Dre Anne-Marie Pinard

La douleur chronique est une maladie qui est reconnue par l’Organisation mondiale de la santé depuis 2019 au même titre que le diabète, mais les assureurs privés n’ont pas encore suivi. Les connaissances et la science ont évolué en ce domaine, mais la Dre Anne-Marie Pinard, chef du service de douleur chronique au CHU de Québec, ne sent pas toujours cette évolution auprès des compagnies d’assurance. Et ce même si ce type de douleur touche le quart des gens et qu’elle est appelée à augmenter avec la hausse du nombre de cancers et le vieillissement de la population.

La Dre Pinard est anesthésiologiste et titulaire de la Chaire de leadership en enseignement sur la douleur chronique de l’Université Laval-Medisca. C’est l’une des plus grandes expertes cliniques en douleur au Québec. Devant les difficultés que rencontrent les professionnels de la santé avec les assureurs au sujet de leurs patients qui souffrent de cette maladie, cette médecin croit que les gens qui travaillent en indemnisations devraient avoir une formation de base en douleur chronique afin de mieux comprendre la condition de leurs assurés. 

Une douleur qui persiste après trois mois 

La douleur devient chronique quand elle persiste au-delà de trois mois. En pourcentage, elle touche un peu plus les femmes que les hommes. Elle peut être associée à des maladies comme l’arthrite et le cancer, ou elle peut tout simplement se produire sans raison connue (idiopathique). Plus elle se chronicise, souligne la Dre Pinard, plus elle est là depuis longtemps, et plus il y a du travail à faire pour défaire les circuits de la douleur. L’intervention précoce donne les meilleurs résultats. L’objectif avec une prise en charge rapide et des traitements hâtifs, c’est d’éviter la chronicité. 

Une douleur chronique peut entraîner de fortes limitations au travail et dans la vie quotidienne et dans certains cas, provoquer une invalidité complète. « Je ne sais pas quel est le pourcentage des réclamations d’invalidité qui sont en lien avec une problématique de douleur chronique, car ce ne sont pas des données auxquelles j’ai accès, dit la Dre Pinard, mais ça doit être assez important.» 

Au Québec, les cliniques de la douleur sont débordées. Même si les patients en rêvent, il n’existe pas de pilule ou d’injection miracle pour mettre un terme à leurs souffrances. La science y travaille, mais nous n’en sommes toujours pas là et en 2022-2023, le soin passe plutôt par une série d’actions complémentaires, traitements, médication, alimentation, exercice physique et psychologie.

Une douleur difficilement mesurable 

La douleur chronique a ses particularités. Une des problématiques importantes, précise cette anesthésiologiste qui se consacre à cette maladie depuis 20 ans, c’est qu’elle est difficilement mesurable. On n’est pas nécessairement capable de démontrer une atteinte physique permanente chez des patients qui disent ressentir de la douleur. Il existe toutefois des outils de mesure qui sont utilisés tous les jours dans les cliniques de la douleur.

« Là où je pense que les assureurs auraient vraiment avantage à se mettre à jour, dit la Dre Pinard, c’est de comprendre que les facteurs de risques de développer une douleur chronique après un événement aigu sont connus. On les connaît, mais ils ne les utilisent pas. S’ils s’en servaient, ce serait payant pour eux et leurs patients en bénéficieraient grandement ». 

En lombalgie, on sait qu’une personne ayant eu une douleur chronique dans le passé est plus à risques d’en développer une autre. Une bonne proportion des survivants du cancer va demeurer avec une douleur chronique en raison des traitements ou d’une chirurgie. La chimiothérapie peut entraîner de la neuropathie, une atteinte des nerfs qui peut être difficile à traiter. 

Selon elle, si les assureurs utilisaient les données probantes fondées sur de très nombreuses études pour entreprendre un traitement précoce en équipe multidisciplinaire chez les patients qui ont des facteurs de risques, peut-être y aurait-il moins de gens en invalidité ou plus d’individus qui sont encore capables de contribuer à temps partiel à la vie civile. 

Problèmes avec l’invalidité 

Selon la Dre Pinard, ce n’est pas au niveau du paiement ou du remboursement de traitements comme la physiothérapie que les problèmes avec les assureurs surviennent, mais quand on touche à l’invalidité. Comme ils ne considèrent pas la douleur comme une maladie en soi, mais comme le signe ou le symptôme d’une autre pathologie, on demande aux professionnels de la santé de prouver d’où provient la douleur alors qu’ils ne devraient avoir à le faire puisqu’il s’agit d’une maladie en tant que telle. Les choses, dit l’anesthésiologiste, se corsent quand on arrive vers les fameux deux ans et l’assurance prolongée en invalidité.

« C’est normal qu’on explique aux assureurs ce qui a été tenté, ce qui fonctionne et ce qui ne fonctionne pas, dit-il. Là où j’ai un problème, c’est quand on a un patient dont le seul symptôme est la douleur, qu’on nous dit que l’IRM est normale et que l’on ne reconnaît pas sa condition. C’est là que ça devient extrêmement complexe à justifier. La douleur chronique est en soi une maladie et j’ai très hâte que les compagnies d’assurance le reconnaissent. » 

Offrir une formation en douleur chronique aux assureurs 

Elle déplore aussi à quel point il est difficile comme médecin de communiquer en personne avec les assureurs. « On nous demande de remplir des formulaires, raconte-t-elle, mais un papier, ça ne dit pas tout. J’aimerais pouvoir parler avec un humain dans une compagnie d’assurance pour savoir comment ça fonctionne parce que leur monde, ce n’est pas celui de la santé, et mon monde, ce n’est pas celui des assureurs. Ce serait formidable d’être capable de se parler pour être capable de s’expliquer. »

Elle aimerait que les gens chez les assureurs qui sont aux prestations d’invalidité soient plus formés en douleur chronique. Elle souligne que ce serait faisable de développer une formation avec les compagnies d’assurance et se dit même prête à travailler avec elles pour y parvenir. « Si on formait les gens à détecter les facteurs de risques de développement de la douleur, ça ferait une réelle différence et ce serait payant pour tout le monde », insiste-t-elle.