Alors que la commercialisation des drones est en pleine expansion, les questions d’assurance liées à leur utilisation, privée et commerciale, n’ont pas toutes trouvé de réponses. En cause : une législation ambigüe qui peine à suivre le rythme imposé par le développement technologique et des risques encore difficiles à identifier.

Depuis déjà plusieurs mois, ils ont envahi notre ciel. Rendus accessibles grâce à un prix d’entrée de gamme situé autour de 50 $, les drones amènent aujourd’hui de formidables débouchés, autant technologiques que commerciaux. Quant au marché de l’assurance, s’il n’est pas encore prêt à accueillir ces nouveaux appareils, les choses devraient se mettre en place dans les mois à venir.

Mais, avant tout, sait-on exactement de quoi on parle? Comme son nom anglais l’indique (Unmanned Aerial Vehicle [UAV]), un drone est en fait un véhicule aérien sans pilote. Il s’agit d’un aéronef dont la sustentation et la propulsion sont assurées par une ou plusieurs voilures fixes ou, plus fréquemment, tournantes. Ils peuvent être ainsi désignés sous de nombreuses dénominations : véhicule aérien non habité, système d’aéronef télépiloté, modèle réduit d’aéronef, aéronef téléguidé et, bien sûr, drone.

Quant à leurs usages, ils peuvent être très différents. Tout d’abord, il faut distinguer l’utilisation privée de l’utilisation commerciale qui en est faite.

Dans le premier cas, il s’agit avant tout d’une activité récréative, qui peut comprendre la prise de photographies. L’usage commercial des drones, en revanche, peut prendre des formes totalement différentes et inattendues. Désormais, ils peuvent être utilisés pour la livraison de colis, les opérations de surveillance (contrôles aux frontières, centres commerciaux, trafic autoroutier, pipeline), l’agriculture (migration de troupeaux, contrôle des cultures, pollinisation, ensemencement de nuages pour augmenter le niveau des précipitations), la collecte de données (météo, évènements publics), les opérations militaires ou de sauvetage, la construction (entrepreneurs, architectes, arpenteurs, agents immobiliers) ou la production audiovisuelle (télévision et cinéma, notamment).

Le secteur des médias fait aussi figure de débouché pour les fabricants de drones. Dernièrement, une dizaine de médias américains, dont The New York Times, The Washington Post, NBC ou encore CNN, ont même annoncé qu’ils allaient joindre leurs efforts pour tester des drones qui doivent leur permettre, à terme, de recueillir des informations.

Ce que dit la loi

Cependant, s’il est tout à fait légal d’utiliser un drone dans le ciel canadien, peu importe l’usage, Transports Canada dispose de règles très strictes pour en encadrer l’usage.

Concernant l’utilisation privée, l’opérateur n’a besoin d’aucun permis spécifique. Il faut toutefois que le drone pèse moins de 35 kilogrammes (kg) et qu’il ne soit pas utilisé trop près des foules, des édifices ou encore dans un espace aérien règlementé. Dans le cas où le drone filme ou prend des photographies, aucune autorisation n’est requise tant que les images ne sont pas utilisées à des fins commerciales.

Nombreuses complexités

Concernant l’usage commercial, les choses sont un peu plus complexes. L’utilisateur a la responsabilité d’utiliser son drone en toute sécurité, en respectant le Règlement de l’aviation canadien (RAC) de Transports Canada autant que le Code criminel et que les règlementations municipale, provinciale et territoriale ayant trait aux intrusions et à la vie privée.

Selon le RAC, dont la dernière modification date de novembre 2014 (circulaire d’information no 600-004), il est ainsi « interdit d’utiliser un véhicule aérien non habité à moins que le vol ne soit effectué conformément à un certificat d’opérations aériennes spécialisées (COAS) ou à un certificat d’exploitation aérienne ».

Toutefois, sont exemptées les personnes effectuant des opérations aériennes avec des drones ayant une masse maximale au décollage ne dépassant pas 2 kg exploités en visibilité directe, ainsi que celles effectuant des opérations aériennes avec des drones ayant une masse maximale au décollage dépassant 2 kg, mais inférieure à 25 kg, avec une vitesse maximale corrigée de 87 nœuds ou moins, exploités en visibilité directe.

Autrement dit, dans le cadre d’une utilisation commerciale, l’opérateur devra faire une demande de certificat auprès de Transports Canada dans la grande majorité des cas. Le demandeur devra être en mesure de démontrer la prévisibilité et la fiabilité du véhicule aérien sans pilote.

Des zones un peu floues

« Si certains opérateurs pensent qu’ils peuvent agir librement, qu’ils sont exemptés de toutes sortes de règles, je les invite à lire la circulaire d’information nº 600-004 de Transports Canada, prévient d’entrée de jeu Calvin Reich, courtier chez Capri Insurance Services (Colombie-Britannique) et spécialiste des véhicules aériens sans pilote. Certes, les exigences sont légèrement moins restrictives pour la catégorie des moins de 2 kg, mais la plupart des opérateurs commerciaux se rendront compte qu’ils ont besoin de faire une demande pour un COAS, pour tout ou partie de leur fonctionnement. Un certificat sera probablement toujours nécessaire, car il est difficile d’utiliser un drone dans les conditions actuelles d’exemption. Seuls des opérateurs situés dans des zones isolées, très rurales, seront en mesure de fonctionner dans les règles d’exemption. »

« Nous possédons un système qui fonctionne pour les drones au Canada, poursuit M. Reich, qui participe activement, aux côtés de Transports Canada, à la création d’un encadrement législatif relatif à l’usage des drones. Il est un peu plus compliqué que ce que certains pensent, et ça prendra juste un peu de temps et d’efforts à certains opérateurs pour se conformer aux règles. »

Pour Ghislain Charrette, en revanche, la législation est encore bien ambigüe concernant les drones. En effet, pour le président de Charrette Aviation, cabinet de courtage qui se spécialise dans le secteur de l’aviation, « Transports Canada a créé des exemptions pour les drones de 2 kg et moins pour se débarrasser de près de 80 % des drones. La circulaire d’information nº 600-004 impose de ne pas voler à moins de 5 miles nautiques d’une zone bâtie. Or, à partir de deux bâtisses, on considère que c’est une zone bâtie. Ce n’est donc pas facile de trouver un endroit au Québec pour faire voler son drone! Avec cette loi, un arpenteur ne pourrait pas opérer sans un certificat d’opérations aériennes spécialisées (COAS). »

Par ailleurs, M. Charrette déplore aussi le fait qu’un pilote n’ait besoin d’aucune licence, d’aucun document officiel l’autorisant à opérer. « À la différence de ce que l’on observe dans l’aviation, poursuit-il, les gens s’improvisent pilotes de drones, sans effectuer le moindre cours de pilotage. Cependant, ils ne sont pas préparés. Les pilotes d’avion sont de vrais passionnés, ce qui n’est pas forcément le cas pour les pilotes de drones. Il faudrait qu’ils aient un minimum de formation, comme pour les hydroglisseurs. Un drone, ce n’est pas une motoneige! »

Aussi imparfaite soit-elle, la législation canadienne permet à n’importe quelle entreprise d’obtenir un certificat d’opérations aériennes spécialisées (COAS), ce qui n’est pas encore le cas aux États-Unis, où l’usage de drones est réservé pour l’instant aux agences gouvernementales.

Toutefois, le Congrès américain a récemment demandé à la Federal Aviation Administration (FAA), l’agence gouvernementale régissant l’aviation civile aux États-Unis, d’élaborer un plan global pour accélérer l’intégration des systèmes de drones civils dans l’espace aérien national. La FAA a ainsi alloué 63,4 milliards de dollars US (G$ US) pour la modernisation des systèmes de contrôle de la circulation aérienne du pays ainsi que pour l’expansion de l’espace aérien dans le but de permettre l’utilisation commerciale des drones.

Une multitude de risques

« Bien que l’utilisation de drones ne soit pas tout à fait nouvelle, leur usage commercial devrait exploser au cours des prochaines années. Des questions d’assurance uniques risquent fort de se poser », prévient Elaine Solomon dans un billet intitulé Drones Insurance Issues: Where Are We Headed?

Pour la coprésidente du département de droit aérien au sein du cabinet d’avocats américain Blank Rome, les assureurs vont devoir trouver des réponses afin d’être en phase avec la commercialisation de ces nouveaux véhicules. « Comment les souscripteurs vont-ils appréhender ce sujet alors que les risques sont encore largement inconnus? Quels types d’assurances seront nécessaires pour chaque usage spécifique? Il est clair que les clauses d’indemnisation contractuelles ont besoin d’être revues en collaboration avec les polices d’assurance? Et une chose est sure : l’augmentation des opérations de drones se traduira par une augmentation des problèmes de responsabilité. »

Le premier risque engendré par l’utilisation de drone est bien évidemment celui lié à la responsabilité civile commerciale, ce dernier pouvant être de grande envergure. En effet, dans ce cas, les pertes et dommages pourraient inclure des lésions corporelles pour les humains et les animaux ainsi que des dommages matériels aux bâtiments et à des biens personnels.

Par exemple, un drone en route vers sa destination pourrait entrer en collision avec un bâtiment, une voiture ou une personne, causant des blessures corporelles ou des dommages matériels. Un drone pourrait être utilisé pour pulvériser un champ avec des pesticides. S’il venait à s’écraser dans la grange d’une ferme voisine, il pourrait entrainer de sérieux dommages en percutant le bâtiment, en tuant des animaux à l’intérieur et en libérant du pesticide sur le terrain environnant…

Si l’accident est le résultat d’une négligence, le propriétaire pourrait être en faute. Cependant, si le drone s’est écrasé en raison d’un défaut ou d’un dysfonctionnement, c’est le concepteur ou le fabricant du drone qui pourrait être tenu responsable. Et s’il est déterminé que c’est le GPS du drone qui a mal fonctionné, c’est sur le fournisseur de logiciels GPS que reposera la responsabilité du sinistre. Déterminer les expositions potentielles relatives à l’utilisation d’un drone dans toute entreprise s’avère donc indispensable.

Du point de vue de la responsabilité personnelle, les propriétaires qui exploitent des drones pour leur usage personnel pourraient faire face aux mêmes risques que lors d’un usage commercial. Une autre exposition de propriété peut être l’interruption d’affaires associée à des dommages causés à un bâtiment commercial, ce qui occasionnerait la perte du revenu d’entreprise et des dépenses diverses.

Risque de confidentialité

L’usage de drone engendre d’autres risques comme ceux liés à la violation de la vie privée. Des questions de confidentialité peuvent aussi survenir avec la capture involontaire d’images, par exemple des portraits de propriétaires capturés au cours de l’inspection d’un chantier de construction à proximité.

Par ailleurs, le propriétaire du drone devra aussi envisager une couverture pour le drone en tant que tel, dans la mesure où il peut être exposé au vol ainsi qu’à des risques de collision, de feu, d’intempéries, etc.

Enfin, les drones peuvent aussi être vulnérables à une cyberattaque dans la mesure où ils sont généralement connectés à des systèmes de communication électroniques. Ces opérations de piratage pourraient par exemple faire dévier un drone de sa trajectoire de vol prévue et donc entrainer des dommages divers.

Face à ce nombre accru de risques, certaines compagnies sont en train de développer des produits même si, pour l’instant, il n’existe pas de programmes spécifiques aux drones. D’ailleurs, parmi les assureurs à proposer des offres spécifiques, tous sont déjà présents dans le secteur de l’aviation : AIG, Allianz, Global, Catlin, Swiss Re, Lloyds of London, Starr ou encore XL.

« Il s’agit d’un marché encore embryonnaire. Il demeure très difficile de mettre des lignes sur les drones, affirme Ghislain Charrette de Charrette Aviation. Nous n’offrons que des couvertures de responsabilité civile commerciale. En ce qui concerne l’usage privé, il vaut mieux se tourner vers l’association des modélistes du Canada »

Même son de cloche pour Calvin Reich, de Capri Insurance Services. « La plupart des assureurs ne sont pas intéressés par l’assurance de l’usage privé des drones. Pour le commercial, il existe des règles, des paramètres que les assureurs maitrisent. Pour l’assurance privée, il y a encore trop de choses à définir comme la question de la proximité des aéroports, du survol de personnes ou du survol d’autoroutes… »

Aujourd’hui, les couvertures sont ainsi essentiellement conçues pour une utilisation commerciale. Les assureurs peuvent offrir des couvertures pour les dommages physiques causés par le drone, dans sa zone de stockage ou lorsqu’il est en vol. Toutefois, les utilisateurs ne contractent généralement que l’assurance en responsabilité en raison du faible cout des primes. En effet, il faut compter entre 750 $ et 2 500 $ pour une garantie de 1 million de dollars (M$), et cette tendance sur les prix semblerait plutôt à la baisse.

Du point de vue des assureurs, nombreux sont ceux qui se montrent impatients et qui espèrent que cette nouvelle niche contribuera à la croissance de l’industrie. Pourtant, ils font actuellement preuve d’un optimisme prudent et sont contraints d’improviser, car ils ne possèdent pas suffisamment de données pour déterminer les prix, les garanties, les exclusions, etc. Une fois que des accidents commenceront à se produire, et cela surviendra, les assureurs seront en mesure d’avoir une meilleure compréhension de la façon de gérer ces expositions.

« Les drones, ce sont 90 % de troubles pour 10 % de résultats! ironise Ghislain Charrette, président de Charrette Aviation. Plus sérieusement, je crois que j’ai réalisé une dizaine de contrats pour 75 dossiers constitués. On n’assure pas le drone en tant que tel, on assure par la coque. Si on assurait le drone, la prime couterait autour de 10 % du prix de l’appareil. Imaginez, pour un drone à 40 000 $, on aurait une prime à 4 000 $. C’est trop cher! C’est sûr que le marché va se spécialiser. Les assureurs de base ne font pas ça pour l’instant, mais ça va évoluer. »