En septembre dernier, le Journal de l’assurance a révélé des données d’ISS Market Intelligence (ISS MI), selon lesquelles les ventes brutes totales de fonds distincts avaient chuté de 27,7 % entre 2021 et 2022, puis de 17 % entre 2022 et 2023, au Canada. Les données incluaient les fonds à garantie de retrait, comme c’est le cas dans celles qui suivront dans ce texte.
Le portrait a été tout autre l’an dernier. Avec des ventes brutes totales de 16,3 milliards de dollars (G$) en 2024, l’industrie des fonds distincts a connu une croissance de 39,3 % par rapport à 2023, selon les plus récentes statistiques d’ISS MI. La tendance persiste, selon la firme de recherche et d’analyse en fonds d’investissement. Au premier trimestre de 2025, les ventes brutes totales de fonds distincts ont atteint 5,2 G$, comparativement à 3,9 G$ au premier trimestre de 2024, en hausse de 33,3 %.
En revanche, les flux nets (rachats nets ou ventes nettes) ont régulièrement été négatifs pour les fonds distincts depuis les trois dernières années. Après des ventes nettes de 4 G$ en 2021, l’année 2022 a enregistré des rachats nets de 200 millions de dollars (M$). En 2023, les rachats nets ont culminé à 5,5 G$, pour redescendre à 2 G$ en 2024, année pendant laquelle le quatrième trimestre a été le seul à récolter des ventes nettes, soit de 300 M$.
Le premier trimestre de 2025, signe un retour aux rachats nets (100 M$), mais les ventes brutes sont à la hausse, selon les données d’ISS MI.
En entrevue exclusive avec le Portail de l’assurance, Carlos Cardone, chef de la direction d’ISS MI, a expliqué que les hauts et les bas des fonds distincts reflètent la façon dont les ménages répartissent leurs investissements et « ce qui se passe dans le marché des produits d’investissement ». Il ajoute que les conditions économiques jouent aussi un rôle prédominant dans les décisions d’investir ou non dans les fonds distincts.
Trame mouvementée
M. Cardone a retracé le fil des mouvements récents en fonds distincts. « En 2021, les marchés étaient en pleine effervescence et tous cherchaient à s’y exposer. Les fonds négociés en bourse (FNB), les fonds communs de placement et les fonds distincts se vendaient extrêmement bien », se remémore-t-il.
Les taux d’intérêt ont commencé à grimper et les marchés se sont effondrés plus tard en 2021. « Ça a été une année catastrophique, et une situation inhabituelle : les marchés boursiers et obligataires ont à la fois affiché de piètres rendements », relate M. Cardone.
Mus par la hausse des taux d’intérêt en 2022, « les capitaux se sont redirigés vers les certificats de placement garanti (CPG) des banques, principalement sous forme de dépôts à terme », mentionne Carlos Cardone. « Entre le début de 2021 et la fin de 2023, ce sont 350 G$ en nouveaux fonds nets qui ont été investis dans les CPG. Les fonds communs et les fonds distincts ont quant à eux enregistré des rachats nets en 2022, une tendance qui s’est poursuivie en 2023 », rappelle-t-il.
Les rachats nets ont été moins marqués en 2023 qu’en 2022, et cette tendance s’est poursuivie en 2024, révèlent les données d’ISS MI. De plus, les ventes brutes sont reparties à la hausse.
Le contexte économique des taux d’intérêt y compte pour beaucoup, selon Carlos Cardone. « En 2024, les taux d’intérêt ont commencé à reculer. Ce mouvement a déjà eu un effet positif sur la valorisation des marchés. On observe actuellement un environnement dans lequel, lentement, mais sûrement, les capitaux recommencent à affluer vers certaines catégories exposées aux marchés : les actions et surtout les titres à revenu fixe dont les valorisations sont en hausse », observe le chef de la direction d’ISS MI.
La Banque du Canada a laissé son taux directeur inchangé le 16 avril 2025, à 2,75 %. Le 11 décembre 2024, le taux de la banque centrale canadienne avait été fixé à 3,25 %.
Une petite catégorie d’actifs
M. Cardone souligne la différence d’échelle entre les flux des fonds distincts comparativement à ceux des fonds communs, pendant cette période. Les fonds communs ont essuyé des rachats nets de 43,7 G$ en 2022, et de 57,1 G$ en 2023, selon les statistiques de l’Association des marchés de valeurs des investissements (AMVI), anciennement l’Institut des fonds d’investissement du Canada. Rappelons que pour les fonds distincts, les rachats nets ont atteint 200 M$ en 2022, et 5,5 G$ en 2023.
En revanche, les statistiques de l’AMVI révèlent que les fonds négociés en bourse (FNB) ont réalisé des ventes nettes de 36,1 G$ en 2022, et de 37,6 G$ en 2023.
M. Cardone ajoute que les fonds distincts forment une petite catégorie d’actifs en comparaison des fonds communs et des FNB. L’actif des fonds distincts a atteint 144,2 G$ en 2024, selon les statistiques d’ISS MI. En comparaison, l’actif des fonds communs a atteint 2 242,4 G$ en 2024, et celui des fonds négociés en bourse (FNB) 517,6 G$, selon les statistiques de l’AMVI.
Avantage successoral et frais réduits
Carlos Cardone observe que les assureurs misent depuis un moment sur des caractéristiques uniques aux fonds distincts. Le chef de la direction d’ISS MI rappelle entre autres que les assureurs positionnent maintenant leurs produits de fonds distincts comme des solutions de planification successorale.
Grâce à son statut de police d’assurance vie, le fonds distinct permet de léguer les sommes accumulées directement aux bénéficiaires, sans avoir à faire homologuer le testament du défunt titulaire de la police. De plus, les bénéficiaires éviteront de payer les frais d’homologation, imposés dans les provinces et les territoires canadiens, à l’exception du Québec et du Manitoba.
M. Cardone rapporte aussi que les assureurs ont mis l’accent depuis un moment sur les garanties de fonds distincts les plus abordables. Ainsi, l’option de garantie du capital à 75 % à l’échéance et à 75 % au décès (75-75) connaît d’après lui un franc succès. « Les assureurs mettent davantage l’accent sur le fait que, lorsqu’un client opte pour une garantie 75-75, par exemple un fonds distinct dont le placement sous-jacent est un fonds commun. Dans ce cas, le ratio des frais de gestion (RFG) du fonds distinct ne coûte que quelques points de base de plus que celui d’un fonds commun de série A (avec commission de suivi) », explique-t-il.
Clients à valeur nette élevée
Dans une moindre mesure, l’option de garantie du capital à 75 % à l’échéance et à 100 % au décès (75-100) attire aussi l’intérêt, malgré son coût plus élevé. Dans le marché des clients à valeur nette élevée, elle représente un argument de poids. « Il est possible de créer une police d’un million de dollars ou plus qui peut être versée directement aux bénéficiaires avec une garantie de capital à 100 % », donne-t-il en guise d’exemple.
« Plusieurs assureurs tentent de repositionner les fonds distincts auprès des investisseurs fortunés. Il s’agit d’un produit que ces derniers n’ont pas nécessairement considéré dans le passé », ajoute-t-il.