Détenir des actifs dans l’exploitation pétrolière et couvrir les risques associés aux installations de production sont des activités auxquelles les assureurs devraient s’abstenir de participer, selon un groupe d’investisseurs activistes. 

Le regroupement d’actionnaires Investors for Paris Compliance (I4PC) vient de publier un rapport faisant état de la présence de plusieurs grands assureurs canadiens dans l’industrie des hydrocarbures. L’Accord de Paris sur le climat prévoit que les pays signataires doivent s’engager à limiter le réchauffement à 1,5 °C par rapport à la période préindustrielle. 

Intitulé Playing with Fire: Canadian Insurers & Fossil Fuels, le rapport publié en anglais existe aussi en français, mais seul le sommaire exécutif a été traduit.

Les combustibles fossiles sont l’un des principaux éléments qui contribuent au réchauffement du climat, écrivent les auteurs. « L’augmentation des sinistres qui résulte de ces conditions météorologiques extrêmes se traduit par une hausse des primes, et les contribuables paient également la note pour les dommages causés aux infrastructures », lit-on dans le résumé. 

Pire encore, en raison des inondations récurrentes ou des feux de forêt, les assureurs refusent désormais d’assurer les biens dans les communautés les plus vulnérables, et la facture des dommages est refilée aux propriétaires non assurés et à l’ensemble des contribuables par le biais des programmes gouvernementaux en matière de sécurité publique. 

Le rapport cite l’exemple de Desjardins qui, en février dernier, a cessé d’offrir des prêts hypothécaires aux propriétaires d’immeubles situés dans des zones à risque élevé d’inondation dans la région de Charlevoix. D’autres propriétaires dans la région d’Ottawa-Gatineau ne peuvent assurer leurs biens après les inondations survenues en 2017 et 2019. 

Les feux majeurs survenus en forêt à la grandeur du pays en 2023 font aussi sentir leur effet. À Kamloops en Colombie-Britannique, la prime d’assurance habitation a plus que doublé en un an, indique-t-on dans le rapport sur la base d’un reportage de la CBC

Plus un risque, mais une certitude 

Dès la table des matières du rapport, les auteurs rapportent une citation de Craig Stewart, vice-président du Bureau d’assurances du Canada (BAC). « À mesure que ces événements s’aggravent, il est possible que les assureurs ne les considèrent plus comme des accidents. Quand ces événements météorologiques passent du statut d’accident à celui de prévisible, ils ne sont plus vraiment assurables ».

Ces propos de M. Stewart sont tirés d’un reportage diffusé par CTV News le 9 août 2023, selon la source citée par I4PC et qui est confirmée par le BAC au Portail de l’assurance

I4PC rappelle que les factures des sinistres catastrophiques liées aux catastrophes naturelles ont atteint 3,4 G$ en 2023 pour les assureurs canadiens. La barre des 3 G$ a été dépassée pour une deuxième année de suite. 

En conséquence, « les assureurs augmentent les primes pour maintenir leurs profits » et continuer de verser des dividendes à leurs actionnaires, indique I4PC. La prime moyenne d’assurance habitation a augmenté de 7,7 % au Canada en 2023, et la hausse a même atteint 18 % en Colombie-Britannique, poursuit l’organisme. 

En Australie et aux États-Unis, notamment en Floride et en Californie, les événements météorologiques extrêmes ont incité plusieurs assureurs à déserter ces territoires ou à imposer des hausses de primes que les propriétaires ne peuvent absorber. La rentabilité était absente en assurance habitation dans 18 États américains en 2023, comparativement à 12 États cinq ans plus tôt. 

La part des assureurs 

Parallèlement, les assureurs investissent dans les combustibles fossiles. Selon le rapport d’I4PC, six des sept grands assureurs canadiens analysés détenaient des actifs totalisant 19,5 milliards de dollars (G$) dans le secteur des combustibles fossiles en 2023. « Le secteur de l’assurance entretient un cycle néfaste en assurant et en investissant dans l’industrie des combustibles fossiles », selon I4PC.

Précisons toutefois qu’à elle seule, la Banque Toronto Dominion (TD) détient des actifs de 15,4 G$ dans cette industrie. Cette institution financière est présente en assurance, avec un volume de primes souscrites de 5,8 G$ en 2023, selon les états financiers de l’entreprise, mais cela ne représente qu’une partie de ses activités. Les revenus totaux de Banque TD ont atteint 50,7 G$ en 2023, ce qui a permis de déclarer un bénéfice net attribuable aux actionnaires ordinaires de 14,4 G$.

Parmi les autres grands assureurs canadiens détenant des actifs dans ce secteur industriel, on note Fairfax Financial Holdings (1,54 G$), Intact Corporation financière (1,48 G$) et Desjardins, avec 298,7 millions de dollars (M$). Deux autres assureurs, Co-operators (0,4 M$) et Definity Société financière (0,3 M$) ont aussi des participations plus modestes. 

Plusieurs de ces assureurs souscrivent également les risques reliés à l’exploitation des combustibles fossiles. Fairfax, qui est propriétaire de plusieurs sociétés d’assurance, dont Northbridge et Crum & Forster, est pointée du doigt.

Fairfax est dans le classement des 10 premiers assureurs mondiaux de cette industrie. « Sa filiale Allied World est l’assureur de dernier recours pour les projets liés au charbon, notamment en Asie », lit-on dans le rapport. 

Des engagements 

Par ailleurs, cinq des sept plus grandes sociétés d’assurance multirisque du Canada ont adopté un objectif de carboneutralité d’ici 2050. Seulement deux d’entre elles (Intact et Desjardins) imposent des restrictions touchant la souscription des risques associés aux combustibles fossiles. 

« Aucun assureur ayant pris l’engagement d’éliminer ces émissions de GES ne devrait souscrire des risques liés à des projets d’exploitation des combustibles fossiles », note I4PC.

En matière de réglementation, le Bureau du surintendant des institutions financières (BSIF) devrait exiger un plan de transition crédible et une meilleure divulgation des émissions financées de la part des assureurs. L’exercice devrait être assorti d’objectifs clairs et de mesures de reddition de comptes, en plus de prévoir des sanctions pour les assureurs qui n’atteignent pas leurs cibles de zéro émission, recommande-t-on dans le rapport. 

I4PC suggère notamment aux organismes de réglementation d’imposer une surcharge en fonds propres pour les expositions aux combustibles fossiles qui risquent de devenir des actifs échoués. 

Réaction du BAC 

Au Bureau d’assurance du Canada, on rappelle que les assureurs de dommages évoluent dans un marché concurrentiel et que chaque compagnie prend ses propres décisions stratégiques en matière d’investissement et de souscription.

Selon le BAC, le portrait brossé par I4PC dans son rapport représente « un tableau inexact des considérations liées à la gestion des risques liés au changement climatique », fait savoir l’organisme par l’entremise de son porte-parole Brett Weltman.

« Environ 1,5 million de ménages canadiens sont fortement exposés aux inondations, mais n’ont pas accès à une assurance contre les inondations. Cela est dû, en partie, aux décisions antérieures en matière d’aménagement du territoire qui ont contribué à la construction de communautés dans des zones à haut risque et de basse altitude du pays, sujettes aux inondations », ajoute le BAC. 

Les assureurs de dommages ont collaboré avec le gouvernement fédéral et les provinces pour créer un programme d’assurance contre les inondations, dont la mise en œuvre est prévue en 2025. Ce programme « constitue aujourd’hui l’une des mesures les plus importantes que le Canada puisse prendre pour mieux protéger les propriétaires contre les risques financiers liés aux changements climatiques », poursuit le BAC. 

Les assureurs travaillent également avec les organismes de réglementation, dont le BSIF, concernant la divulgation des émissions de gaz à effet de serre (GES) et les risques et opportunités climatiques à compter de la fin de l’exercice 2025.

La ligne directrice B-15 du BSIF exige également que les assureurs élaborent des plans de transition qui gèrent les risques physiques liés au changement climatique et les risques associés à la transition vers une économie à faibles émissions de GES, souligne le BAC. 

« Cette transition doit être entreprise de manière réfléchie et mesurée. Le BAC continuera de travailler avec les assureurs, les chefs d’entreprise et les gouvernements pendant la transition du pays vers une économie résiliente et à faibles émissions de carbone, tout en maintenant une économie saine », conclut l’organisme de représentation des assureurs de dommages du Canada. 

Les réactions des compagnies d’assurance mentionnées dans le rapport seront l’objet d’un texte distinct à venir sur  le Portail de l’assurance