La propension des baby-boomers à vouloir protéger leurs investissements contre les aléas des marchés boursiers creusera davantage leur appétit pour les fonds conservateurs au cours de la prochaine décennie, prédisent plusieurs firmes de fonds d’investissement.Les statistiques de vente de l’Institut des fonds d’investissement du Canada (IFIC), publiées en mars 2006, leur donnent d’ailleurs déjà raison.

Ainsi, à travers toutes les catégories de fonds recensées, les trois qui font figure de placements conservateurs sont celles qui ont affiché, au cours des douze derniers mois, les croissances d’actifs sous gestion les plus élevées. Par ordre d’importance, ce sont les fonds équilibrés, suivis des fonds de dividendes et de revenus, et finalement des fonds d’obligations et de revenus. Seuls les fonds immobiliers ont connu aussi une forte croissance. Toutefois, cette dernière catégorie affiche des actifs sous gestion de seulement 2,5 milliards (G) de dollars.

Au cours des 12 mois se terminant le 31 mars 2006, l’actif sous gestion des fonds de placement équilibrés a atteint 134,0 G$, en hausse de 38,8 % par rapport à mars 2005.

L’actif sous gestion des fonds de dividendes et de revenus, une autre catégorie de placements qualifiée de conservatrice, a grimpé de 26,1 % pour atteindre 76,2 G$ en mars 2006 comparativement à mars 2005.
Au cours de la même période, les actifs sous gestion des fonds d’obligations et de revenus a grimpé de 19,8 % pour atteindre 65,2 G$.

Ces trois catégories de fonds affichaient 275,4 G$ d’actif sous gestion, soit près de 45 % de l’actif total de l’industrie qui a atteint 608,6 G$ en mars 2006.

Le vice-président gestion de produits et développement chez AGF, Neil MacDonald, affirme constater sur le terrain l’intérêt grandissant des investisseurs canadiens pour des placements qui offrent un rendement peu volatile, comme c’est le cas pour les fonds conservateurs.

À cet effet, M. MacDonald affirme qu’AGF a doublé les actifs sous gestion de son programme Harmony, qui sont passés de 800 M$ à 1,6 G$, entre le 28 février 2005 et le 28 février 2006, en grande partie en raison des ventes élevées de fonds conservateurs.

« Si nous examinons la direction prise, au cours des deux dernières années par la majorité des flux de capitaux, nous constatons qu’elle a été affectée à des fonds d’obligations canadiennes et des produits à revenus fixes », explique M. MacDonald.

Chez RBC Gestion d’actifs, un peu plus de 16 % des 61 G$ d’actifs sous gestion, soit plus de 10 G$, sont placés dans les deux fonds qualifiés de conservateurs, révèle pour sa part Michael Higgins, gestionnaire principal investissement et communications. Il s’agit des fonds Portefeuille équilibré sélect RBC dont les ventes nettes sont passées de 365 M$ à 464 M$ entre 2004 et 2005, ainsi que du Fonds de revenu mensuel RBC.

« Au cours des dernières années, ce sont les fonds conservateurs de revenus qui ont donné les meilleurs rendements aux investisseurs. Les fonds de revenus sur cinq ans affichent de bons résultats en ce moment, ce qui a pour effet d’attirer les investisseurs au détail », explique M. Higgins.

Même son de cloche chez TD Fonds mutuels, affirme Ralph G. Daghfal, directeur Est du Canada. L’engouement pour ce type de produit s’explique notamment par le fait que les titres conservateurs permettent aux investisseurs de préserver leur capital sur un horizon de deux à cinq ans tout en générant un rendement supérieur à un certificat de placement garanti, avance-t-il.

Le Fonds Portefeuille revenu favorable TD a d’ailleurs presque triplé ses actifs sous gestion au cours de l’année se terminant le 31 décembre 2005, alors que les actifs sont passés de 683 M$ à 1,7 G$. « Les investisseurs recherchent deux choses : des revenus payables sur une base mensuelle ou trimestrielle et une faible volatilité », explique M. Daghfal.

« Ils n’utiliseront peut-être pas les revenus, mais ils aiment certainement les voir. Ils ne veulent pas non plus voir leur placement monter ou descendre de plus de 2 % par jour », dit-il.

La tendance favorable aux titres conservateurs se maintiendra au cours des prochaines années , pour plusieurs raisons, estiment d’ailleurs les gestionnaires. Au premier chef, le vieillissement de la population, puisqu’à mesure qu’ils prennent de l’âge, les investisseurs privilégient des stratégies de placement censées protéger leurs capitaux contre les aléas des marchés boursiers. Les baby-boomers mènent d’ailleurs le bal à ce chapitre, puisque la première vague approche de la retraite, affirment les gestionnaires.

« À en juger par l’orientation des investissements dans les fonds, on peut supposer que les baby-boomers sont les chefs de file de ce phénomène. On n’a qu’à observer les flux monétaires qui migrent davantage vers des fonds conservateurs plutôt que vers des fonds de croissance », fait observer M. Higgins, de RBC.

Nous assistons aussi à un phénomène de plus en plus croissant, soit la réalisation des avoirs, explique Neil MacDonald, d’AGF. Les investisseurs liquident leurs avoirs pour disposer d’argent frais à investir dans des titres conservateurs.

Ce phénomène augmente considérablement leurs liquidités disponibles pour réinvestir, dit-il. Ces dollars proviennent de plusieurs sources : la vente de la résidence, de leurs entreprises, d’un héritage ou encore de la cristallisation de leurs actions, explique M. MacDonald.

Ralph G. Daghfal, de TD, abonde dans le même sens. L’accumulation de fortune peut jouer un grand rôle. Une personne de 60 ans avec 1 M$ d’actif peut très bien vivre sa retraite avec un rendement de 6 %. La personne qui n’aura accumulé que 200 000$ sera plus dynamique sur le marchés, illustre-t-il.

Les baby-boomers font aussi sentir leur présence dans l’univers des placements des fonds de pension, ajoute M. Daghfal. « Les fonds de retraite investissent aussi de manière importante dans des fonds conservateurs. Et c’est compréhensible puisqu’il y a plusieurs participants qui sont des baby-boomers. Dans certains cas, ils misent sur les grandes capitalisations ainsi que sur les fiducies de revenu. De cette manière, les rendements escomptés, qui devraient être de 5 %, vont grimper autour de 7 à 8 %. »

« Les baby-boomers dans les fonds de retraite savent que d’ici cinq ou dix ans, ils devront débourser de l’argent pour leur retraite. Ils se penchent alors davantage pour des titres plus équilibrés qu’agressifs. Ce phénomène s’observe autant aux États-Unis qu’en Angleterre », dit-il.

Les gestionnaires préviennent toutefois que le fait de jouer de prudence, en privilégiant les fonds conservateurs, cache un risque. Les investisseurs peuvent voir filer des gains potentiels intéressants, disent-ils.

À cet effet, Ralph G. Daghfal suggère aux baby-boomers de faire preuve d’une plus grande audace en privilégiant des fonds équilibrés. « Leur espérance de vie est plus longue aujourd’hui. Ils peuvent se permettre d’être un peu plus agressifs afin de maximiser leurs gains», dit-il.

À l’inverse, les jeunes de 25 à 30 ans, qui envisagent de fonder une famille ou qui caressent l’idée d’acheter une maison, gagneront à être plus prudents avec leurs placements, ajoute Neil MacDonald.