Alors que la Fédération des médecins de famille du Québec (FMOQ) s’inquiétait de cette ouverture en raison d’un possible conflit d’intérêts, les pouvoirs de diagnostics et de prescriptions des pharmaciens seront élargis en vertu du projet de loi 67 qui a été adopté le 7 novembre par l’Assemblée nationale. Un plus grand nombre de professionnels de la santé pourront aussi diagnostiquer des problèmes de nature mentale.
Le gouvernement, par le biais de sa responsable des ordres professionnels, Sonia Lebel, pose ces gestes dans le but d’améliorer et d’accélérer les soins de première ligne. Des diagnostics qui ont été longtemps réservés aux médecins pourront être désormais posés par d’autres professionnels.
Plus de pouvoirs aux pharmaciens
Lors de l’entrée en vigueur des règlements l’an prochain, les pharmaciens pourront notamment renouveler et prescrire un plus large éventail de médicaments pour des maladies chroniques stables déjà diagnostiquées, comme le diabète et l’hypertension, ce qui évitera aux patients d’être forcés de revoir leur médecin pour renouveler certaines ordonnances.
Les pharmaciens pourront aussi le faire pour des maladies courantes sans prescription antérieure, telles que des infections urinaires, une conjonctivite, une pharyngite, une amygdalite.
« L’adoption de ce projet de loi est une étape historique qui fait du Québec un leader mondial en matière de pratique de la pharmacie », a commenté le président de l’Ordre des pharmaciens, Jean-François Desgagné.
L’Ordre travaille actuellement avec l’Office des professions à l’élaboration des règlements qui viendront préciser et encadrer ces nouvelles responsabilités. On peut déjà prévoir :
– Le retrait des délais pour la prolongation d’ordonnance ;
– La prescription de médicaments de façon plus large ;
– L’administration de médicaments à des fins thérapeutiques ;
– La substitution de médicaments dans plus de circonstances.
Toutefois, l’adoption de ces nouvelles activités ne se fera pas sitôt que les règlements d’application seront en vigueur. Elle sera progressive, les pharmaciens devant les intégrer à leur pratique et prévoir des changements organisationnels dans leur établissement, tels que l’aménagement d’espaces pour rencontrer les patients et poser des diagnostics. Les pharmaciens devront aussi suivre des formations appropriées.
Cet élargissement du rôle et des charges de la pratique pharmaceutique ne fait pas cependant pas le bonheur et l’unanimité auprès de tous les membres de cette profession. Plusieurs pharmaciens l’ont critiqué sur le site web Profession Santé, pointant déjà leurs nombreuses responsabilités actuelles de plus en plus lourdes, la pénurie de main-d’œuvre et l’aménagement de locaux appropriés.
Mais de son côté, le gouvernement Legault se réjouit de ces changements. « On viendra ainsi éviter de nombreuses consultations médicales mineures et réduire le temps d’attente pour des milliers de Québécois, a dit la ministre Sonia Lebel par voie de communiqué. L’objectif est que ces changements entrent en vigueur le plus rapidement possible dès le début de la prochaine année. »
Santé mentale
En santé mentale, la loi confère à cinq nouvelles professions la capacité et la reconnaissance d’établir des diagnostics. Les évaluations que rendaient les psychologues, les infirmières cliniciennes, les conseillers d’orientation, les sexologues et les orthophonistes seront désormais considérées comme de véritables diagnostics.
« Donc, a commenté le député Guillaume Cliche-Rivard, de Québec Solidaire, le message à tout le monde est clair : il n’y a pas que les médecins qui peuvent établir des diagnostics en santé mentale. La compétence des autres professionnels doit être reconnue et il n’y a pas lieu d’aller faire doublement valider leur opinion professionnelle par un médecin. »
Le député libéral André Albert Morin a toutefois rappelé lors d’une intervention qu’il a faite à l’Assemblée nationale peu avant l’adoption du projet de loi 67 que les choses pourraient ne pas fonctionner aussi bien qu’on le décrit si les compagnies d’assurance ne suivaient pas et continuaient de réclamer à leurs clients que le diagnostic soit posé par un médecin.
C’est un enjeu de taille, a-t-il soulevé. Il a dit espérer que les assureurs vont continuer de rembourser visites et traitements afin que les patients puissent profiter des avancées qu’apporte le projet de loi 67.
« C’est au preneur de régime, qu’il soit un employeur, un syndicat ou une association professionnelle, que revient la décision de rembourser ces services », avait toutefois rappelé la présidente de l’Association canadienne des assurances de personnes (ACCAP) au Québec, Lyne Duhaime, en commission parlementaire.
Dans son mémoire, l’ACCAP avait noté que l’aspect du projet de loi qui devrait toucher le plus les assureurs est l’élargissement des responsabilités des pharmaciens. L’association avait réclamé que cet élargissement s’accompagne d’un meilleur contrôle des coûts des régimes d’assurance médicaments pour tous les Québécois, qu’ils soient assurés par la Régie de l’assurance maladie du Québec (RAMQ) ou couverts par un régime privé.
« Ainsi, avait dit Lyne Duhaime, comme le projet de loi 67 vient retirer les délais pour la prolongation d’ordonnance, on peut supposer que le volume lié à cet acte augmentera (…) Nous estimons essentiel que leur élargissement n’exerce pas de pressions financières supplémentaires sur le Régime général d’assurance médicaments (RGAM) et par le fait même, sur les régimes d’assurance collective ».
Le texte final du projet de loi et ses règlements qui vont préciser son application n’étant pas encore disponibles, il est trop tôt pour savoir si le message de l’ACCAP sera entendu.
L’adoption de la loi 67, souligne la ministre Sonia Lebel, marque le premier jalon de la modernisation du système professionnel au Québec qui vise l’allègement réglementaire, la modernisation du Code des professions et l’élargissement des pratiques professionnelles. D’autres actions sont à venir.