite n’évoquer que la moelle osseuse ? Entendait-elle élargir la portée de la police aux tissus composant les organes énumérés, comme l’avance le demandeur ? Le tribunal ne peut répondre à cela, mais cela démontre néanmoins que la police n’est pas aussi claire que le prétend l’assureur. Le mot « tissus » est au pluriel. Si cela ne comprend que la moelle osseuse, pourquoi le mot n’est-il pas écrit au singulier ?

La BMO soumet une autre décision rendue en 2016 par la Cour du Québec dans une affaire touchant une clause similaire dans une police émise par un autre assureur. Le tribunal souligne que la procédure subie par l’assurée dans cette autre affaire n’est pas la même que celle subie par M. Morissette. Le juge ne s’estime donc pas lié par ce précédent.

Le tribunal indique qu’il ne dispose que de bien peu d’éléments extrinsèques lui permettant de résoudre l’ambiguïté constatée. L’assuré témoigne a posteriori qu’au moment où il souscrit la police, il comprend que si un organe vital est très malade, la transplantation de tissus est une condition couverte par le contrat. L’assureur ne dépose aucune preuve des circonstances dans lesquelles le contrat a été conclu.

Le deuxième paragraphe

Pour appuyer sa lecture plus restrictive de la police, BMO s’appuie sur le second paragraphe de la clause où l’on n’évoque que la transplantation d’organes ou de moelle osseuse. Selon l’assureur, la police doit être lue en considérant le texte dans son ensemble.

Même s’il lui donne raison à cet égard, le tribunal estime que la lecture faite par l’assureur vide de son sens le recours au terme « tissus » du premier paragraphe. Si elle ne voulait couvrir qu’un seul tissu, soit la moelle osseuse, il ne fallait pas écrire le mot au pluriel, ajoute le juge.

La même clause prévoit une exclusion pour la transplantation de cellules insulaires du pancréas. Pourquoi avoir pris soin d’exclure nommément cette intervention si son interprétation était que seule une transplantation complète de l’organe était couverte par la police ? Le tribunal conclut « logiquement » que le libellé du contrat inclut la transplantation de composantes des autres organes énumérés au premier paragraphe.

« En l’espèce, une interprétation large et libérale de la police s’accorde mieux avec la position que propose le demandeur », écrit le tribunal. De plus, celle-ci « est également celle qui se réconcilie le mieux avec la réalité ». Dans son témoignage, le médecin de famille rappelle que la science médicale a développé des techniques pour faire des transplantations partielles, ce qui rend les interventions moins invasives et risquées.

La police devait expirer en 2056. En retenant la position de l’assureur voulant que seule la transplantation complète soit couverte par le contrat, l’assuré verrait sa couverture réduite en raison des développements médicaux. « Une telle proposition heurte le sens commun », note le juge Thibault qui tranche l’ambiguïté du contrat en faveur du demandeur.

L’application du contrat

L’application de la police au présent dossier est ensuite analysée. La défenderesse allègue que la définition de transplantation d’organes majeurs contient trois conditions cumulatives. L’assureur ne conteste pas que la première condition, soit le diagnostic posé par un médecin, est remplie.

La deuxième condition est que l’état de santé nécessite l’intervention chirurgicale par la transplantation d’un organe. Celle-ci a eu lieu le 27 septembre 2021 et cela suffit à remplir la condition. Enfin, le calcul du délai de survie a bien été respecté par le demandeur.

En conséquence, le demandeur a droit au paiement de la prestation d’assurance prévue au contrat. Le montant auquel l’assureur est condamné est de 152 645,76 $, avec intérêts au taux légal et l’indemnité additionnelle à compter du 6 septembre 2022.

M. Morissette a aussi droit au remboursement des cinq versements semestriels faits par l’assuré pour payer la prime, à partir du 9 décembre 2022, qui totalisent 6 614,40 $. Le calcul de l’intérêt qui s’ajoute varie en fonction de la date du paiement.