Alors que leurs propriétaires vieillissent et étirent leur carrière au maximum, des agents généraux s’activent à acheter de petits cabinets d’assurance collective pour consolider leur emprise.

Les acquisitions de cabinets d’assurance collective ont fait les manchettes récemment. Denis Plante a vendu SAGE au courtier d’assurance de dommages Groupe Essor, en 2016. Par le truchement de Cabinet d’assurance Banque Nationale, Assurance vie Banque Nationale a acheté des cabinets en région récemment. D’autres consolidateurs sont aussi à l’œuvre.

Peu de clientèles d’assurance collective s’échangent entre individus, estime Dave Patriarche, président et fondateur du cabinet Mainstay Insurance. La plupart des cabinets vendeurs sont plutôt la cible de consolidateurs ou d’agents généraux en assurance collective. « Ce sont de grosses firmes qui les achètent », a-t-il dit en entrevue au Journal de l’assurance.

Parmi les consolidateurs qu’il identifie figurent Arthur J. Gallagher, NFP Groupe Force, Tundra (surtout en Colombie-Britannique) et People Corporation. « Ces consolidateurs sont de gros acheteurs de cabinets, de tiers administrateurs et autres fournisseurs de services, partout où ils le peuvent », lance M. Patriarche.

L’impact du vieillissement

Le vieillissement des conseillers y est pour quelque chose. « En Ontario, la moyenne d’âge des conseillers en assurance collective est de 60 ans. Les gens n’arrêtent pas de travailler. Ils continuent. En maintenant de bonnes relations, il y a plus d’argent à faire qu’en vendant. Vous aurez ainsi des conseillers qui travaillent à 80 ans. S’ils décèdent sans plan de succession, leur entreprise vaudra beaucoup moins, si elle vaut quelque chose. L’autre option qui s’offre à eux est de vendre à un consolidateur », soutient M. Patriarche.

En ce qui le concerne, la retraite n’est pas pour demain. « Je ne me vois jamais prendre ma retraite. Ce n’est vraiment pas travailler. J’ai de formidables clients avec de formidables relations, et un bon équilibre travail-vie personnelle. Je ne veux pas vraiment y mettre fin », lance-t-il.

Pierre Piché, président et directeur du développement des affaires du cabinet ASQ Consultant en avantages sociaux, remarque aussi le phénomène du vieillissement chez les conseillers. « Nous sommes à la fin d’un cycle et entrons dans un monde de relève. Certains ont vendu et d’autres veulent passer le flambeau à la relève », dit-il.

À la mi-cinquantaine et après 30 ans dans l’industrie, M. Piché se décrit comme un doyen. Mais il n’entend pas quitter.

« Je suis encore là pour une dizaine d’années. J’ai le feu sacré ». Il n’en prépare pas moins sa relève. « J’ai un cabinet avec une équipe. Je vais inciter mes clients à traiter davantage avec mon cabinet qu’avec moi. Cela crée une croissance de la valeur du cabinet. Je peux ainsi commencer à regarder la pérennité de mon cabinet. Si je vends, le client continuera de traiter avec le cabinet. Le suivi des dossiers en gestion d’invalidité, le service à la clientèle, l’analyste demeureront tous en poste après mon départ », a confié M. Piché.

Transferts en hausse

La consolidation a été un marché tranquille jusqu’à maintenant, observe Dave Patriarche. Il en veut pour preuve des firmes comme Tundra, dont l’offre vise surtout l’Ouest du Canada. Or, les gros groupes comme Arthur Gallagher achètent plusieurs firmes de courtage à travers le Canada, dit-il. « À mesure que les conseillers en assurance collective vieillissent, nous verrons de plus en plus de transferts d’entreprise, dans les années à venir », croit-il.

Les agents généraux traditionnels achètent aussi. « Des agents généraux spécialisés en assurance individuelle ont récemment lancé leur propre agent général en assurance collective », dit M. Patriarche. Souvent, la transaction ne débouche pas sur la vente complète des activités. L’agent général en assume la gestion et le conseiller demeure actif.

Dave Patriarche exploite seul son cabinet depuis plus de 20 ans. Il n’a à ce jour ni acheté ni vendu de blocs d’affaires. Il délègue sa gestion de clientèle à l’agent général Group Quest.

Louis Carrière, président et fondateur du cabinet DCI-Assurance Inc., a aussi tenté l’expérience. Il a délégué le soutien et le marketing de son portefeuille de 10 M$ de primes à un agent général qui offre ce genre de service. Il demeure pleinement propriétaire de sa clientèle. « L’agent général s’occupe de mes affaires d’assurance collective. Il fait la mise en marché des produits, négocie avec les assureurs et veille au renouvellement des groupes », a-t-il ajouté.

M. Carrière dit avoir lui-même acheté des cabinets. « Je ne recherche pas activement de nouveaux clients. J’accepte des références qui correspondent à mes critères », explique-t-il. Il n’envisage pas de céder de blocs d’affaires. Il se spécialise entre autres dans le créneau de l’informatique et de la pharmacie, avec son associé Jean Duranleau. Plusieurs clients sont des firmes dont le personnel est hautement spécialisé. « Il est difficile de vendre une telle clientèle. Peu de courtiers pourront l’acheter », explique-t-il.

Pour sa part, Richard Desormeau, président de Vigilis, dit être acheteur à court terme. « Bien que la croissance organique soit meilleure que jamais, nous sommes à l’affut de transactions profitables à tous. » Il appliquera plusieurs critères avant d’acquérir. « Les gens vieillissent et il y a beaucoup de portefeuilles qui deviennent disponibles. » Pour lui, il n’est toutefois pas question d’acheter pour acheter. Il refuse d’aller de l’avant sans synergie.

L’approche récente d’un consolidateur lui a permis de réaffirmer cette valeur. « Nous avons été approchés par un cabinet consolidateur. Nous avons décliné l’offre, car avec eux, 1 + 1 n’égalait que 2. Il n’y avait donc pas d’intérêt pour nous. Si la transaction n’apporte ni synergie, ni avancée technologique, ni nouveau créneau, cela ne vaut pas le coup. Il doit y avoir deux objectifs dans une acquisition : se positionner comme joueur dominant ou aller chercher des synergies. D’autres achètent des cabinets dans l’espoir qu’un assureur les rachète. Ils ne sont pas nécessairement des gens d’assurance. »

Doubler le volume

Suzanne Fortin, présidente d’Alliances Solution collective, fait partie de la première catégorie. Elle entend faire doubler le volume de son cabinet en an. Il compte 12 employés et un volume de primes de 53 M$.

Pour faire doubler son volume, elle entend acquérir, mais aussi réaliser de la croissance organique, en exploitant les occasions d’affaires qu’offre le marché vieillissant. « Dans notre industrie vieillissante, les conseillers n’ont pas nécessairement de relève à leur cabinet. Nous sommes à la recherche de tels cabinets, qui rencontrent nos valeurs. Leur service doit être orienté client et se trouver au cœur d’une approche personnalisée ».

Selon Mme Fortin, le cabinet idéal est aussi celui qui n’hésitera pas à se remettre en question. Depuis 2013, Alliances Solution collective a réalisé trois acquisitions. « Il y en a d’autres en cours », a révélé celle qui est associée avec son conjoint, Clément St-Laurent.

Ce dernier a expliqué avoir des ententes avec des cabinets, pour prendre la relève en cas de décès ou de retraite du propriétaire. « Il y a plus de consolidation de cabinets d’assurance collective que par le passé, soutient M. St-Laurent. Beaucoup de propriétaires de cabinet veulent réduire le rythme. Ils nous approcheront par exemple pour nos services d’arrière-guichet. »

Cabinet en croissance par acquisitions en vie individuelle avec quelques transactions récentes, David Veilleux Services financiers est allé chercher Annie Doire pour lancer une division pour ses activités collectives. Mise sur pied officiellement en mars, Doire & Veilleux Assurance et rentes collectives ouvre l’œil. « D’ici deux à cinq ans, nous voulons contrôler une partie de la distribution d’assurance collective au Québec. Il y a beaucoup de cheveux blancs et nous sommes dans la quarantaine », a lancé M. Veilleux.

Doire & Veilleux dit vouloir grossir par acquisition stratégique de cabinets et par croissance organique. Il est en pourparlers avec des cabinets de Québec et de Montréal.

« Il y a beaucoup de cabinets à vendre, reconnait M. Veilleux. Mais, c’est souvent n’importe quoi. Acheter un cabinet d’assurance collective, c’est un peu comme acheter un fonds commun : tu vas acheter le gestionnaire qui gérera les placements du fonds. En collectif, l’acheteur acquiert la personne, le propriétaire. Il doit s’assurer de la qualité de cette personne et de ses affaires. »  


La rapidité du service plus importante que la proximité

Selon Louis Carrière, la proximité n’est plus un facteur important si le temps de réponse à un commentaire, une question ou un problème se fait dans un délai plus que raisonnable.

Le président et fondateur du cabinet DCI-Assurance Inc. ajoute que l’exclusivité aura son avantage seulement si l’on est ou a été entouré d’experts offrant la qualité de service, mais dans d’autres domaines comme la pension, la planification financière, etc. Le fait que le service soit assuré par l’agent général limitera le type d’acheteurs, mais pas la valeur, estime M. Carrière.

« Les Censeo de ce monde sortiront complètement la gestion de cet agent général. Tandis que de plus petits cabinets y verront un atout par la qualité de la gestion des mises en marché et renouvellement. »

En ce qui concerne les ventes de feu, le conseiller croit que la pire des transactions est meilleure qu’aucune transaction. « Les grandes boites ont des plans de survie. Les petites devraient toujours avoir une entente à l’amiable avec un confrère opérant avec les mêmes conditions de gestion, d’administration et de philosophie de mise en marché. Si la boite transige avec un agent général, celui-ci devrait être impliqué dans ces ententes. »

Financer la transaction sur une plus longue période ? Oui et non, dit M. Carrière. Il faut connaitre le vendeur et l’acheteur. On doit aussi se demander quelle est la condition physique et mentale du vendeur, ou s’il a un intérêt dans la croissance ou la décroissance du bloc.