Le Québec pourrait être un précurseur au Canada en matière de réparation dans le secteur automobile avec son projet de loi 29 déposé par le ministre de la Justice, Simon Jolin-Barrette, affirme l’Association des industries de l’automobile du Canada (AIA).
La Loi protégeant les consommateurs contre l’obsolescence programmée et favorisant la durabilité, la réparabilité et l’entretien des biens stipule notamment que « les fabricants d’automobiles doivent donner accès gratuitement aux données d’un véhicule, que ce soit au propriétaire, au locataire à long terme ou au réparateur de ce véhicule ».
Cette nouvelle obligation serait à l’avantage des consommateurs et des assureurs, mais elle se heurte à la résistance des regroupements de concessionnaires et des fabricants.
Monopole des données
L’AIA, une association qui réunit de grands acteurs du marché secondaire du secteur automobile au Canada, reproche aux constructeurs et aux concessionnaires de profiter de l’absence d’un encadrement à jour pour monopoliser l’accès à des données essentielles pour faire le diagnostic, l’entretien, la réparation et la calibration des voitures.
Il existe bien une entente, CASIS, signée en 2009, mais elle n’a pas été actualisée pour tenir compte de l’avancement technologique des véhicules et des voitures connectées d’aujourd’hui.
Le problème d’accès aux données en 2023 est surtout vécu au niveau de la carrosserie. Le P.L 29 briserait ce quasi-monopole des constructeurs et ferait en sorte que les indépendants devraient avoir facilement aux données sans frais.
Actuellement, les ateliers indépendants peuvent avoir beaucoup de difficultés à installer des pièces de remplacements et à obtenir les codes nécessaires au fonctionnement du véhicule réparé. Ils doivent se procurer des outils très dispendieux, sans quoi ils peuvent être incapables de faire les réparations. Les propriétaires de véhicules connectés et les assureurs deviennent partiellement captifs des constructeurs et des concessionnaires.
Une pratique en pleine croissance
Selon le PDG de l’AIA, Jean-François Champagne, la pratique de rendre les informations plus difficiles d’accès est en forte croissance dans cette industrie. On le voit de plus en plus avec les nouveaux véhicules, devenus des ordinateurs sur roues, et qui demandent beaucoup plus de travail, de temps, de réparations et d’argent à la suite d’un accident que dans le passé
« Tout cela hausse les coûts pour les carrossiers et augmente pour les assureurs le pourcentage de cas où le véhicule est déclaré perte totale plutôt que d’être réparé », a-t-il déploré en entrevue au Portail de l’assurance.
Ces données ont donc énormément de valeur au plan financier.
Sans le P.L 29, croit-il, le nombre de déclarations de pertes totales de véhicules ira en augmentant, car le manufacturier a tout avantage à remettre un véhicule neuf au sinistré plutôt que de le faire réparer chez un atelier indépendant.
« Mais quand on regarde l’empreinte sur l’environnement et les effets sur les primes d’assurance, il faut continuer à réparer les voitures plutôt que de les envoyer dans un centre d’enfouissement », insiste-t-il.
Un écosystème fermé
Les véhicules récents, qu’ils soient électriques ou pas, sont tous connectés. L’ensemble des capteurs transmet en direct et en temps réel beaucoup d’informations. Certains de ces éléments sont nécessaires pour faire un diagnostic, une réparation ou une calibration.
Un exemple concret : jusqu’à tout récemment, Tesla dictait où faire réparer ses véhicules, comment les réparer et avec quelles pièces, ce qui limitait énormément la capacité d’utiliser soit des pièces recyclées, soit des pièces de remplacement provenant du marché secondaire.
« Cet écosystème fermé fait en sorte que l’on a des coûts de réparations plus élevés, commente le PDG de l’AIA. C’est un mouvement que l’on voit de plus en plus dans les voitures de luxe et même avec les marques plus communes de véhicules de tous les jours ».
L’information est disponible à travers les outils coûteux qui sont dictés par les manufacturiers. Ce sont des frais supplémentaires qui font grimper le coût des réparations.
« Sans cadre législatif, ajoute M. Champagne, il existe très peu d’incitatifs pour un manufacturier. Si on ne le force pas à travers une législation, on va rester avec le système actuel : l’information est disponible, mais elle est faite de façon contraignante avec des outils dispendieux et à des coûts très élevés. Ultimement, cela fait en sorte qu’on a moins de centres de service. Pour les assureurs, cela représente des casse-têtes pour les réparations. »
L’adoption du P.L 29, dit-il, ne va pas faire baisser le coût des réparations, mais elle va prévenir une croissance exponentielle des coûts que l’on a déjà commencé à voir au niveau des réparations, que ce soit en carrosserie ou en mécanique, et prévenir un monde dans lequel on ne répare plus les voitures, mais on les remplace.
Projet de loi fédéral
Parallèlement, à Ottawa, un débat sur le droit d’auteur qui toucherait le milieu automobile est en cours. Des fabricants de pièces se battent pour faire reconnaître qu’il n’est pas illégal de briser les protections logicielles dans un produit si l’intention est de fabriquer des pièces de remplacement, de faire de l’entretien ou la réparation d’un bien. Cette question fait partie du projet de loi fédéral C244 qui est présentement en 2e lecture.
« C’est une partie du grand puzzle du droit à la réparation. Celui-là est important parce qu’il vient enchâsser dans la loi une exception à la loi du droit d’auteur à propos du Technological Protection Measure (TPM), qui fait en sorte qu’un constructeur entre dans un produit un encodage qui ne permette pas de réutiliser la pièce. L’AIA espère que le projet C244 deviendra force de loi », dit M. Champagne.
Réticences des constructeurs
À Québec, le ministre Jolin-Barrette l’a mentionné en commission parlementaire le 12 septembre, il y a beaucoup de critiques provenant des constructeurs et des concessionnaires face à son projet de loi 29. Entre autres arguments, ces derniers ont soulevé des enjeux de cybersécurité : si on rend trop l’information disponible, a affirmé le président de leur association, des voitures vont se faire voler. Or, les vols de véhicules se multiplient déjà dans toutes les provinces sans que les données soient facilement disponibles.
« Cette affaire de cybersécurité et de vols, ça n’a absolument rien à voir, s’exclame Jean-François Champagne. C’est une tactique de divergence. »
Lors de la même commission, ce dernier a invité les parlementaires à résister aux pressions pour altérer le projet de loi ou en diminuer la portée et à l’adopter rapidement, d’ici la fin de 2023, espère-t-il.
La première province au Canada
Si le Québec l’adopte dans sa mouture actuelle, Québec deviendrait la première province au pays à légiférer spécifiquement sur le droit de réparation automobile.
En cas d’adoption, pourrait-on assister un refus de fabricants de se conformer à la loi ? Le PDG de l’AIA s’étonnerait que l’on en vienne à un bras de fer.
« Ça s’inscrit dans un mouvement international. Les partis d’opposition à Québec supportent le projet de loi ainsi que la population. Je m’attends à ce que ce mouvement s’étende à d’autres provinces. C’est certain que les consommateurs et les assureurs vont y gagner si le projet de loi est adopté tel que présenté. »