Déjà en juillet 2023, Sébastien McMahon, stratège en chef et économiste sénior d’iA Groupe financier, disait demeurer constructif et prudent. En entrevue avec le Portail de l’assurance le 10 novembre dernier, il a dit maintenir le cap. « Notre positionnement demeure très neutre », a confié M. McMahon.
L’économiste explique pourquoi il modère son optimisme : « Les signaux sont actuellement difficiles à lire, et contraires au point de vue macroéconomique. Nous sommes en mode attente ; nous attendons d’avoir plus de clarté avant de prendre une décision », ajoute-t-il.
M. McMahon décèle toutefois des signes avant-coureurs de récession. « Historiquement, les trimestres qui précèdent une récession prennent une allure positive. Actuellement, les gens entendent aux bulletins de nouvelles que la hausse des taux d’intérêt est finie, que rien n’est brisé dans l’économie et que son atterrissage se fera en douceur, mais il y aura un ralentissement. Des facteurs pourraient le repousser plus tard aux États-Unis. Au Canada, on y est déjà », dit M. McMahon.
L’économie ralentit
Au Québec aussi. Lors de sa mise à jour économique du 7 novembre 2023, le ministre des Finances du Québec, Éric Girard, a révisé ses projections de croissance à la baisse pour 2024. La persistance de l’inflation et l’augmentation prolongée des taux d’intérêt atténuent selon lui les perspectives de croissance pour 2024. « Ainsi, l’activité économique devrait croître de 0,7 %, alors qu’une hausse de 1,4 % était escomptée en mars dernier », a dit le ministre. Il prévoit que le produit intérieur brut (PIB) réel du Québec devrait augmenter de 0,6 % en 2023. En 2022, le PIB réel du Québec a progressé de 2,6 % par rapport 2021.
Pour sa part, le gouvernement du Canada publiera son énoncé économique de l’automne le 21 novembre 2023. Il devrait annoncer que le taux de croissance du PIB canadien a ralenti. Selon les données les plus récentes de Statistique Canada, le taux de croissance du PIB, aux prix de base pour l’ensemble des industries, a atteint 0,9 % en août 2023, par rapport à août 2022. En comparaison, le PIB canadien a crû de 3,9 % entre août 2022 et août 2021.
Réalisée par la Banque du Canada auprès d’environ 30 participants au marché, Enquête auprès des participants au marché – Troisième trimestre de 2023 ne laisse pas entrevoir d’amélioration sensible en 2024. Selon la médiane des réponses à l’enquête de la banque centrale canadienne, le PIB affichera une croissance de 1,0 % en 2023 par rapport à 2022. Le scénario le plus optimiste (75e percentile des réponses) s’établit à 1,1 % et le plus pessimiste (25e percentile des réponses) à 0,5 %.
En revanche, tous les participants à l’enquête sont d’accord sur un point : 5,00 % est selon eux le niveau maximal qu’atteindra le taux directeur durant le cycle actuel de resserrement de la politique monétaire. Tous voient le taux directeur redescendre dès le mois de juin 2024. Les plus optimistes s’attendent à les voir descendre à 4,75 % en avril 2024.
Quant à l’inflation mesurée par l’indice des prix à la consommation global au Canada, elle baisserait à 3,5 % à la fin de 2023 et la cible des 2,0 % serait atteinte dans cinq ans, selon la médiane des réponses à l’enquête de la Banque du Canada. Les plus optimistes (25e centile) voient l’inflation redescendre à 3,0 % en fin d’année et atteindre la cible des 2,0 % à la fin de 2024. Les répondants plus pessimistes (75e centile) croient que le taux d’inflation demeurera le même d’ici la fin de l’année, et qu’elle sera à 2,3 % dans 5 ans.
Pas d’argument pour le risque
Dans sa revue économique hebdomadaire du 10 novembre, intitulée États-Unis : ce que le marché du travail signale aux investisseurs, M. McMahon a noté une volatilité importante tant du côté des titres à revenu fixe que du côté des actions, sur fond de tensions géopolitiques. « Nous avons un positionnement qui demeure neutre en actions avec une légère sous-pondération du marché américain. »
M. McMahon ne voit actuellement pas d’argument macroéconomique qui justifierait une exposition accrue aux actifs plus risqués. « On voit un ralentissement économique, une légère contraction des ventes et des bénéfices des entreprises du S&P 500 », soulève-t-il.
Dans l’édition de novembre de Mensuel de Stratégie & Macroéconomie, iA Gestion mondiale d’actifs affiche son positionnement en matière de répartition de l’actif. Le gestionnaire surpondère la classe d’actifs du marché monétaire et celle des actifs à revenu fixe, alors qu’il sous-pondère légèrement les actions et demeure neutre face aux placements alternatifs.
iA Gestion mondiale d’actifs demeure neutre à l’égard de la répartition de ses actifs en actions dans toutes les régions, sauf du côté des actions américaines. Il les sous-pondère légèrement. Dans la catégorie des titres à revenu fixe, iA surpondère fortement les obligations gouvernementales et légèrement les obligations de qualité investissement (notées d’AAA à BBB-), mais se tient loin des obligations à rendement élevé (noté en deçà de BBB-). iA Gestion mondiale d’actifs surpondère également le pétrole et l’indice du dollar américain.
Le chômage américain à l’œil
« L’économie américaine ira-t-elle en récession ou glissera-t-elle dans une stagnation qui dure ? » C’est selon Sébastien McMahon la question la plus importante à se poser envers les perspectives de marché en 2024. Le marché du travail est selon lui un bon indicateur pour l’économie américaine.
Or, le taux de chômage est en train d’augmenter aux États-Unis, soulève M. McMahon. Il a partagé le graphique d’une analyse macroéconomique axée sur la règle de Sahm (du nom de l’économiste Claudia Sahm), un indicateur de récession qui se fonde sur les données du chômage publiées mensuellement par le Bureau of Labor Statistics des États-Unis. L’indicateur suit l’évolution du taux de chômage. Lorsque la moyenne mobile sur trois mois du taux de chômage national augmente de 0,5 % ou plus par rapport à son creux des 12 derniers mois, l’indicateur marque le début d’une récession.
« Nous ne sommes pas là encore. Nous sommes à 0,3 % depuis le creux, mais on voit que le taux de chômage est reparti à la hausse. Généralement, la marée monte pendant un bout de temps, pas seulement quelques mois », analyse M. McMahon.
Attendre le pessimisme
Le stratège en chef et économiste sénior d’iA rappelle en outre que l’indice boursier des entreprises de grande capitalisation S&P 500 atteint un creux à la fin d’une récession ou peu après, selon les données remontant jusqu’à 1947 qu’il a partagées. Le S&P 500 indique que nous sommes encore 12 % en dessous du sommet que nous avions touché en janvier 2022. Nous sommes dans une correction qui dure depuis un petit bout.
Le cadre d’analyse macroéconomique suggère que l’on se dirige vers une récession du côté américain. « Le creux des reculs des marchés a tendance à être à la fin des récessions et non avant. Les marchés boursiers anticipent les récessions : quand elles commencent, les marchés les ont généralement anticipées et les marchés repartent à la hausse », explique Sébastien McMahon.
En tant que gestionnaire, il faut selon lui attendre qu’il y ait assez de pessimisme installé dans les marchés pour qu’il y ait un point d’entrée intéressant, et que les valorisations soient attrayantes. Il remarque que les marchés surveillent le moment auquel la Réserve fédérale amorcera des coupures dans son taux directeur. Cela serait probablement en deuxième moitié de 2024, selon les données recueillies par iA Gestion mondiale d’actifs.
Caisses de retraite secouées
Les caisses de retraite sont touchées par l’incertitude économique. « Marqué par la dynamique complexe du marché, le troisième trimestre a été source d’importantes difficultés pour les régimes de retraite canadiens à prestations déterminées », a signalé RBC Services aux investisseurs en se fondant sur son univers des régimes de retraite qu’il suit depuis plus de 40 ans.
Les régimes de cet univers ont enregistré un rendement en baisse de 4,0 % au troisième trimestre de 2023, « ce qui a porté le rendement cumulatif annuel à 1,9 % pour la période terminée le 30 septembre 2023 ».
Selon RBC, la volatilité des marchés survient dans un contexte économique dominé par les pressions inflationnistes. Il les attribue en partie à la hausse des coûts de l’énergie et aux tensions géopolitiques. RBC désigne le conflit entre la Russie et l’Ukraine et l’intensification des conflits commerciaux.
Son de cloche similaire du côté du service de suivi du fonds de solutions de gestion du risque mondial de BNY Mellon. Le rendement médian de BNY Mellon Canadian Asset Strategy View Universe a diminué de -1,99 % au troisième trimestre de 2023. Au 30 septembre 2023, le rendement médian sur un an a toutefois été positif (8,01 %). Le médian annualisé sur 10 ans aussi : il s’est élevé à +6,52 %.
Les résultats de BNY Mellon Canadian Asset Strategy View Universe sont basés sur une valeur d’investissement de 290,2 milliards de dollars dans des régimes d’investissement canadiens. « Après avoir enregistré de solides rendements au premier semestre de l’année, les régimes de retraite canadiens ont trébuché au troisième trimestre en raison des craintes grandissantes à l’égard d’une récession, d’une période prolongée de resserrement monétaire par les banques centrales ainsi que d’un contexte économique et politique incertain », a déclaré David Cohen, directeur, solutions de gestion du risque mondial, BNY Mellon.